Rencontre de Jean-François Sivadier avec Rossini
Un barbier électrisantÂ
La mise en scène de Jean-François Sivadier du «  Barbier de Séville  » de Gioachino Rossini (1816), a été créée à l’opéra de Lille en mai 2013. Ce spectacle étourdissant, d’une vie incroyable sur le plateau et sans aucun temps mort, a été repris la saison dernière à Limoges, Caen, Reims et Dijon : il réalise un accord parfait entre musique et théâtre, aux portes de l’ivresse !
En février 2000, Jean-François Sivadier montait Le mariage de Figaro de Beaumarchais au TNB de Rennes, avant une reprise en tournée puis au théâtre des Amandiers de Nanterre. À l’époque, il n’avait pas encore mis en scène d’opéra, mais le jeu avec la musique, de Mozart à Brigitte Fontaine en passant par Les métamorphoses de Richard Strauss, enveloppait cette folle journée d’un rythme fabuleux. Sa vision des Noces de Figaro de Mozart en 2008 à l’opéra de Lille se nourrissait de ce souvenir de théâtre et le transfigurait en un spectacle total, d’une incroyable ferveur. En s’emparant en 2013 du Barbier de Séville de Rossini, également inspiré d’une pièce de Beaumarchais, il a porté à son incandescence l’énergie qu’il transmet à une troupe d’opéra, pour une réjouissante liberté d’invention et de jeu et un tourbillon de vie en direction du public.
Dans l’ivresse du jeu
L’utilisation par Frederico Fellini de la brillante ouverture du Barbier de Séville dans son film Huit et demi (1963) donne une sensation inouïe de liberté. Jean-François Sivadier fait de cet éblouissant prélude orchestral une scène où le théâtre déborde dans une invention de chaque instant.
Armando Noguera est stupéfiant en Figaro, le barbier venu offrir ses ruses au jeune comte Almaviva afin qu’il épouse Rosine, retenue captive par le docteur Bartolo. L’artiste entraîne le public dans ses émotions et ne le lâche plus, offrant des instants de bonheur qui vont jusqu’au vertige. Dès son arrivée, il s’impose dans une véritable urgence, en totale symbiose avec une musique sur laquelle il prend un plaisir communicatif. Il s’empare de la chantilly du gâteau de mariage, s’en sert comme mousse à raser pour un spectateur puis chauffe la salle en invitant le public à faire une ola.
Dans un opéra où l'on se travestit beaucoup, afin d'échapper à la précaution inutile du docteur pour conserver Rosine, Figaro est ici plus que jamais un meneur de jeu
Dans un opéra où l’on se travestit beaucoup, afin d’échapper à la précaution inutile du docteur pour conserver Rosine, Figaro est ici plus que jamais un meneur de jeu. L’ensemble de la troupe s’investit dans cette exubérance joyeuse et fait pétiller la partition du grand Gioachino, tout en ménageant quelques instants de grâce et un bel éclat dans les ensembles. Taylor Stayton offre de beaux moments de théâtre et un chant radieux à la figure d’un comte électrisé par Figaro.
La soprano Eduarda Melo, qui avait déjà travaillé en 2010 avec Jean-François Sivadier Frasquita dans Carmen, confirme une lumineuse présence sur scène en Rosine. Elle a aussi apporté son énergie et ses aigus miraculeux à une Belle de Cadix sortie d’un film d’Almodovar, dans la mise en scène inventive d’Olivier Desbordes au Festival de Saint-Céré. En 2009, l’artiste avait participé à la résurrection des fées de Richard Wagner au Théâtre du châtelet, dans le rôle de Zemina. Ce barbier de Séville repose sur un esprit de troupe et un bonheur de jouer ensemble sur le plateau, par lesquels l’idéal de Jean-François Sivadier est pleinement atteint.
La revanche d’une chanteuse
Berta est la femme de chambre de Bartolo. Son rôle dans l’action est secondaire, elle n’intervient que dans quelques ensembles et n’a qu’un seul air à chanter, au deuxième acte. Jean-François Sivadier en fait une figure passionnante, en jouant sur la frustration qu’on pourrait imaginer par cette présence réduite dans la partition. Ce n’est pas Berta mais la chanteuse qu’il nous montre, avec ses attentes et ses espoirs. Ce que construit Jennifer Rhys-Davies, qui a beaucoup joué dans Le barbier de Séville au Covent Garden de Londres, est fascinant.
Dans son air, Berta dit se sentir méprisée face au bonheur à venir des jeunes amants, « Son da tutti disprezzata » (« Tout le monde me dédaigne »). C’est ici la chanteuse qui prend sa revanche. Elle s’impose dans l’ombre de Rosine, tente de s’approprier ses gestes ou de copier sa démarche en un désopilant mimétisme, à moins qu’elles ne jouent un même personnage. L’aria tant attendue est la grande scène où la diva se libère, à laquelle elle s’est préparée pendant tout l’opéra, et qui devient un formidable moment de théâtre, qu’elle achève par d’interminables saluts au public.
L'aria tant attendue est la grande scène où la diva se libère, à laquelle elle s'est préparée pendant tout l'opéra, et qui devient un formidable moment de théâtre
Dans la récente reprise de Madame Butterfly à l’opéra de Lille, Jean-François Sivadier raconte une semblable histoire à la fin du premier acte. Pendant le duo d’amour de Butterfly et de Pinkerton, Anne-Cécile Laurent, qui interprétait le petit rôle de la mère, s’endormait dans un coin du plateau. Elle était réveillée par les applaudissements du public et saluait à la place des deux chanteurs qui avaient quitté la scène. Cet effet inattendu et très drôle nous rappelait que, par delà l’action qui se jouait, nous étions avant tout sur une scène d’opéra, où chacun poursuit ses rêves.
Christophe Gervot
Une grande nouvelle : Jean-François Sivadier mettra en scène le Don Juan de Molière au TNB de Rennes du 22 mars au 7 avril 2016. Le spectacle sera repris en tournée et au théâtre de l’Odéon la saison suivante. On rêve de la vision du Don Giovanni de Mozart qu’il offrirait...
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