Eugénie fait son cinéma
A l’occasion du festival du cinéma russe, Eugénie Zvonkine s’est déplacée à Nantes, pour présenter et débattre sur deux films à l’affiche de cette neuvième édition, La nuit du carnaval et Le printemps. Doctorante en cinéma et originaire de Russie où elle a vécu jusqu’à l’âge de douze ans, elle enseigne désormais en France à la faculté de cinéma de Paris VIII. Rencontre avec celle qui ne pense pas forcément que cinéma russe rime avec années 30.
Comment vous est venue votre passion pour le cinéma ?
C’est très difficile de répondre…Peut-être au collège ou au lycée ? Je n’ai pas d’explications précises, à moins d’entrer dans l’autobiographie très romancée …Aucun film ne m’a fait dire : « ça y est, c’est ça que je veux faire ! ». J’ai toujours beaucoup aimé le cinéma, grâce à ma mère qui m’a fait découvrir de nombreux films. A un moment, je me suis simplement dit que c’était ça plutôt qu’autre chose.
La programmation du festival vous semble-t-elle pertinente ?
J’ai participé, il y a cinq ans, à la programmation de ce festival. J’ai aidé Patrick Lemoine (organisateur du festival, ndj) et je trouve qu’il travaille très bien. Il fait quelque chose de pertinent, dans la mesure où l’on peut voir un film comme "Ironie du sort", qui est retransmis à toutes les veilles de premier de l’an en Russie. Très peu de Français l’ont vu et il est très peu visible… ; en l’occurrence, ce festival, fait un travail qui doit être fait et qui ne l’est pas. La plupart des festivals de cinéma sur le film russe s’attachent à l’actualité, ce qui est un peu normal. Du coup, la filmographie des années 30 jusqu’aux années 90 reste dans l’ombre. Ca m’intéresse davantage car tout le monde a vu, connaît, est marqué et traumatisé par les débuts très célèbres du cinéma soviétique.
C’est ce que l’on enseigne en cours de cinéma…
C’est ce qu’on m’a aussi enseigné. Cette tendance est valable en France ; les cinéastes actuels français sont traumatisés par la nouvelle vague. Ils ne s’en remettent pas… Est-il bien sage de ne pas « se remettre » des grands qui nous ont précédés ?. Beaucoup de films même si ce ne sont pas forcément de grands films, sont quand même intéressants à voir.
Que pensez-vous du réalisateur Guennadi Sidorov et de son film « Les petites vieilles » ?
J’ai un rapport un peu subjectif avec le film car c’est moi qui l’ai sous titré, donc je l’ai vu un nombre incalculable de fois !
Il était acteur avant d’être réalisateur ?
Justement ce qui m’a frappé c’est son talent d’acteur… J’étais traductrice pour lui à ce moment là. J’ai passé le film sans me rendre compte que je le voyais à l’écran… A la fin je me suis retournée et je me suis aperçue que c’était lui. Il avait pris 20kg qu’il avait ensuite reperdus. C’est quelqu’un de très différent dans la vie et à l’écran. Je pense que le film est très prometteur. J’aime beaucoup cette tendance actuelle du cinéma russe qui tend à aller vers le documentaire. Par exemple, le fait que pratiquement toutes les petites vieilles sauf l’actrice principale ne soient pas professionnelles, c’est très intéressant et je trouve qu’il le gère très bien. Il leur laisse vraiment l’espace de liberté nécessaire pour qu’elles soient justes. C’était très adroit de mêler justement fiction et une certaine vision documentaire ; j’aime bien sa façon de placer la caméra et de laisser les acteurs être. Par contre Le final ne me convainc pas du tout…Quand tout le monde chante et danse, je pense qu’il peut faire mieux.
Ca peut faire penser aux happy ends de Kusturica
C’est très possible et peut-être même volontaire…
Quels sont vos réalisateurs fétiches ?
Je suis une grande fan de Michael Haneke. "La pianiste" fait partie des derniers films qui m’ont bouleversée. Parmi les cinéastes français, car il y a de grands cinéastes français, je pense à Eugène Green ; il a fait seulement trois films je crois : Toute une nuit, Le pont des arts et celui d’avant, Le monde vivant ainsi qu’un court-métrage. C’est vraiment un grand réalisateur français qui est évidemment pratiquement ignoré. Il fait des choses qui ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît. C’est du grand cinéma particulièrement "Le monde vivant" que je vous recommande. Mais je dois dire que globalement, je ne suis pas une grande fan du cinéma français actuel. Ils ont justement du mal à sortir de certains carcans obligatoires.
Vous pensez à qui par exemple ?
Je ne vais pas citer de noms …
Par exemple le dernier film de Jeunet, qui est très controversé…
Quand j’ai vu Amélie Poulain je me suis promis de ne plus me faire cette douleur… Donc cette fois je n’y suis pas allée…Je raconte toujours à ce propos l’histoire des Habits de l’empereur. C’est un roman d’Andersen ; deux bandits font marcher le roi en lui disant qu’ils font des vêtements qui sont d’un tissu tel que les idiots ne peuvent pas les voir…Le roi défile tout nu et personne n’ose rien dire de peur de passer pour un idiot. Un enfant totalement innocent se met à crier « Mais l’empereur est nu ». La foule reprend : « C’est vrai qu’il est nu ». Je trouve que Jean-Pierre Jeunet fait clairement ce type de chantage : « si vous n’aimez pas ce film vous n’êtes pas des gentils ».
Le prochain festival du film étranger aura pour thématique l’Espagne…
Je suis un peu une ignare de ce côté-là… Il serait utile que je me déplace.
Quel type de cinéma vous convient le plus ?
Je ne m’identifie pas à un genre de cinéma national. Ce n’est pas ça qui compte pour moi. Je pense que pour apprécier un film, il faut quand même en connaître certaines réalités. C’est pour ça que je me fais un plaisir de venir les expliquer. Cependant, même lorsque l’on ne sait pas d’où un film vient, où il va, on a tous les moyens de l’apprécier. Je ne peux pas dire que j’aime le cinéma russe, le cinéma français ou anglais.
Pouvez-vous nous parler du cinéma russe contemporain ?
On peut dire qu’au moment de la Perestroïka, il y a eu une vague d’espoir. On s’est dit que plein de réalisateurs allaient commencer à faire des films, qu’un fleurissement extraordinaire allait avoir lieu, mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Deux tendances assez opposées se sont dessinées. La première était d’essayer de reproduire le cinéma occidental, en faisant des films avec beaucoup de scènes d’amour, de violence, mais de manière beaucoup plus maladroite qu’à Hollywood ou même en France. Un cinéma que j’appellerais un peu méchamment de seconde zone, qui brasse pas mal d’argent. De l’autre coté, les grands cinéastes ont continué à réaliser de grands films avec peu de moyens. Après je pense que ça vient petit à petit …La nouvelle génération fait des films qui sont un peu entre les deux. Ce ne sont pas forcément de grands films, mais c’est intéressant. Bien que je trouve qu’on y vient très lentement et péniblement. Certains films arrivent à sortir en Occident, mais beaucoup ne sortent pas, faute de rentabilité.
Peu de films russes arrivent chez nous…
C’est aussi un effet de mode. Je travaille par exemple beaucoup avec des cinéastes centre-asiatiques, qui font des films d’art et d’essai à petit budget mais qui sortent…En ce moment il y a une grande mode dans les festivals pour ce genre de films-là. Certains distributeurs, présents sur ce genre de festivals vont s’y intéresser et les distribuer. C’est moins le cas des festivals russes. Ce festival nantais fait donc un travail nécessaire. En novembre se tiennent deux autres festivals du film russe, l’un à Honfleur et l’autre à Paris, fait par Pierre Cardin. C’est assez surprenant. Au départ, Pierre Cardin voulait inviter ses amis russes à Paris, d’où l’idée de monter un festival. Il montre le dernier film sorti. On peut y aller quelques jours pour avoir une vision de la production de l’année. On voit de tout, j’y suis allé cette année, il y a vraiment des films très mauvais mais aussi des choses intéressantes. En général, ces noms étaient déjà connus avant la Perestroïka.
Propos recueillis par Nathalie Landais et Charlotte Houang
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