INTERVIEW
Coup de chiffon sur les dunes
Uchronie pour sablière
La metteur en scène, Michèle Fortunato, parle de sa nouvelle création Afrique, Afrique, Traces..., montée avec la participation de seize comédiens de sa compagnie Le Chiffon rouge. Cette pièce se tient dans un lieu atypique pour du théâtre, l’ancienne sablière d’Ancenis, les 8, 9, 10 et 11 juillet 2011. Elle interroge notre rapport d’européen avec le monde africain.
Fragil : Quelles places prennent l’Afrique et l’immigration dans votre histoire personnelle, dans votre travail de metteur en scène ?
Michèle Fortunato - J’ai mal à l’Afrique. À la base de ma conception théâtrale, il y a eu un choc émotionnel. J’ai voulu créer une pièce pour questionner les spectateurs sur ce que c’est d’être occidental, de vivre dans la partie riche du monde, d’être là et eux là-bas. C’est une pièce qui fait réfléchir, mais attention, soyons bien d’accord, c’est du théâtre, ça reste joyeux ! Je suis d’origine française et russe, mon histoire familiale est touchée par l’immigration et par la pauvreté qu’elle peut engendrer. Et puis, je me suis déjà intéressée à l’Afrique, j’ai travaillé avec le poète algérien, Hamid Skif, pour la pièce que j’ai montée en 2005 avec la compagnie Catimini Sous le soleil de Hamid. Comme toute personne qui vit dans un pays aisé et qui voit ce qui se passe dans le reste du monde, je ne peux pas rester insensible.
Fragil : Dans votre nouvelle pièce Afrique, Afrique, Traces... , vous portez un regard inattendu sur l’immigration...
M.F. - C’est une pièce que j’ai montée avec ma compagnie, Le Chiffon rouge. Elle est composée de sept tableaux, avec une histoire propre. À chaque tableau : un jour de la semaine, une époque, un lieu. L’un d’eux se place au Congo, en 1694, au moment où s’est organisée la traite négrière avec les Portugais (NDLR : Le Portugal a acheté ses premiers esclaves au Congo vers 1485, le pays deviendra sa principale zone de traite environ cent ans plus tard).
Je veux juste rappeler ce qu'on oublie trop vite dans le quotidien : quand on ferme nos frontières, on ferme notre cœur, aussi.
C’est une période pénible dans l’histoire des rapports entre l’Europe et l’Afrique. Un autre se passe en 2031, il inverse les rapports : la France est devenue difficile à vivre et les Français partent vers l’Afrique, qui s’est enrichie, pour trouver à manger. Certains se déroulent en 2011, ils parlent de préoccupations quotidiennes, banales et légères. Des tableaux contrastés, donc. Et c’est grâce à ces différences, entre un passé difficile, de la science-fiction un peu triste et l’inconsistance contemporaine, qu’émerge notre prise de conscience.
Fragil : Quel est le rapport entre le thème de la pièce et son lieu, la sablière d’Ancenis ?
M.F. - Depuis quatre ans, nous investissons cette ancienne sablière pour y répéter et y jouer nos spectacles. Seulement, il y a quelques mois, ce théâtre verdoyant au bord de la Loire, a été complètement dévasté. Une centrale à béton était installée là depuis les années 80. Elle s’est arrêtée en décembre 2010 et la mairie a racheté le lieu. Tout a été complètement détruit. C’est le chaos, il n’y a plus de végétation. Aujourd’hui, le chantier est stoppé. Notre scénographe et le chef de chantier ont collaboré pour entièrement redéfinir notre aire de jeu. C’est une coïncidence qui finalement tombe très bien. Sous le soleil et le ciel bleu, la sablière est devenue un espace de dune, faisant écho aux paysages africains, très bien adapté au thème de la pièce. On vient même d’installer un bar en bois de récup’ ! Quand on s’y rend, on est vraiment dépaysé. C’est un lieu d’évasion, et on paie au chapeau, le prix est donc libre également.
Fragil : En abordant un tel sujet, voulez-vous faire résonner votre pièce avec l’actualité ?
M.F. - J’ai voulu un théâtre citoyen. Le monde est divisé, et nous qui sommes d’un état du Nord, n’avons pas toujours conscience que nous vivons dans un pays qui fait rêver d’autres personnes. Des gens peuvent perdre la vie pour venir ici... Malheureusement, ces histoires sont presque devenues ordinaires aujourd’hui. Le théâtre n’a pas un but de parti pris, et je ne suis pas là pour critiquer. Je veux juste rappeler ce qu’on oublie trop vite dans le quotidien : quand on ferme nos frontières, on ferme notre cœur, aussi. Je me sers de l’outil qu’est le théâtre pour parler de choses vraies, pour réfléchir sur notre rapport avec l’Afrique. Mais encore une fois, tout ça est léger, parce qu’on peut aborder des thèmes graves sans pathos ! C’est la fonction de l’art d’embellir le quotidien. C’est un théâtre de sentiment, fait avec amour.
Propos recueillis par Hélène Sauvage
Photographies : Romain Ledroit
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