Une communauté de bûcherons
SIL N'EST PAS ENCORE A LA MODE, LE COLLECTIF MONTREALAIS Godspeed You Black Emperor ! EST NEANMOINS EN TRAIN DE DEVENIR LA NOUVELLE COQUELUCHE D'UNE CERTAINE INTELLIGENTSIA MUSICALE MONDIALE.
De nombreux articles élogieux et des chroniques fleuves mettent en avant une certaine façon de vivre le monde actuel si bien que ces canadiens pourraient être les nouveaux (et derniers !) musiciens révolutionnaires de ce siècle. Avec Aidan, percussionniste de GYBE mais aussi des formations 1-speed bike, A silver mount zion, Set fire to flames
, nous allons nous immerger dans le monde étrange de Godspeed You Black Emperor !
Godspeed You Black Emperor est un collectif composé de neuf musiciens : Roger Tellier-Craig, Norsola Johnson, Efrim Menuck, Mauro Pezzente, David Bryant, Thierry Amar, Sophie Trudeau, Aidan Girt, Bruce Cawdron et dun vidéaste, James Cohen, réalisateur notamment de la vidéo « Instrumentals » de Fugazi. Leur musique instrumentale puise autant dans le rock progressif que dans le rock cérébral et pourrait (pourquoi pas) sapparenter à de la musique contemporaine. Le collectif a créé son propre univers où sexprime une liberté entière, totale et contagieuse et qui malmène nos émotions. A lécoute, la musique de GYBE nage dans une atmosphère calme et cotonneuse dans lattente dune envolée tempétueuse qui la fait souvent sombrer dans le chaos. Les neufs compères, acharnés sur leurs instruments, éreintent brillamment nos nerfs soumis à rude épreuve. Quelques samples, des paroles de SDF ou de G.W.Bush jr par exemple, se mêle à létourdissement perpétuel qui provoque à lauditeur le malaise dêtre témoin et acteur dun présent injuste et méprisable.
UNE COMMUNAUTE DE SOLIDES ARTISTESInitialement créé dans les rues froides de la capitale canadienne, le collectif Godspeed You Black Emperor refuse la dictature de la société marchande qui voudrait monnayer la création artistique. Pour sopposer aux tenanciers de bars Montréalais qui voulaient faire de la création musicale locale un business lucratif, les membres fondateurs de GYBE ont conçu avec leurs copains du label Constellation un espace de création où tous pourraient sexprimer librement en toute égalité : « ça a été difficile à nos débuts de trouver une place pour jouer : les bars étaient payants puis il y a avait une certaine mafia rock entretenue par les journaux. On a donc ouvert un loft puis on a rencontré dautres personnes intéressées ». Cette communauté, « dans un esprit punk » a donné naissance à une production musicale singulière et indépendante. Car GYBE est entouré dune galaxie constituée dautres groupes. « Godspeed, cest la musique dun collectif donc parfois tu ne peux pas créer tout ce que tu veux dans Godspeed, cest pourquoi je participe à dautres groupes. On joue 5-6 mois de lannée avec GYBE donc cest bien pour nous et notre musique de jouer avec dautres personnes. Cela permet de respirer et damener une autre partie créative ». Ainsi tourne autour de GYBE des projets parallèles comme A silver mount zion, Set fire to flames mais aussi Exhaust et Fly Pan Am qui existaient avant la création de GYBE (On note cependant que GYBE signait jusquà présent sur le label Kranky de Chicago avant dintégrer le label Constellation pour leur dernier album «Yanqui UXO »). Mais tous avancent au bord du gouffre et peuvent parfois se réfugier dans lhermétisme. Des pépites comme les albums de Godspeed you blak emperor, A silver mount zion, Do may say think, côtoient parfois des productions inégales.
LESPOIR ENTRETENUFaut-il nécessairement parler pour se faire entendre ? Il semble que non, car GYBE réussi à exprimer de fortes revendications politiques et idéologiques sans jamais utiliser la voix sur leurs longs morceaux, hormis lusage de quelques samples. GYBE parle de létat du monde actuel mais entretient cependant lespoir de jours meilleurs : « on veut faire des choses qui touchent sans être pathétique, on veut créer un espace où lon peut toucher de la tristesse dans la vie. Notre réalité est triste et devient pire chaque année ». La musique de GYBE frappe là où ça fait mal et répand sa mélancolie incisive. GYBE croît quun autre monde est possible et se rapproche de la lutte orchestrée par de grands mouvements alter-mondialistes et internationalistes contre luniformisation des cultures et la notion manichéenne des différences Nord/Sud.
LUNIVERS VISUELCet engagement est aussi entretenu par les pochettes de disques, les livrets. Ainsi lit-on au dos de la pochette du dernier album : « Yanqui, cest le post-colonialisme impérial, le gendarme de la planète, cest loligarchie des multinationales. Godspeed You ! Black Emperor est complice et fautif mais résistant ». Un grand schéma explique les rapports quentretiennent les majors du disque avec les manufactures darmes ou les dépôts militaires. GYBE sème des pistes à lauditeur souvent seul avec son propre désarroi et sa confusion face à cette industrie musicale qui ne plie pas et ne fait pas de compromis, mais avale, sapproprie, détruit. Les supports visuels formulent le rejet dune certaine forme de la société de consommation destructrice avec notamment lutilisation de gros papier cartonné et recyclé, à limage de tout ce que véhicule le label Constellation mais aussi parfois le label Chicagoan Quaterstick Records. On admire des dessins de plans dobjets ou despaces industriels.... Le livret de Set fire to flames montre des images inquiétantes en noir et blanc dun photographe reconnu : Mickaël Ackerman. A silver mount zion schématise une antenne de transmission dondes radios Et toutes les pochettes utilisent des caractères manuscrits ou de frappe à la machine, des couleurs kakis, marrons, rouges et noires. Les films sont aussi utilisées à cette fin ; Lors des concerts, les musiciens de GYBE sont effacés dans la pénombre pour mieux faire porter le regard vers les vidéos de James Cohen qui montrent des rues en décrépitude dans les grandes métropoles nord-américaines. Chaque prestation se termine par un immense « Hope » (Espoir) crayonné par une main tremblotante sur lécran.
Un plaidoyer contre lendormissement de nos riches sociétés occidentales et la recommandation également de ne pas acheter leurs disques dans les grandes surfaces, font des membres de GYBE cette éventuelle nouvelle voie basée sur notre prise de conscience du monde qui nous entourent et notre participation active à des luttes quon pourrait penser révolues. Et Aidan de conclure : « Ayez conscience du monde autour de vous et participez à quelque chose ».
Discographie GYBE :
Godspeed You Black Emperor !, « slow riot for new zero kanada ep», Kranky, 1995 (disponible en réédition Constellation Records).
Godspeed You Black Emperor !, «f#a#? [1995-1997]», Kranky, 1998 (disponible en réédition Constellation Records).
Godspeed You Black Emperor !, « lift your skinny fists like antennas to heaven », Kranky, 2000 (disponible en réédition Constellation Records).
Godspeed You Black Emperor !, « Yanqui UXO », Constellation, 2002.
Discographies sélectives des autres groupes dans lesquels participent les membres de GYBE :A Silver Mount Zion, « he has left us alone but shafts of light sometimes grace the corner of our rooms », Constellation, 1999.
A Silver Mount Zion, « Born into trouble as the sparks fly upward », Constellation, 2002.
Set fire to flames, « Sings reign rebuilder », FatCat Records, 2002.
1-speed bike, « droopy butt begone! », Constellation, 2000.
Exhaust, « exhaust », Constellation, 1996.
Exhaust, « enregistreur », Constellation, 2002.
Compilation du label Constellation, « music until now », Constellation, 2002.
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