Rencontre artistique
Kaïros : quatre artistes du temps
Kaïros est un collectif de quatre femmes artistes réunies autour d’une même passion, dans un même lieu. Entraide et bienveillance les lient. Qu’elles soient costumière, plasticienne, scénographe, comédienne : leurs pluralités s’imbriquent. L’art de prendre le temps de créer est leur dénominateur commun.
Dieu ailé de la mythologie grecque, Kaïros symbolise le temps de l’occasion opportune. A la différence du dieu Chronos, l’instant ne se mesure pas grâce au tic-tac d’une horloge ; il ouvre une porte sur une nouvelle perception de l’univers, un ressenti. En langage courant, on parle de l’instant T ; ce laps de temps à la croisée des chemins...
Un lieu, des rencontres
Elles se sont rencontrées au carrefour de leur cheminement artistique, il y a un an. Cette opportunité, Julie, Delphine et Morgan l’ont saisie au moment où elles ont rejoint Kaïros. A l’origine de ce collectif créé en mai 2013 : Hélène Lafosse, toujours partie prenante de l’aventure, et Marina Pirot. D’un ancien institut de beauté rezéen, qu’elles réhabilitent à la force du poignet, elles donnent naissance à un laboratoire d’art interdisciplinaire, se jouant de l’agencement qui leur est offert comme d’une ouverture sur le monde. De la réflexion à la gestation pour arriver à la création, l’inspiration transpire à Kaïros.
De la réflexion à la gestation pour arriver à la création, l'inspiration transpire à Kaïros
Tour à tour espace de répétitions, d’expérimentations, d’accrochages ou atelier, rien n’y reste figé, tout se transforme. Une pièce incarne particulièrement cette opulence créative : le studio.
Julie file le temps
Pour s’y rendre, il faut monter un escalier escarpé. Une dernière marche. Un coup d’œil au coin-couture, l’espace attitré de Julie, avant de plonger ce jour-là au cœur d’un pêle-mêle d’objets, de tissus, d’outils jonchant le sol, un bureau d’appoint et des chaises. Une enfilade de vêtements orne des portants. Julie Coffinières, ciseaux en main et aiguille à la bouche, s’affaire à la réalisation des costumes d’une revue-cabaret. La date de la première approche. Ainsi, quand le studio devient cabine d’essayage, son travail prend vie.
Quand le studio devient cabine d'essayage, son travail prend vie
Car si les Beaux-Arts l’ont conduite à collaborer à l’installation Le Léviathan d’Ernesto Neto ou à l’exposition Un bœuf sur la langue d’Orlan, Julie ne se cantonne pas à l’art contemporain. Elle coud, assemble, monte pour de petites compagnies. Le métier de costumière, elle l’a appris en faisant, au fil du temps.
Delphine tisse le temps
Delphine Soustelle Truchi a plusieurs cordes à son arc. Édition, graphisme, arts visuels et vivants, elle met en scène, en voix ou en page les espaces comme les images. Plasticienne avant tout, elle ancre sa pratique dans son quotidien ; un quotidien réservoir de matières premières pour ses créations et genèse de sa réflexion sur le temps.
Faire un pas de côté, observer, avant de (ré)utiliser ce qui est laissé à la marge
Ce rapport à la temporalité, elle l’expérimente à travers le tissage. Un geste qui lui permet d’éprouver de la lenteur comme pour aller à rebrousse-poil d’un fonctionnement actuel. Faire un pas de côté, observer, avant de (ré)utiliser ce qui est laissé à la marge.
Cette intention de porter le regard autrement, Delphine la transpose également à travers Le burô des correspondances. Des ateliers ouverts mais surtout partagés avec le public où la création sous toutes ses formes fait sens.
Morgan pose le temps
En tant que scénographe, Morgan Guicquéro collabore à plusieurs projets. Son actualité ? La pièce La criée du printemps, jouée par le Lycanthrope Théâtre. En solo, elle performe en tant qu’artiste visuelle. La matière : c’est elle. Corps et espace se confondent. Morgan mêle approche conceptuelle et réflexion constante. Poser un regard sur le monde est le propre de l’artiste chercheur.
Poser un regard sur le monde est le propre de l'artiste chercheur
Une tranche de vie journalistique peut ainsi devenir prétexte à la création. 1961, la ville de Santa Cruz en Californie est envahie par une nuée d’oiseaux. Ici débute son questionnement : qu’est-ce qu’un fait divers ? Comment est-il raconté ? Pour aboutir à des interrogations plus généralistes comme : qu’est-ce qu’un média ? L’œuvre finalisée acquiert plusieurs couches de lecture. Puis elle s’expose sans que soit mesurées la portée du rendu, les réactions suscitées. A travers la pose, le temps s’arrête. Sa création ne lui appartient plus.
Hélène déclame le temps
Sa rencontre avec Jean-Pierre Siméon l’amènera à la poésie, même si le théâtre reste son premier amour. Hélène Lafosse est une touche-à-tout théâtrale : artiste-interprète, metteur en scène, danseuse... De la scène aux pavés, elle investira une nouvelle fois les rues rezéennes avec sa Compagnie Transversale, à l’occasion du Printemps des Poètes 2016. Elle aime donner à sourire, à la lueur de quelques versets, pour que se dessine la beauté du réel à travers un langage métaphorique. La poésie nous entoure. L’écouter aide à prendre de la distance avec notre monde moderne pour mieux le supporter. On peut aborder tous les sujets de manière poétique. Les tragédies deviennent belles déclamées en vers.
On peut aborder tous les sujets de manière poétique. Les tragédies deviennent belles déclamées en vers
Dans cette perspective, Hélène travaille déjà à la programmation du 18ème Printemps des Poètes. Des collaborations avec Flora Josse autour du spectacle Qui dit vieux ?, Denis Moulet, plasticien street art (vidéo ci-dessous) et bien d’autres surprises ponctueront ce rendez-vous, le temps d’une parenthèse poétique.
Si la singularité de Kaïros semble résider dans sa composition exclusivement féminine, loin d’être une volonté, le hasard a œuvré. Un lien invisible les unit, fait de petits riens, d’une présence, de discussions, d’échanges de savoirs ou de compétences. Chaque instant partagé a son importance et contribue à l’émulation créatrice généralisée. Ces quatre drôles d’artistes se nourrissent les unes les autres. Elles habitent de leur bienveillance au sens propre comme au sens figuré, ce cocon artistique. Ce lieu propice à être soi pour enfin prendre le temps de la création, même si chacune court après le temps…
Stéphanie Lafarge
Photos : Stéphanie Lafarge / Benjamin Dubois / Morgan Guicquéro
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