Publié le 4 octobre 2004

Pascal Couffin


Face aux catastrophes écologiques de plus en plus régulières et vives, la nécessisté de repenser nos modes de vie s’impose aux occidentaux. C’est ce que pensent les économistes de la décroissance. Genèse d’une pensée en mouvement.

Vers les catastrophes

Les catastrophes écologiques surgissent de plus en plus régulièrement avec une intensité sans commune mesure. Bien que débattu avec constance, l’argument que le réchauffement climatique provienne du mode de vie dispendieux des occidentaux commence à gagner les consciences. Loin de nous apporter tout le confort souhaité, notre mode de développement basé sur le modèle économique de la croissance, génère des désagréments forts préjudiciables pour notre survie.

Force est de constater que notre mode de vie est dévoreur de ressources non renouvelables. Certes il faut avoir foi dans le progrès technique pour trouver des solutions mais il est sûr que le dérèglement climatique va engendrer de nombreuses crises : guerre de l’eau, pandémies, disparition d’espèces animales et végétales. Autant d’atteintes à la biosphère que de réelles menaces pour les populations les plus défavorisées car faiblement armées pour lutter contre de tels événements.

De plus le mode de vie des pays du Nord est en passe d’acquérir l’adhésion de pays en voie de développement très peuplés. Si en effet il est louable que ces populations aspirent au confort qu’elles méritent, la généralisation du confort à l’occidental parait inadaptée par rapport aux capacités de la planète. En parallèle à ces problèmes écologiques, le modèle de croissance économique a favorisé le développement des inégalités mondiales.

La décroissance soutenable

Des voix s’élèvent cependant pour dénoncer avec vigueur les gaspillages de nos sociétés. Ainsi les partisans de la décroissance pointent du doigt la mode des marques et les dérives publicitaires. Aussi récemment est apparue en kiosque la revue « La Décroissance » le journal des lyonnais Casseurs de pub qui sous un ton et une mise en forme proche de Charlie hebdo répand de manière populaire les idées des partisans de la décroissance.

La principale attaque formulée par les partisans de la Décroissance vise l’objectif primordial de la croissance fondé sur l’accumulation des richesses. Depuis quelques décennies, les tenantes d’une pensée unique s’accorderaient à rechercher la croissance pour la croissance. En réaction, l’objectif de la décroissance est de permettre l’avènement d’une société fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité. « Est-ce que le bonheur doit impérativement passer par plus de consommation, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat et donc plus de consommation ? »

Théoriquement, la décroissance c’est : créer d’autres rapports que ceux de l’exploitation, dénoncer la généralisation du bonheur pour tous, prendre conscience du lien entre questions écologiques et questions sociales, remettre en cause le progrès comme seule source de solutions inéluctables.

Concrètement des luttes sont apparues avec le combat consumériste des anti-pub, les politiques de réduction de l’utilisation de la voiture mais aussi les luttes anti-OGM. Depuis quelques années, les nombreuses actions dans l’économie sociale et solidaire, l’importance des SEL sont des exemples de ce que pourrait être l’application d’une politique de décroissance. Les partisans de la décroissance souhaitent aussi développer les logiques de gratuité (avec notamment les logiciels libres), privilégier les productions locales et relocaliser la production ou encore modifier les rapports sociaux de production avec de nouvelles formes d’organisations.

Un désaccord d’idées s’est engagé cependant entre partisans de la décroissance et tenants du développement durable. Alors que la décroissance promet le recul de l’économie monétaire, le développement durable essaie de concilier croissance et écologie. La principale critique formulée contre les militants de la décroissance, est qu’ils assimilent la croissance de l’économie au seul développement des relations marchandes. Selon les partisans du développement durable, la croissance dans les pays en voie de développement permet la mise en œuvre de mécanismes de solidarité non marchands mais également la mutualisation de nombreux services. La croissance sert donc le progrès social. Il faudrait selon eux repenser les services publics et les rendre plus performants pour servir l’intérêt général.

Une théorie décriée

Vaste chantier qu’est la décroissance car cette théorie de la décroissance animée par une poignée de professeurs souvent décriés dans leurs universités, n’a pas encore été validée de manière concrète. « Le projet politique reste à inventer », écrit Paul Ariès dans « la Décroissance ». Les citoyens des pays développés doivent auparavant apprendre à « déconsommer ». Facile à dire, les sirènes de la consommation sont bien séduisantes.

C’est pourquoi ce mouvement de décroissance vise à faire prendre conscience de la nécessité d’un changement. Certains, de manière radicale, comme Serge Latouche, auteur de nombreux articles sur ce sujet, en viennent à compter sur la pédagogie des catastrophes : « les catastrophes sont nos seuls sources d’espoir, car je suis absolument confiant dans la capacité de la société de croissance à créer des catastrophes » et à se féliciter que la canicule ait touché de si nombreuses consciences !

Si l’approche de la décroissance est salutaire en ce qu’elle permet une prise de conscience pour repenser nos modes de vie, il ne faudrait pas qu’elle devienne rigoriste et tente par les idées qu’elles véhiculent, d’imposer l’avènement d’un homme nouveau. Si un changement doit s’opérer, c’est bien dans un cadre démocratique. Aussi l’irrévérence du journal la décroissance et sa liberté de ton peuvent changer un peu nos mentalités et proclamer « la joie de vivre ! »


Interview de Jérôme Gleizes, économiste.

Le Forum Social du Pays Nantais accueillait récemment, Jérôme Gleizes, économiste et membre du comité de rédaction de la revue Eco’rev pour une conférence « Croissance, décroissance, quel mode de vie pour demain. » (La revue Eco’rev est une revue critique d’écologie politique).

Qu’est ce que la décroissance ?

J.G. : La notion de décroissance est assez récente. Elle s’est posée suite aux difficultés des modèles actuels de croissance qui existent sans croissance, ce qui pose énormément de problèmes sociaux. La question de la décroissance, c’est une réflexion pour savoir si le modèle actuel est soutenable, en particulier par rapport aux dégâts écologiques qui peuvent exister. Il y a toute une réflexion sur le fait qu’en occident il y ait une décroissance matérielle.

Quelles sont les modalités de réalisation de la décroissance ?

J.G. : L’intérêt de la décroissance est que cela permet de sortir d’une logique purement économiciste ou de relation d’exploitation mais cela permet de montrer que les dominations peuvent aussi est d’ordre culturel, religieux ou social et qu’elles influent énormément sur les conditions de développement de nos sociétés. La question de la décroissance est surtout qualitative : quel mode de développement veut-on aujourd’hui par rapport à ce que l’on a pu connaître ces trente dernières années ?

La décroissance ne pourrait-elle pas empêcher un progrès social qui aurait plutôt besoin de croissance pour ce réaliser notamment pour financer des services publics de qualité ?

J.G. : Tout le monde est pour le progrès social. Mais derrière le progrès social, on parle du progrès technique, on dit que les nouvelles technologies vont apporter plus de croissance et plus de richesses. Parmi ces produits techniques, on peut citer les OGM mais n’améliore en aucune manière la qualité de la nourriture tout au contraire puisque cela introduit la possibilité que des plantations peuvent s’adapter aux pesticides. La question est : quel progrès social, quelle politique de redistribution des richesses faut-il avoir de nos jours ?

Comment la décroissance peut-elle rencontrer un certain succès populaire sachant que la population se satisfait du système de consommation actuel ?

J.G. : Oui, c’est un problème idéologique au sens où la société capitaliste est une société de consommation et valorise la consommation pour la consommation. C’est sûr, la bataille contre cette logique de surconsommation est très importante ! Ce qui me permet d’être optimiste, c’est que l’on a quand même un mouvement anti-pub assez important qui est ouvertement contre les logiques consuméristes. On a de plus en plus de jeunes qui refusent de rentrer dans une logique de salariat et qui passe de boulot en boulot et de manière tout à fait non contrainte. Les mentalités évoluent, les gens voyagent et se rendent compte des conditions de vie dans le sud et se disent que peut-être il faut modifier notre mode de développement. C’est aussi une prise de conscience du nord, de l’occident par rapport au sud et même les dernières études montrent qu’il n’y a pas d’augmentation de la consommation malgré le fait que les gens puissent avoir des revenus importants.

La décroissance est si je comprends bien, de permettre une prise de conscience dans la population de changement qui pourraient avoir lieu d’ici une vingtaine d’année ?

J.G. : C’est une prise de conscience, un changement de mentalités sur les conditions de sa propre vie : est-ce que je suis heureux avec tout ce que je consomme ? ou est-ce que je pourrais vivre différemment avec moins de consommation et si j’ai moins de consommation, moins de besoins salariaux.

La décroissance est aussi un journal qui paraît maintenant en kiosque depuis quelques mois, de quoi s’agit-il exactement ?

J.G. : La revue Déroissance est très symptomatique de la situation actuelle, c’est le fait que cette notion est portée de plus en plus par un certain nombre de personnes et donc la revue Décroissance montre concrètement ce que peut être la décroissance et montre toutes les apories (paradoxes) du modèle de la croissance. Cela permet de voir que la croissance au lieu d’améliorer toutes les conditions de vie des individus ne fait que les détériorer.

La décroissance est l’enjeu de polémiques et l’on voit parmi les partisans de la décroissance un questionnement sur la notion de développement durable ?

J.G. : Je préfère parler de développement soutenable et pas durable car la question de « soutenabilité » fait référence à la capacité de charge de la planète c’est-à-dire est-ce que notre planète peut continuer à fonctionner avec le modèle de développement aujourd’hui ? Si l’on prend le cas des états unis, il faudrait 6 planètes pour satisfaire la demande américaine. C’est quelque chose qui est mécaniquement impossible ! La critique qui a pu être portée par les tenants de la décroissance, est que le développement durable devient un concept marketing où l’on voit des entreprises comme Total Elf Fina être les champions du développement durable mais en fait c’est une vaste fumisterie ! C’est du marketing qui permet de se construire une virginité sans rien changer dans ses modes de fonctionnement.

Vous n’avez pas peur que ce mouvement de décroissance puisse être récupérer un de ces jours ?

J.G. : Les publicitaires ont repris les thématiques anti-pub pour les renverser, c’est une lutte infinie, il y a toujours une récupération, une contre récupération. On est quand même dans la société du spectacle, tout est une question de mots et les mots peuvent être utilisés, réutilisés, digérés. Il est toujours important de donner la définition des concepts que l’on utilise parce qu’on peut parler de n’importe quoi. Le marketing est fait pour mentir aux gens.

Propos recueillis par Pascal Couffin.


Pistes de lecture :

Casseurs de pub

Le Journal de la joie de vivre : La décroissance

Pour une société de décroissance par Serge Latouche

La Décroissance : renaissance d’un concept