
Portrait
Le dessinateur est une chouette !
Mis brusquement sous les feux de la rampe avec un dessin évoqué sur une des émissions les plus suivies du PAF, Baptiste Chouë t est homme à garder la tête sur les épaules et les pieds sur terre. Depuis janvier, il n’arrête pas : publications hebdomadaires sur un grand titre, projets en cours et d’autres, plus ambitieux, à venir. A Fragil, on n’aime pas gâcher du talent montant en flèche et on s’est empressé de rencontrer le dessinateur pour un portrait en bonne et due forme.
10 minutes de retard
C’est ce que m’annonce Baptiste Chouët par sms quelques minutes avant l’heure convenue du rendez-vous. Ça tombe bien, ce sera notre premier point en commun. En dehors de la passion du dessin, bien entendu. A peine l’ami, avec qui je m’étais installée sur la terrasse d’un café en ville, m’avait-il quittée qu’apparaît la tête blonde du dessinateur, de derrière la foule tentant de profiter des derniers rayons de soleil.
Ce n’est pas le premier rendez-vous que Baptiste et moi essayons d’établir. Avec un emploi du temps aussi chargé pour l’un et l’autre. Le jeune dessinateur est illustrateur-graphiste et gère sa propre boîte, Babel Arts, sa première marque de freelance montée en micro entreprise en 2007 avec son associé. Il apparait donc difficile de se réserver le désormais très pris dessinateur de presse.
Avant même de prendre place sur la chaise, il m’annonce que, dimanche dernier, il a publié son premier dessin au journal régional Ouest France. « Ce sera désormais un dessin hebdomadaire, traitant de l’actualité locale, que je devrai rendre tous les dimanches au quotidien. » Il poursuit : « on a tendance à sous-estimer l’actualité locale. Il ne suffit pas de suivre la politique locale ou les faits divers de la région, mais avoir aussi suffisamment de recul sur ce qui intéresse les lecteurs. La situation diffère lorsqu’on ne publie plus à son propre compte mais à destination d’un lectorat à la fois plus large et avec des préoccupations particulières. »
Pour dessiner local, un minimum d’intérêt est aussi indispensable. Baptiste enchaîne : « cela reste une palette de thématiques assez difficile à traiter. Généralement, mes dessins portent sur les questions d’ordre national voire international ou européen. C’est cela qui, en ce qui me concerne, permet de réellement rebondir sur telle décision ou tel incident et faire une réflexion critique sur ce qui nous entoure. Mais je pense avoir trouvé un petit stratège : mêler l’info locale à l’internationale, de manière à ne perdre une miette ni de l’une ni de l’autre. » D’une pierre deux coups, discrètement, le dessinateur à la chouette emblématique réussit à faire rire et réfléchir.
Baptiste reconnaît devoir son succès quasi-instantané à un retweet chanceux, celui de l'émission On n'est pas couché sur France 2, qui l'a propulsé au devant de la scène...
A vue d’oeil, on penserait volontiers qu’il a fait du dessin de presse depuis toujours. Mais Baptiste le souligne constamment, comme pour virer les étiquettes prétentieuses qu’on colle aux artistes malgré eux : il « débute tout juste ». Les yeux rieurs, il affirme que porter le statut d’artiste est déjà en soi un énorme fardeau, à envisager « probablement lorsque j’entamerai la cinquantaine et que j’aurai un bon répertoire de dessins percutants... et une bonne bedaine dont je serai tout aussi fier ! ». Car s’il dessine pour le quotidien le plus lu de France, que ses esquisses dérisoires sont reprises par dizaines sur les réseaux virtuels et que la petite chouette bicolore se retrouve progressivement un peu partout, Baptiste reconnaît devoir son succès quasi-instantané à un retweet chanceux, celui de l’émission On n’est pas couché sur France 2, qui l’a propulsé au devant de la scène très prisée du dessin de presse.
Il a même eu « l’honneur » d’être plagié, par un certain libraire de Nice, qui a déclaré, l’air de rien, avoir "trouvé l’idée comme ça", sans prendre la peine de mentionner l’inspiration directe du dessin original ! La même idée semble d’ailleurs avoir traversé l’esprit de Coco, la dessinatrice de Charlie Hebdo, qui n’a pas hésité à préciser ne pas s’être inspirée de Chouët, mais que cela a été le fruit d’une réelle coïncidence.
La vignette en question ne date pas plus tard que janvier 2016. Pourtant, Baptiste croque assidûment depuis plus d’un an. « C’est à la suite des attentats de Charlie Hebdo, l’année dernière, que j’ai eu comme un sentiment de devoir, de dégainer mes feutres et de coucher ma conception des choses sur papier, et me lancer enfin dans une discipline que je suivais de près sans oser y participer pour autant. ». Pourtant, à la vue du sens critique, de l’humour potache et du choix pertinent de l’actualité qu’il commente, le lien est rapidement fait entre son dessin et le succès ascendant qu’il rencontre depuis le début de l’année.
Le jeune dessinateur reste par ailleurs un élève du dessin sur le tas, et n’hésite pas à squatter les quelques rencontres autour du dessin, de plus en plus en vogue à Nantes notamment, où les coups de crayons se conjuguent aux bonnes boissons et aux rencontres fructueuses entre gens du métier : dessinateurs, coloristes, auteurs ou éditeurs. « Je me rends compte que ma ville est un nid de créatifs, depuis que je dessine, je ne fais qu’élargir mon réseau de connaissances. C’est ce genre d’initiatives toutes simples qui rassemblent, autour du dessin, des passionnés au potentiel incroyable ! ».
« Je me rends compte que ma ville est un nid de créatifs, depuis que je dessine, je ne fais qu'élargir mon réseau de connaissances. »
Avant d’engloutir la dernière pinte de la soirée - il est tout de même bientôt 22 heures et on est mardi -, je demande des nouvelles des productions à venir. Et Baptiste dévoile alors des infos en exclusivité sur son grand projet, un récit en bande dessinée ou un roman graphique, retraçant l’historique familial des Nantais en Algérie, au temps où elle était « encore française ». Un gros travail en perspective, lourd d’Histoire, de souvenirs de guerre et de questionnements des identités multiples qu’on porte en soi. L’auteur souhaite braver les tabous autour la guerre d’Algérie, en revenant sur sa colonisation, son présent et l’expatriation d’une partie de sa famille - pieds noirs- à l’indépendance. Il compte surtout croiser ce patrimoine culturel familial avec celui d’un autre jeune d’origine algérienne, dont les ancêtres auront également vécu la Guerre, de « l’autre » côté du conflit.
21h43, à la station de tram
Nos chemins se séparent. En repartant, je réalise qu’en à peine trois heures de discussion fougueuse, Baptiste Chouët et moi-même avions, mine de rien, tenté de refaire le monde, la société et, évidemment, les médias et le dessin. Je réalise aussi et surtout que je tiendrai à l’œil ce dernier bijou à la mode, car lui n’attend pas le changement, il le crée.
Texte et illustration : Fatma Ben Hamad
Sélection de dessins de presse par Baptiste Chouët
Retrouvez tous ses dessins par là !
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