Colporteurs de bonheur

Il y a quelques années, la nouvelle scène française ne jurait que par le minimalisme. "Haro sur l'éxubérance et la fantaisie !" clamaient-ils. Peu nombreux furent ceux qui s'y essayèrent avec talent. Notre bonne vieille chanson, influencée par les poèmes et rengaines populaires, perdait alors de ses couleurs et l'on se désolait de la voir si morne et affaiblie.

Heureusement, loin des cercles qui font et défont les tendances, des groupes s'amusent désormais à faire parler les mots, les cordes et les cuivres. Les Ogres de Barback font partie de ces énergumènes qui, accompagnés d'une armada d'instruments, nous enchantent avec des histoires parfois abracadabrantes, toujours touchantes.

Nourris dès le biberon au meilleur de la chanson française (Piaf, Brassens, Renaud, etc), Alice, Mathilde, Sam et Fred, frères et soeurs à l'état civil, ont décidé de perpétuer l'ouvrage initié par leurs fameux aînés. Ouvrant la porte à notre imaginaire, ils nous invitent au voyage : à l'autre bout du monde ou au coin de la rue. Loin des tracas de l'actualité, Fred nous raconte ces instants éternels transpirant d'humanité : souvenirs d'enfance, séparations, retrouvailles, longues nuits passées dans des rades et petits matins. Malgré des vers décalés, la poésie est là et l'on se plait à suivre, les yeux fermés, les aventures de ces personnages souriant à la vie, dédaignant la mort. On ne fut pas étonnés d'ailleurs lorsque nos quatres ogres sortirent, malgré leur nom de scène, un disque pour les enfants ("La Pittoresque Histoire de Pitt Ocha"). Cette étape semblait inévitable tant leurs chansons nous évoquent les histoires que nous lisions et relisions quand nous étions marmots. La musique accompagne tous leurs personnages, les notes virevoltant à chacun de leurs pas. Véritable orchestre, Les Ogres de Barback s'emparent de guitares, d'accordéons, de pianos, de tubas, de violons, de hautbois et bien d'autres instruments pour nous caresser les tympans de leurs tantôt gaies, tantôt mélancoliques mélodies. C'est tout un périple musical et poétique que nous effectuons avec eux au long de leurs albums. Périple qu'ils effectuent d'ailleurs eux-mêmes... Tels des saltimbanques, Les Ogres de Barback colportent bonne humeur, tendresse et baume au coeur. Le groupe souhaite faire de ses tournées un véritable spectacle itinérant. C'est pourquoi il a pris possession du Chapiteau Latcho Drom qui accueillit, entre autres, la fameuse tournée "Un Air Deux Familles" effectuée avec les Hurlements d'Léo. Loin des normes sécuritaires et des salles de concerts trop grandes pour être humaines, on ne peut que se ravir d'assister à des spectacles où la poussière s'envole sous les pas et le vent s'engouffre dans les toiles.

Menant leur barque avec succès sur les flots de l'autoproduction, Les Ogres de Barback ont réalisé le pari difficile de ramener au premier plan le spectacle ambulant. On se prend à rêver d'une époque où la chanson était populaire et naissant dans la rue. Cette époque n'est peut-être pas si loin... Merci, les Ogres !