Cinéma Espagnol
Quand le cinéma se fait le porte-parole des "conflits oubliés"
Cinéma et Droit de l’Homme au Festival du Ciné Espagnol de Nantes
Dans le cadre du cycle Cinéma et Droits de l’Homme, les spectateurs du Festival du cinéma espagnol de Nantes ont pu voir le documentaire collectif "Invisibles" en présence de l’un de ses réalisateurs, Fernando León de Aranoa. Une descente aux enfers dans quelques uns des conflits et des drames humains oubliés des médias, mais une leçon de courage et de ténacité également.
Poursuivant un cycle entamé l’année dernière en partenariat avec le Festival des Droits de l’Homme de San Sebastian, le Festival du Cinéma espagnol de Nantes souhaite jouer le rôle de plateforme de débat sur les Droits de l’Homme. Cette année, le documentaire Invisibles a trouvé tout naturellement sa place dans cette section.
Cinq réalisateurs pour un documentaire
Né d’une rencontre entre l’acteur Javier Bardem et les équipes de Médecins Sans Frontière Espagne en Afrique, le documentaire Invisibles, produit par Bardem, est une réponse au souhait de MSF Espagne de faire en sorte que les invisibles de la planète deviennent un peu plus visibles. Ces invisibles, ce sont les victimes des "conflits oubliés" des médias, dont MSF publie la liste chaque année et dans laquelle les cinq réalisateurs associés au projet ont choisi un sujet qui les touchait en particulier. Un choix pour le moins difficile au cours duquel MSF les a guidés, a précisé Fernando León de Aranoa.
ce film est une réponse au souhait de MSF de voir les invisibles de la planète devenir un peu plus visibles
Le documentaire est ainsi constitué de cinq segments réalisés par Isabel Coixet, Wim Wenders, Fernando León de Aranoa, Mariano Barroso et Javier Corcuera., avec chaque fois un mode de narration différent. Deux thèmes principaux ressortent des différentes situations tragiques abordées : le problème des maladies négligées par la recherche car non rentables pour les laboratoires pharmaceutiques et l’impact des conflits armés sur la société civile, et notamment les femmes et les enfants.
On y découvre l’histoire d’une jeune aide-soignante bolivienne dont les membres de la famille restés au pays sont touchés par la maladie de Chagas (infection parasitaire), le drame des femmes de la République Démocratique du Congo victimes de viols systématiques, celui des victimes de la maladie du sommeil en République Centrafricaine, le courage des déplacés de Colombie qui retournent sur les terres qu’ils ont dû abandonner, et enfin le cas des enfants soldats du Nord de l’Ouganda.
Un “conte gothique”
C’est à la situation des enfants soldats que s’est intéressé Fernando León de Aranoa dans sa contribution intitulée " Buenas noches, Ouma" (Bonne nuit, Ouma). Le film commence de nuit, on y voit quelques adultes qui préparent des couchages sur le sol et des enfants qui se déplacent par petits groupes vers les refuges qui les accueilleront pour la nuit. On les appelle les "Night commuters" car, chaque soir, ils peuvent faire de 5 à 10 km pour rejoindre ces refuges. “On aurait dit une sorte de conte gothique, j’ai senti que j’étais capable de traiter ce sujet”,raconte le réalisateur.
Un conte gothique tragique, comme le montrent les nombreux témoignages sur les peurs nocturnes de ces enfants qui ont bien souvent déjà subi un enlèvement mais ont réussi à s’évader des camps des rebelles : "Je n’aime pas la nuit, c’est pendant la nuit que j’ai été enlevé". L’entrée en contact du réalisateur avec ces jeunes a été facilitée par les équipes de MSF qui travaillent depuis plusieurs années sur place et par la présence de médiateurs qui entretenaient déjà une relation de confiance avec les enfants et qui lui ont permis de recueillir tous ces témoignages.
Lucidité et courage
Les rebelles dont parlent les enfants sont ceux de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) en guerre depuis plus de vingt ans contre le gouvernement ougandais et dont les troupes sont majoritairement constituées d’enfants soldats. Selon les sources, de 30 000 à 60 000 enfants ont ainsi été enlevés. Comment en est-on arrivé là ? Au cours du documentaire, les enfants nous expliquent de façon lucide que les rebelles ont constaté que les enfants étaient courageux, assez dociles et qu’ils n’avaient pas peur de la mort. "J’ai été surpris de constater la maturité des enfants", témoigne Fernando León de Aranoa, "les plus conscients sont ceux qui ont dû tuer et qui ont un fort sentiment de culpabilité."
J’ai trouvé une société plus avancée que la nôtre
Car ils n’ont pas eu le choix. En guise d’initiation, ils ont souvent dû tuer celui qu’on leur désignait pour ne pas être tué, ils ont dû partir au combat en première ligne ou risquer d’être abattu par les rebelles. Aujourd’hui, il leur faut vivre avec ces souvenirs douloureux et avec la peur d’être repris par les rebelles car, malgré des améliorations, le conflit n’est toujours pas terminé.
Malgré tout, ces refuges, véritables arches de Noé, existent et rassurent les enfants qui peuvent également extérioriser leurs peurs à travers des chants et des pièces de théâtre. De leur côté, les médiateurs interviewés parlent de la nécessaire réconciliation des rebelles avec la population, en dépit de leurs crimes, pour pouvoir envisager un retour à la paix. "J’ai trouvé une société plus avancée que la nôtre [sur ces questions]", raconte Fernando León de Aranoa.
Avec Invisibles, l’objectif premier de Bardem et MSF Espagne était d’attirer l’attention d’un large public sur ces conflits oubliés des médias, la télévision avait donc été choisie comme principal mode de diffusion. Mais le nom de Wim Wenders a attiré l’attention de la Berlinale (le Festival international du film de Berlin) qui l’a inscrit à son programme en février dernier. De façon inattendue, il a ainsi commencé une carrière dans les festivals de cinéma européens et reçu le Goya 2008 du meilleur documentaire en Espagne. Une autre façon d’attirer l’attention sur les drames des êtres humains au cœur de ce documentaire.
Emilie Le Moal
Photo du bandeau : Patrice Molle
Le site du Festival du Cinéma Espagnol de Nantes
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