Chili Impressions est un documentaire réalisé par José María Bersoza en 1976. Mais sa diffusion ne fut chose facile car cette série irrita profondément les putschistes au pouvoir depuis le 11 septembre 1973. « Il n’était pas facile pour les Chiliens de visionner ce travail. Autant dire que très peu de chiliens ont pu voir ce film, bien que quelques copies clandestines aient circulé. En fait, "il n’a toujours pas été présenté publiquement en masse au Chili car il y en a encore beaucoup qui pense à cette période avec nostalgie. Et pendant des années, il n’a pas non plus été vendu à l’étranger, et notamment en France » explique le réalisateur espagnol. Il y a deux ans, alors que Pinochet est devenu un véritable sujet d’actualité, l’INA (Institut national de l’audiovisuel) lui a proposé de produire un nouveau montage à partir de sa série Chili Impressions.

Le documentaire

Pinochet et ses trois généraux est donc la dernière mouture de ce documentaire. Un documentaire rythmé par deux univers : Pinochet et ses trois généraux vivant dans un cadre bourgeois et tranquille et les familles qui pleurent la disparition d’un fils, d’un mari, emmené de force par la police. « Je voulais mettre en évidence le décalage entre ces individus tout à fait commun, aux autres dans l’espace privé, jouant avec leur petits-enfants, leur chien, écoutant de la musique, et ces mêmes individus qui sont de véritables criminels dans l’espace public". Pour cela, José María Bersoza a interviewé les quatre putschistes à leur domicile, dans une atmosphère qui se voulait détendue. Des questions simples et spontanées, sans rapport avec la politique, tel que : C’est quoi pour vous le bonheur ou Quels sont vous écrivains préférés ? « L’innocence de ces questions était bien sûr une feinte pour faire abattre leur défense et faire ressortir leur banalité. »

Les "héros" se laissèrent prendre au jeu donc. Mais leur réponses les firent tourner au ridicule, « montrant ainsi leur simplicité intellectuelle alors qu’ils dirigaient une nation toute entière ». Poussant cette démarche jusqu’à frôler un point de rupture, le réalisateur a créé volontairement des attentes exaspérantes « pour faire tomber le masquer et donner à voir leur personnalité. Pour amorcer un strip-tease dans la confidence. » Cette manière de faire a pu fonctionner car jamais il n’a laissé transparaître ses convictions politiques, c’est-à-dire son désaccord avec les idées de Pinochet : « Une seule fois je me suis laissé aller lorsque j’ai rétorqué à Pinochet, qui se comparait à De Gaulle, que ce dernier n’avait jamais supprimé les partis politiques de gauche ».

Un pamphlet

Si le ridicule et l’ignorance condamnent ses quatre hommes, les interviews des Chiliennes, désarmées et pleurant la disparition de leur mari ou leur fils, enfoncent le clou. Elles racontent leurs incompréhensions, leur désarroi, leurs recherches incessantes depuis plusieurs mois et leur confrontation à une administration rigide et muette. Pourtant, lors de la première rencontre avec Pinochet dans ce documentaire, celui se défend d’avoir donner l’ordre d’arrêter tous les opposants politiques au nouveau pouvoir en place... « En fait, je veux dire le contraire de ce que ces généraux disent. Il faut politiser la vie, pour ne pas se laisser séduire par la beauté artificielle ou l’intelligence superficielle des candidats a une fonction politique. » Finalement, Pinochet et ses trois généraux devient un pamphlet contre le laisser-aller des citoyens de... partout. « Tous les pays où s’est installée une démocratie bourgeoise sont concernés ! »

Aujourd’hui, Pinochet a perdu son immunité de sénateur à vie, il reste cependant intouchable car protégé par une armée d’avocats qui plaide un état de santé fragile...

Coline FERRO et Nathalie LANDAIS