Le nouveau pamphlet cinématographique de Ken Loach
"It’s a free world" : un monde libre et, par dessus tout, libéral
Après une palme d’or à Cannes en 2005 pour "Le vent se lève", on aurait pu penser que Ken Loach, le réalisateur britannique, se serait assagi. Ce n’est pas le cas. La preuve en est avec son dernier film : "It’s a free world", une chronique percutante et réaliste qui dénonce les dérives d’un monde global et d’une économie ultra-libérale.
Ken Loach est un réalisateur prolifique : une vingtaine de films en trente ans. Chacun est une occasion pour lui de dénoncer, à sa façon, les injustices du monde qui nous entoure. En effet, l’un des fers de lance du réalisateur anglais est de montrer aux spectateurs une vérité sociale qu’il ne faut pas oublier. Des jeunes défavorisés de Sweet Sixteen aux préjugés raciaux dans Just a kiss en passant par la difficulté d’être une famille monoparentale dans Ladybird, chaque film est l’occasion de rendre visible les maux de notre société occidentale. It’s a free world est dans la même veine que ses prédecesseurs : un état des lieux réaliste mais également, plus percutant et plus sombre.
L’histoire d’une femme actuelle
En cinq minutes, le cadre est posé. Angie est une femme déterminée. Elle sait où elle va et coûte que coûte, elle y arrivera. Salariée pour la société d’intérim Coreforce Recruitement, elle est chargée de recruter des polonais pour les employer en Grande-Bretagne. Cette image est à la mesure du monde qui nous entoure, totalement empreint de libéralisme économique. Pourtant, lorsque son patron lui fait des avances indécentes, Angie se rebelle. Licenciée, elle décide de créer sa propre boîte d’intérim avec l’aide de sa colocataire et amie, Rose.
Sous couvert d’offrir un monde meilleur à son fils, elle est prête à tout (...) Ce personnage féminin fort est une belle métaphore de la société qui nous entoure : impitoyable et libérale.
Mère d’un petit garçon d’une dizaine d’années et criblée de dettes, elle est dans l’obligation de laisser son fils à ses parents le temps de se retourner et d’arranger sa situation. Malgré son caractère bien trempé et son esprit pratique, l’entreprise d’ Angie tourne à la catastrophe. Prise dans l’engrenage, sa seule solution sera l’illégalité.
Une réalité difficile à regarder
Ken Loach nous brosse un portrait sans concession d’une Grande-Bretagne libérale où chaque individu doit se battre pour atteindre une vie, non pas idéale, mais seulement, un peu meilleure. Un vrai coup de poing. Filmé comme un documentaire avec un premier rôle interprété avec justesse par Kierston Wareing, It’s a free world nous montre une société pas belle à voir. Un monde où l’individualisme prime et où solidarité et entraide ne sont que des chimères passées. Chacun ces objectifs, ceux d’ Angie sont clairs. Elle doit rembourser ses dettes quitte à devoir oublier sa morale.
A travers le personnage d’ Angie et celui de son père, ce sont deux générations, deux façons de vivre et de penser l’avenir qui se confrontent.
En effet, intraitable en affaires, la jeune femme n’hésitera pas à exploiter des travailleurs clandestins tandis que son père essaie de l’en dissuader. Pour lui, l’important n’est pas tant l’argent que de se soucier des autres. Sa vision est celle d’un homme qui ne conçoit pas que l’on puisse écraser les autres pour s’en sortir. Sauf que lui, il a exercé une seule profession dans sa vie, comme le lui rappelle sa fille, qui, à moins de trente ans, a déjà une dizaine de métiers différents à son actif. La société a changé et chacun doit s’adapter. Ainsi, comme le dit l’un des personnages en citant une chanson de Bob Dylan : "les temps changent".
Ken Loach, plus sombre que d’ordinaire
Ainsi, Ken Loach a lui aussi "changé" son cinéma. D’habitude empreint d’un certain optimisme, It’s a free world rompt la tradition. Bien sûr, il continue de décrypter avec clarté la société qui nous entoure mais, guidé par le scénarion de Paul Laverty, le regard du réalisateur se fait plus noir que par le passé. Aucune place n’est laissée à l’optimisme dans ce film. Ses héros d’antan, jamais parfaits mais toujours solidaires, laissent place à des personnages auxquels seule la situation personnelle importe.
Mais qui est vraiment Angie ? Pour elle : "It’s a free world !". Sous couvert d’offrir un monde meilleur à son fils, elle est prête à tout : employer des travailleurs immigrés ou dénoncer des sans papiers pour obtenir un contrat, sa morale est inexistante.
Finalement, ce personnage féminin fort est une belle métaphore de la société qui nous entoure : impitoyable et libérale.
Aurore de Souza Dias
Le Katorza, cinéma d’Art et d’Essai, place Graslin à Nantes.
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