DEBAT CULTURE
Voyage au centre de la ville
Rencontre avec Jean Blaise, directeur du Voyage à Nantes
Pour que Nantes devienne une destination qui marque les esprits, Jean Blaise a imaginé Voyage à Nantes. Dès 2012, les Nantais et surtout les touristes pourront embarquer à bord du VAN (Voyage à Nantes). En mettant le cap sur le tourisme culturel, le projet ambitieux de Jean Blaise laisse sur le quai la périphérie nantaise malgré des investissements colossaux.
Les Machines de l’Ile, le Lieu Unique, c’est lui. Derrière son sourire malicieux et cet air un peu désinvolte, se cache un fin orateur qui choisit soigneusement ses mots.
Lieutenant de longue date de Jean-Marc Ayrault, Jean Blaise fait figure d’oracle de la culture à Nantes. Depuis 2007, il a imaginé faire du "Petit Paris" une destination de choix où l‘on a envie de séjourner pour un week-end ou plus, par le biais du Voyage à Nantes. L’idée ? Regrouper l’office de tourisme de Nantes Métropole, la SEM (Société d’économie mixte de Nantes culture et patrimoine) et la structure Estuaire dans une même entité, celle du VAN (Voyage à Nantes). Depuis quatre ans, l’idée mûrissait. Le Château, les Machines, Estuaire pouvaient donner du grain à moudre à Jean Blaise. Le patron du VAN a décidé d’utiliser ces éléments, pour créer une nouveauté à Nantes : "On s’est aperçu que ce qui a été fait a été perçu comme une richesse. Il ne s’agissait pas de créer à tout prix des objets touristiques, mais développer un tourisme culturel. C’est essentiel pour plus de flux, de venues, de dynamisme économique". Aux yeux de Jean Blaise, la culture est un levier pour obtenir des retombées économiques. Un objectif pas gagné d’avance puisque du bout des lèvres, l’ancien directeur du Lieu Unique confie : "Nantes n’est pas forcément une ville remarquable, alors que Bordeaux est connue pour son architecture ou ses vins". Les amateurs de vin apprécieront, lorsqu’on sait que Nantes est considéré comme le pays du muscadet [1]. Selon lui, la capitale des Pays de la Loire est plus difficile à caractériser du fait de l’absence de monument internationalement reconnu. Pourtant, c’est cette même ville qui a vu grandir des artistes comme Jules Verne ou Jacques Demy.
Un discours bien rôdé
On n'a pas la prétention de tout montrer, on n'a pas envie non plus de transformer la culture nantaise
Pour capter le touriste, Jean Blaise prend le pari que la ville de Jules Verne a de la ressource. Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, la Fabrique, les Beaux Arts, les touristes n’auront apparemment que l’embarras du choix pour visiter. A l’aide d’une étonnante communication, Monsieur Blaise veut que Voyage à Nantes rassemble la culture en différents points. Il y aura donc trente stations dans le parcours du VAN. Pour que ces lieux deviennent stratégiques l’intéressé veut "les valoriser durant les week-ends, les vacances". Pour autant, pas question pour l’ex monsieur LU de remplacer les acteurs de la culture : "Nous n’avons pas la mainmise sur la culture, on s’occupe simplement de la gestion. Le Château, les Machines, chaque structure a son propre décisionnaire. Ils sont chargés du fond, nous on s’occupe de la communication". Difficile d’imaginer pourtant que le fond et la forme ne se côtoient pas un minimum pour obtenir un résultat cohérent. Et pour Jean Blaise, promouvoir Voyage à Nantes passe par de la communication, un discours bien rôdé et des images marquantes : "Quand on a fait Voyage à Nantes, on s’est aperçu qu’on avait pas de bonnes photos de Nantes. Ces clichés des Machines de l’Ile sont particulièrement réussis car les œuvres sont conçus par des artistes. C’est pourquoi on a invité six photographes à poser un regard sur Nantes. Le résultat est superbe". Les clichés serviront ensuite à la presse dans le but de "révéler la Ville pour ne pas qu’ils deviennent de simples photos". Lorsqu’on évoque le fait que VAN pourrait stéréotyper Nantes, Jean Blaise répond sans détour que c’est un risque : "Découvrir une ville c’est découvrir des points de vues, des perspectives. Il est difficile de la comprendre dans son ensemble, mais on peut présenter la forme d’une ville. On fera des réductions, qui permettront de faire découvrir différents lieux. On n’a pas la prétention de tout montrer, on n’a pas envie non plus de transformer la culture nantaise". Pourtant pour rentrer dans le carré VIP du Voyage à Nantes, certaines structures ont été privilégiées à d’autres, à savoir le cœur de ville avant tout.
Allier culture et économie
On fait le pari que cette idée de voyage peut donner un plus à Nantes, et que les gens auront de quoi faire en venant ici
Si Jean Blaise ne cherche pas à transformer Nantes, ce tourisme aura un impact, puisque c’est une grande première. Ce projet est aussi le fruit d’une réflexion portant sur les enjeux économiques : "La France est le pays le plus visité au monde et le tourisme est sûrement la première économie. [2] Cela montre que le tourisme culturel a un intérêt, ça représente un marché considérable" concède le gestionnaire Jean Blaise. Alors l’intérêt du Voyage à Nantes est-il économique ou culturel ? Le patron du VAN pense que les deux domaines ne sont pas incompatibles. Jean Blaise évoque même son ancien QG, Le Lieu Unique. Pour lui, c’était une structure avant tout culturelle, mais elle a pris une dimension économique. Il ajoute même : "Un artiste vit comme tout le monde, l’économie artistique est donc très importante, déterminante. Séparer les deux ? Cela voudrait dire qu’il y a une économie qui dégrade la culture" ? Il n’hésite pas à dire que la capitale des Pays de la Loire "n’a pas besoin d’être capitale européenne de la culture". Jean Blaise cherche à symboliser Nantes et il espère que ce VAN deviendra une marque, un label : "Ce sera sûrement un cheminement difficile, car c’est souvent un monument fort qui symbolise une ville. Par exemple il y a Bilbao avec le Guggenheim. Ce musée a transformé la ville. On fait le pari que cette idée de voyage peut donner un plus à Nantes, et que les gens auront de quoi faire en venant ici". Pour l’ex-Allumé, les Nantais vont redécouvrir leur ville, il envisage même de rouvrir le dernier étage de la Tour de Bretagne pour en faire un bar. Le projet du VAN est aussi là pour séduire les Nantais, mais qu’en est-il du reste ? Jean Blaise concède que la périphérie ne sera pas concernée, que seul le centre-ville constitue le Voyage à Nantes. Bouguenais, Coueron, Rezé, Le Pellerin, Paimboeuf se contenteront seulement des oeuvres qui seront visibles entre Nantes et Saint-Nazaire. Jean Blaise ajoute "Il y aura également une extension de parcours, à Rezé avec la Maison radieuse Le Corbusier ou le Pendule de Trentemoult car ce sont deux endroits qui font partie du patrimoine. Une autre extension est prévue, elle passera par Malakoff, Pont Tabarly, et Hôtel de Région". Si la périphérie n’a que les miettes du Voyage à Nantes, Jean Blaise, travaillera dès 2013 sur des projets plus excentrés comme l’axe Nantes-Clisson, qui sera, selon lui "une belle invitation au voyage", un petit clin d’œil à Baudelaire ? Développer la route des vins, la Loire, l’Erdre, l’homme des grands chantiers y songe aussi. Jean Blaise a à cœur que les commerces, les restaurants, les bars se mettent en ordre de marche pour contribuer au succès du VAN. Là, encore seules les structures concentrées dans le centre ville auront leur place.
La carotte et le navet public
Pas de panique, car si Jean Blaise a les idées, Nantes Métropole a le pétrole. C’est donc en toute confiance que Jean-Marc Ayrault lui a confié les clés pour la valorisation du patrimoine culturel à Nantes. Jean Blaise a été sollicité pour mener à bien ce projet, Nantes Métropole se charge de le financer. Quelque peu évasif sur le budget Monsieur VAN admet : "On ne peut pas faire un coût global car il est difficile de mélanger les carottes et les navets, et là c’est plusieurs budgets qui sont additionnés. Le Château des Ducs de Bretagne représente à lui seul 7 millions d’euros. Si on ne compte pas le projet Estuaire, on peut estimer que Voyage à Nantes représente 13 millions d’euros". On déplore quand même ce manque de précisions concernant les chiffres, surtout quand il s’agit de fonds publics. Nantes a tout de même choisi d’exploiter le filon sans modération. Actuellement la Ville consacre 15% au budget de la culture. Pour Jean Blaise, même si déjà beaucoup, rien n’est jamais trop pour ce domaine qu’il affectionne : "La culture coûte ce que ça vaut. C’est soi disant gratuit et inutile, mais pour certains ronds points à la con on ne se pose pas la question de l’argent. Le coût ça ne veut rien dire, car la culture créer une économie hallucinante. Le tourisme se développe grâce à la culture ou aux plages. Or, à Nantes, on n’a pas de plages, donc il nous reste ça. Et la culture n’a pas de prix". Si Nantes ne possède pas de plage, Jean Blaise planche sur l’avenir, il aimerait que l’eau et le littoral qu’il qualifie comme des "trésors" soient davantage exploités. Jean Blaise reste prudent quant à l’avenir de Nantes : "Ce qui m’intéresse c’est l’année prochaine, pour 2030 on verra" confie-t-il avec un sourire. Jean Blaise veillera à ce que son VAN tienne la route.
Hélène Hamon
Photos : Aurélie Crouan
[1] Ce vin qui a d’ailleurs pris des galons depuis sa consécration par Stéphane Pajot dans le bâtiment de Trempolino
[2] La France reste la 1ère destination en 2009 comme en 2010.
Bloc-Notes
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