Pollock et le marché de l’art
La projection du film « Pollock  » du réalisateur Ed Harris par l’Eco du Ciné a été l’occasion de débattre des transformations du marché de l’art moderne et de comprendre le fonctionnement d’un marché peu connu du grand public. Un débat au Katorza avec les interventions de Louise Robin, historienne de l’art, et Dominique Sagot-Duvauroux, économiste, professeur à l’université d’Angers et chercheur au CNRS.
Le choix du film, a rappelé l’Eco du ciné, a été guidé par la volonté de montrer le portrait d’un artiste qui a bouleversé le monde de la création dans les années 50 et qui, comme le film le montre en filigrane, a connu et accompagné les transformations du marché de l’art.Le point de vue des deux intervenants sur le film a donc été celui d’analyser le rapport de l’artiste au marché de l’art ainsi que les mécanismes de la reconnaissance artistique et médiatique.
Les instances de légitimation
Ainsi, dans le cas de Pollock, c’est la rencontre au début des années 40 avec les collaborateurs de Peggy Guggenheim, propriétaire de la célèbre galerie The Art of the century à New York, puis avec Peggy elle-même, qui a été déterminante pour sa carrière, ont souligné les deux intervenants. Car ce sont ces personnalités : intellectuels, directeurs de galerie, critiques qui sont les “instances de légitimation” pour un artiste. En repérant et soutenant les artistes qu’ils considèrent importants, ils contribuent à la reconnaissance de l’artiste par le milieu artistique lui-même.
La reconnaissance artistique pour Pollock prend la forme de sa rencontre avec J. J. Sweeney, futur directeur du musée Guggenheim, et surtout Paul Greenberg. Celui-ci, ont souligné les deux intervenants, a été le principal critique à soutenir Pollock et à mettre du discours sur les œuvres des artistes américains qualifiés d’expressionnistes abstraits. Il s’agissait de mettre en avant leurs particularités et de les aider à s’affirmer face aux artistes européens qui dominaient le marché de l’art aux Etats-Unis dans l’après-guerre. Selon Greenberg, précise Louise Robin, l’art moderne américain naît de rien, il apparaît spontanément et privilégie surface et couleur.
Après la reconnaissance artistique vient la reconnaissance médiatique, illustrée dans le film par la venue des reporters de Life magazine dans l’atelier de Pollock et la parution d’un grand article sur lui en 1949. Conséquence : un regain d’intérêt et de confiance des collectionneurs qui sont alors prêts à acquérir les toiles de l’artiste, à des prix plus élevés.... Ainsi se détermine peu à peu la valeur financière des œuvres, qui va se traduire également par la cote de l’artiste sur le marché de l’art.
Le rôle des galeries
Deux époques sont d’ailleurs à distinguer selon D.Sagot-Duvauroux : celle des années 50 où le critique joue un grand rôle dans la reconnaissance de l’artiste, puis celle des années 60 et au-delà, où le galeriste prend le pas sur le critique dans l’organisation de la reconnaissance de l’artiste et de sa valeur sur le marché. Le film livre ainsi des détails sur les rapports économiques entre artiste et galeriste dans les années 40-50 : on y voit que Peggy Guggenheim verse une mensualité à Pollock, un petit salaire en quelque sorte, comme cela se faisait depuis le début du XXème siècle et qu’elle devient propriétaire des œuvres qu’elle expose dans sa galerie si celles-ci n’ont pas été vendues lors de l’exposition...
Les années soixante représentent la fin de ce genre de procédés et la montée en puissance de la galerie comme acteur du marché de l’art. Aujourd’hui précise D.Sagot-Duvauroux certaines galeries interviennent avant même que l’œuvre ne soit créée. Elles produisent l’œuvre en créant les conditions favorables à sa création et en lui assurant l’attention d’un public amateur, notamment des collectionneurs.
Et des collectionneurs...
Ces derniers, tel François Pinault, interviennent eux aussi sur le marché de l’art d’une façon de plus en plus marquée, en finançant des musées pour leur propre collection par exemple, de même que les spéculateurs, qui sont d’ailleurs parfois les mêmes personnes.
Au mot de spéculation ont jailli les questions du public : Existe-t-il une valeur intrinsèque des oeuvres d’art, selon quels critères est-elle définie ? Que représentent les prix très élevés atteints par certaines œuvres sur le marché de l’art ? Que peut-on penser d’œuvres contemporaines telles que les boîtes de « merde d’artiste » de Piero Manzoni ?
L. Robin : Le principal critère d’appréciation d’une œuvre d’art est, depuis le début du XXème siècle, le caractère novateur de cette œuvre, critère d’ailleurs remis en question actuellement, mais une part de subjectivité demeure toujours. Pour Manzoni, ses œuvres ont été repérées et sont entrées sur le marché.
D. Sagot-Duvauroux : Au milieu de cette incertitude sur la qualité des œuvres, le rôle joué par les “instances de légitimation” est précisément de lancer un signal de qualité qui va guider les acheteurs et les rassurer. L’innovation, le fait pour un artiste de faire école sont des critères de sélection.
N’y a-t-il pas une différence entre les tarifs des œuvres en galerie et les prix atteints par celles-ci lors de ventes aux enchères ? Les deux n’ont souvent rien à voir...
D. S.D : Les prix des œuvres en galerie augmentent souvent avec l’ancienneté de l’artiste, d’une façon constante, afin de maîtriser les variations de prix et de rassurer les collectionneurs. Les ventes aux enchères par contre fonctionnent selon la loi de l’offre et de la demande : les prix atteints dépendent de la réputation de l’artiste, les prix faits par ses œuvres lors de ventes précédentes indiquant la cote de l’artiste.
Et comment évaluer la valeur des installations et autres performances de l’art actuel ?
D. S-G : Comme il ne s’agit plus d’objets, ce sont souvent les produits dérivés qui sont mis en vente, et certains artistes demandent à percevoir un cachet pour leurs réalisations, comme dans le cas du spectacle vivant.
L.Robin : On voit d’ailleurs très peu de ces installations à New York, les galeries ne cachant pas que leurs acheteurs désirent avant tout décorer leurs intérieurs avec des œuvres d’art....
Emilie LE MOAL
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