Publié le 8 mars 2005

Manon Hericher


La BRAT compagnie existe depuis 2000. Une histoire d’amitié qui a fait naître trois spectacles : « le bal des ratés  », « la kermesse que nous vous avons préparé tout l’hiver », et puis ce « Un jour, Monsieur T  », créé àla mi-aoà»t 2004.

La BRAT essaie de varier les lieux pour pouvoir transformer l’échange avec le public. « Là, dans le camion, on avait envie de s’adresser à un minimum de spectateurs, 25 au maximum, pour avoir une relation plus intime. C’est aussi parce qu’on voulait traiter de la notion d’enferment et là, une fois entré, on ne peut plus sortir jusqu’à la fin du spectacle », explique Frédéric, metteur en scène. Un camion étroit, de la lumière qui s’éteint, se rallume, des mots, des bruits inquiétants, un message : « Un jour, Monsieur T partit - pffuitt - dans un courant d’air, presque malgré lui - pffuitt - tout au bout du rêve il partit ». A son réveil, j’ai eu la chance de pourvoir parler avec lui... Zoom sur notre conversation.

-  Bonjour Monsieur T, d’où vous vient votre nom, pourquoi Monsieur T ?

Bonjour, en fait, j’aurais pu m’appeler Monsieur X ou Monsieur Z, le T n’a pas vraiment d’importance.

-  Qui êtes-vous exactement ?

Je suis un humain, pas très asexué finalement, mais je suis un homme normal.

-  Quel âge avez-vous ?

Je n’ai pas vraiment d’âge. Comme c’est une histoire qui se déroule dans ma tête, je n’ai pas d’âge. Le corps a un âge, mais la pensée n’en a pas. Je peux avoir 15 ans comme je peux en avoir 65. Je n’ai pas de notion de temps.

-  Pourquoi avoir choisi un rôle principal ?

La BRAT compagnie a fait deux spectacles auparavant, dans lesquels la narration était très fragmentée. C’était des kaléidoscopes d’images, de personnages qui se télescopent, mais il n’y avait pas d’unité rassemblée dans un personnage, donc là, on m’a appelé pour que le spectateur ait un repère un peu plus fiable que dans les deux autres spectacles, qu’il puisse suivre l’histoire d’un personnage, même si c’est une histoire abstraite et presque métaphysique, un canevas qui finalement permet au spectateur de se faire sa propre histoire.

-  Que faites-vous ici ?

Je pars à la recherche de moi-même. J’essaie de savoir qui je suis, ce que je constitue, seulement, je ne pars pas dans la réalité, mais dans un rêve, à l’intérieur, dans ma tête, et puis je traverse des saisons qui sont symboliques de plusieurs choses. D’abord l’hiver, la saison du corps, avec les animaux, manger et être mangé, ce sont les besoins primaires, la survie finalement. Ensuite l’été, la saison de la sentimentalité, de la rencontre, voire de l’amour, qui est plus de l’émotivité que du sexe. L’automne, saison de l’intellect et du sens, de l’utilité : qu’est-ce qu’on a fait, qu’est-ce qu’on fait de sa vie... à ce propos, un proverbe indien dit « dormir sur le dos du serpent », ce qui veut dire passer sa vie dans l’oisiveté, dans l’inutilité, sans pouvoir comprendre. Et un jour le serpent se réveille, et il est trop tard. Donc c’est un peu ça dans l’automne, les gens se réveillent à l’aube du dernier jour, le serpent arrive et c’est fini. Ce sont les trois étapes que je franchis, comme si je descendais dans moi-même et après je dépasse l’automne, le mental, l’intelligence peut-être même, et puis je disparais parce que je ne trouve rien. Pour moi, il n’y a pas de fondation. Je n’existe pas.

-  Mais pourquoi ne traversez-vous pas le printemps ?

Parce que le printemps c’est le renouveau, c’est là où tout se bouscule. Le metteur en scène ne voulait pas enfermer l’histoire dans un cycle, il voulait que j’arrive quelque part, même si je n’arrive vraiment nulle part, même si je disparais, que je m’efface, ça finit quand même l’histoire et même si ça l’annule, ça la termine. Si je passais par le printemps, on passerait dans un cycle et donc on serait encore dans une spirale et ce serait une histoire qui se mord la queue. Alors que là, c’est une histoire qui s’annule elle même, parce que il n’y en a pas finalement.

-  Vous avez l’air d’avoir faim, Monsieur T ?

Le thème de la dévoration est un peu récurent dans tout le spectacle, je ne sais pas pourquoi, le metteur en scène n’a pas fait de psychanalyse, mais manger, consommer, c’est d’actualité. On consomme notre vie jusqu’à ce que ça se termine. C’est pour ça qu’on mange et moi, j’en suis là aussi, je mange pour ne pas m’arrêter.

-  Rassurez-moi, tous les animaux qui accompagnent votre traversée des saisons et votre introspection en quelque sorte, sont de faux animaux... ?

En fait, tous les animaux, avant, étaient vivants. Ce sont des animaux séchés. Et Moi, je suis constitué d’os de récupération de poulet... Il y a beaucoup d’éléments organiques dans la construction des marionnettes, comme pour leur donner une ancienne trace de vie, et comme pour mélanger encore cette histoire de vrai et de faux. C’est du faux, mais en même temps nous sommes constitués avec un peu de vrai, ou de l’ancien vrai ; nous sommes vivants, mais avant nous étions morts.

-  Pourquoi certains de vos petits amis sont allongés, comme mourants, les uns sur les autres, vers la fin de la pièce ?

En fait, à ce moment, il ne se passe rien, si ce n’est le réveil et le froid. C’est peut-être pour illustrer une chanson de Brigitte Fontaine dans laquelle elle dit « il fait froid dans le monde, il fait froid ».

-  Une dernière question Monsieur T, et je vous laisse retourner dans votre camion : pourquoi deux marionnette de vous ?

C’est pour symboliser, peut-être un peu primairement, le fait que je pars dans ma tête, que je pars dans un rêve, donc je m’endors et je me vois dans le rêve. C’est pour quitter la réalité. C’est l’histoire d’un personnage, mais le personnage, en se multipliant, fait comprendre qu’il quitte le monde du réel pour rentrer dans le monde du rêve. « Tout ça c’est dans ta tête » ? Oui, tout ça, c’est dans ma tête, mais aussi dans celle du spectateur...

-  Monsieur T reviendra dans son camion bleu à compter du 14 mars. Pour des représentations les 14, 15, 16, 17 à 19h ; les 18, 19 à 21h ; et des représentations supplémentaires le mercredi 16 à 15h et le samedi 19 à 17h. Renseignements : 06.07.66.43.11 / 02.40.89.78.66 Spectacle déconseillé aux moins de 10 ans.