Ateliers "Deshabillons l’info"
Médias et quartiers populaires : comment dépasser les stéréotypes ?
De mars à juin 2015, le Centre interculturel de documantation (CID) de Nantes organise un cycle de trois ateliers décryptant l’influence des médias sur nos représentations de la vie quotidienne. Le premier des ateliers, qui a eu lieu le 10 mars, a traité des quartiers populaires. Les invités Alain Manac’h, Vincent Goulet et Romain Ledroit du magazine Fragil ont échangé avec le public pour témoigner, éclairer et trouver des solutions. Voici un bref résumé de cet événement.
« Ils ont fabriqué l’information. Ils l’ont scénarisée pour créer de fausses émotions. » Pour ouvrir le premier atelier du cycle "Déshabillons l’info", Alain Manac’h, président de la Maison des habitants de la place des géants à Villeneuve, nous raconte sa frustration après la diffusion d’un reportage d’Envoyé spécial intitulé "La Villeneuve : le rêve brisé". Cette enquête a été très critiquée pour sa représentation stéréotypée de la vie en banlieue. Le rapport du CSA est clair : « Seuls les aspects négatifs ont été abordé, stigmatisant la population de Villeneuve ». Le CSA indique que « la chaîne a manqué aux obligations déontologiques prévues à l’article 35 de son cahier des charges ».
Lire aussi : Un reportage d’« Envoyé spécial » met la cité de Villeneuve à l’envers
Alain Manac’h raconte l’indignation qui a suivi la diffusion et les actions organisées par les habitants du quartier de Villeneuve. En colère, il explique que l’information n’a pas été rapportée objectivement mais fabriquée. Il conclut « c’est une dignité qui n’a pas été respectée. C’est tout un quartier qui a été stigmatisé ».
Sociologue spécialiste des médias, Vincent Goulet intervient pour expliquer les mécanismes impliqués dans la fabrique de l’information. C’est simple, « pour faciliter la lecture et la compréhension, le journaliste va véhiculer des stéréotypes. Le problème c’est que malgré la pluralité des chaines, il n’y a pas de pluralité d’opinion. Une seule vision stéréotypée de la banlieue est celle transmise ».
Le collectif nantais Fais-ta-TV, basé au quartier Malakoff, réagit en racontant une de leurs expériences. Pendant le tournage d’un reportage sur le collège Sophie Germain à Malakoff, la déontologie a encore été oubliée. Malgré des promesses d’objectivité, l’équipe de journalistes commence à scénariser dés le 2eme jour. « Le problème, c’est que les jeunes filmés jouaient aussi le jeu » raconte Moçab Saadi. « Ils se mettaient en scène en reproduisant les stéréotypes qui leurs sont attribués ».
A voir : Fais ta TV, la web TV de Malakoff Nantes
On comprend que la représentation biaisée des medias n’est donc pas à sens unique bien que les conséquences soient plus graves pour un des deux cotés. Pour les habitants, Alain Manac’h raconte qu’il est plus difficile de trouver un emploi quand on est issu d’un quartier stigmatisé. Il y a de l’auto-victimisation forcément, mais aussi une confiance qui se perd. La mixité sociale commence à fatiguer. En fait, c’est surtout un sentiment d’abandon qui se propage.
En banlieue, des faits divers symptomatiques deviennent des phénomènes de société.
Si les journalistes se déplacent souvent dans les quartiers sur des sujets en lien avec un faits divers, les correspondants de presse de quartier, eux, sont là pour redorer cette image. L’approche est de fait souvent manichéenne et l’écart se creuse. Dans les deux cas les visions sont mystifiées : infernale contre idéale. Ces perceptions renforcent l’effet ciseau et diminuent les espaces d’échanges.
Vincent Goulet regrette l’absence de débat et le fait qu’on ne puisse plus parler des choses qui fâchent. Il ajoute « en banlieue, des faits divers symptomatiques deviennent des phénomènes de société. On relit systématiquement la délinquance à un contexte social. Ce ne sera pas amélioré par la culture de l’instantanéité. Plus d’informations, plus d’émotions, plus d’audience. Cela se traduit par moins de recherche, moins de compréhension et plus de stéréotypes. »
C'est un devoir citoyen que d'éduquer aux medias et présenter la fabrique de l'information
Apres avoir clarifier les problèmes, il faut trouver des solutions. Le premier à se lancer est Moçab Saadi. Il demande aux enseignants d’éveiller les jeunes à communiquer dans les médias. « C’est normal que les jeunes jouent un rôle devant les cameras mais il faut qu’ils comprennent pourquoi ». Romain Ledroit, coordinateur du magazine Fragil acquiesce en insistant sur la nécessité de donner les outils, d’éveiller aux usages pour favoriser l’expression de toutes et de tous. « La critique seule ne crée pas de solution. C’est un devoir citoyen que d’éduquer aux medias et présenter la fabrique de l’information ». En plus de développer un esprit critique et de limiter une attitude passive, il faut créer de nouveaux medias. Il faut que les jeunes s’emparent de nouveaux outils. « Les médias peuvent être une force émancipatrice mais que c’est par le local qu’il faut s’en sortir »,conclut Vincent Goulet. Sortons du carcan ! L’éducation, une fois de plus, s’impose comme la meilleure solution pour mieux vivre ensemble.
Texte : Pauline Olivier
Photo : Audrey Moraux, photographe indépendante. Site internet www.audreymorauxphotographer.com
Le prochain atelier, sur la mise en scène de l’étranger/immigré et de l’identité nationale dans les médias, aura lieu à Cosmopolis à Nantes le 14 Avril 2015 à 20h, entrée gratuite. Il est possible de revivre le premier atelier avec le livetweet résalisé par Fragil sur Twitter : #Deshabillonslinfo.
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