Nosfell : Le chant de visions
Rencontre avec Nosfell à Allones
On le connaissait en scène, mystérieux oiseau en équilibre sur les harmonies, s’envolant dans les boucles musicales et les danses spasmophiles. Descendu de son aire, affable et volubile, il parle, et élargit notre chant de vision.
En 2004, au Parc des Princes, en première partie de stars décaties, Nosfell apparaissait seul, ceint d’un pagne jaune ; bouc luciférien, hululements rauques et jeu de scène épileptique. Fidèle à son image extravagante et inaccessible, il se perchait sur le plus hautes branches des arbres de Klokochazia. Dans cet archipel mental dont l’imagination génère la géographie, les habitants s’engendrent eux-mêmes, comme des notions philosophiques se génèrent entre elles.
L’homme qui chante et le serpent qui danse
Admiré de ses pairs, Nosfell a aussi collaboré avec des personnalités aussi hétéroclites que Loïc Lantoine, Ezechiel ou les psychédéliques Kafka. Révélation du Printemps de Bourges, sélectionné pour les Victoires de la Musique et le Prix Constantin de la chanson française, il n’a pourtant jamais obtenu des lauriers mérités.
Le personnage échappe aux définitions classiques ; c’est sur les planches qu’il prend toute sa dimension. Il est un serpent qui se défait de sa mue quand il se contorsionne, et de sa réserve quand il chante. Lorsqu’il met son thorax à nu, les étranges tatouages de son flan s’animent, et répondent à l’expressivité primitive de son visage glabre.
De sa bouche sortent alors des voix qui évoquent autant de personnages d’un théâtre vocal. Passant dans la même phrase savamment rythmée du râle métallique à la comptine d’enfant, Nosfell convoque un monde de voix qui se font écho et déclenchent les frissons de la salle. (Nosfell en concert->http://www.fragil.org/portfolios/918])
De sa bouche sortent des voix qui évoquent autant de personnages d'un théâtre vocal.
Soutenu par son acolyte violoncelliste Pierre Le Bourgeois, le faune déclame ses introspections symbolistes sur des rythmes gutturaux, des envolées de haute-contre dignes de Klaus Nomi, louvoyant comme Mike Patton entre le hurlement et le chant des sirènes. C’est autant dans l’héritage des musiques d’ailleurs, du folk sophistiqué de Joni Mitchell ou des percussions vocales d’Afrique qu’il faut aller chercher des racines de leurs compositions, qui s’appuient sur une noria de machines à boucles et une guitare mi-thyrse, mi-lyre... Pourtant, peu, avant eux, avaient cherché à révéler les accents du chant en les doublant de la voix humaine, si troublante, du violoncelle.
Pas de lauriers mais quelques arbres
A Allones, près du Mans, il n’y a pas de lauriers, mais des arbres bien réels. Flanqué de Pierre Le Bourgois, Nosfell approche, le crâne lisse, le visage lunaire et le rire timide aux lèvres. Entourés par les pépiements des passereaux printaniers, on découvre avec évidence un homme réservé, courtois, attentionné, et l’immense artiste fait simplement place à un homme sacrément grand !
Tandis qu’il couvre prudemment sa gorge d’une écharpe, Nos’ retrace quelques traits d’une adolescence dans les Hauts-de-Seine, où se croisent des petits boulots bien réels, un père voyageur polyglotte et une intarissable inventivité artistique.
Je me méfie cruellement du premier degré !
Au fond du corps athlétique de cette personne aimablement introvertie, on devine bientôt les souvenirs d’un enfant ‘pas comme les autres’, que viennent hanter des divagations ambiguës, et qu’un amour salutaire pour la musique vient illuminer.
Pourtant, le génie n’est pour rien dans la création de ses deux merveilleux albums. Le chant, la musique, et le Klokobetz sont longtemps restés indépendants les uns des autres. Avant de se transformer en chroniques, les fantasmes de Klokochazia prirent la forme de personnages, de symboles, et de phonèmes obsédants, puis se fondirent dans la musique, au terme d’une décennie de synthèse artistique.
Mythes et figures
Quelques mots sur sa langue créée de toute pièce, le Klokobetz. On pense évidemment au Kobaïen, la langue du groupe Magma. Erreur, car Christian Vander prône une philosophie diamétralement opposée à celle de l’habitant de Floharlem Middlewel. Seule, la place prééminente de la voix les rapproche. Si la figure récurrente du Maître apparaît dans leurs deux mondes, c’est dans des visées antagonistes : la soumission servile de la masse à la force virile prédomine chez le guru de la Zeül-Muzik, tandis que c’est la quête individuelle qui préside aux explorations illuminées du Klokobetz.
Le troubadour de Bedbeï offre désormais quelques clés pour interpréter ses thèmes de prédilection, parsemés dans des textes pathétiques et beaux : communication, initiation, solitude, amour et destruction. Au coeur de la quête, un personnage -lui-même- parcourt Klokochazia en quête de Maître Günel, et finit par se confronter à cet être ambivalent, cruel et fuyant. Dramatique, voire tragique, le voyage s’avère finalement sans retour. Une parabole de l’âge d’homme ? "Une sorte d’initiation, peut-être...". La résignation de ses personnages n’est pas celle du charmant Labyala. Reprenant son long sac de plumes, le "serviteur de vos oreilles" reprend sa route. Vers le but de sa quête mythique ? Pour l’heure, simplement vers les loges de la salle Jean Carmet...
Le troisième album est déjà largement pensé ; le mystère reste entretenu sur ce qu’il pourra contenir. Le voyage dans lequel le "fils du renard" entraînera l’auditeur n’est circonscrit que par les limites métaphoriques de son esprit .
Texte et sons : Renaud CERTIN
Photos : Alizée QUELIER
Pour en savoir plus sur les albums Kalin Bla Lemsnit, Dünfel Labyanit, Pomaïe Klokochazia Blek, et le DVD Oklamindalofan, voir l’interview de Pierre Le Bourgeois, la double page dans Fragil papier n°6, et le portfolio du dernier concert de 2008
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