INTERVIEW
Entretien avec Catherine Blondeau
Du très local à l’international
Catherine Blondeau signe sa première saison à la tête du Grand T. Au cours de missions qui l’ont conduite en Afrique du sud, en Pologne, et tout récemment au festival «  Automne en Normandie  », elle a défendu un art multiple, à la fois de proximité et ouvert sur le monde. Au cours d’un entretien qu’elle nous accorde, elle développe ce que sont ses priorités artistiques dans ses nouvelles fonctions.
Fragil : Quel a été votre itinéraire avant de prendre la direction du Grand T ?
Catherine Blondeau : J’ai une formation littéraire. Je me suis intéressée à la littérature française du XVIIIème siècle puis aux littératures post-coloniales. Dans le cadre de ma thèse de doctorat que j’ai soutenue en 1994, j’ai travaillé sur les salons au XVIIIème siècle qui étaient des lieux d’agitation intellectuelle, de rencontres et de croisements. J’ai obtenu mon CAPES en 1985 et mon agrégation en 1988. J’ai enseigné en Secondaire et à l’Université. Au cours de mes années d’études en Normandie, je me suis passionnée pour le jazz. En conjuguant mes intérêts pour la littérature, la musique et les arts en général, j’ai postulé pour un poste du réseau culturel à l’étranger. C’est ainsi que j’ai dirigé, de 1998 à 2002, l’Institut français d’Afrique du sud, à Johannesburg, organisme fondé sur la recherche et les échanges culturels entre nos deux pays. J’ai travaillé sur d’autres montages de projets communs en devenant ensuite attachée culturelle à Varsovie, de 2002 à 2006. A mon retour en France, en 2006, j’ai pris les fonctions de conseillère artistique à la programmation du festival Automne en Normandie, qui conjugue théâtre, musique et danse. J’ai également repris des activités universitaires, en dirigeant un master professionnel de développement des publics de la culture.
Quelles priorités artistiques allez-vous défendre au Grand T ?
J’ai l’intention de donner davantage de place à l’accompagnement de nouveaux spectacles.
Je m’inscris dans la continuité de Philippe Coutant [1]. Il a positionné le Grand T comme un lieu consacré au théâtre, ce que je vais continuer. J’ai toutefois l’intention de donner davantage de place à l’accompagnement de nouveaux spectacles. Par ses moyens humains et financiers, le Grand T a le devoir de favoriser les créations. Il y a déjà quatre équipes artistiques associées dont nous allons suivre le travail. Nous espérons ainsi montrer la création théâtrale dans sa diversité. Parmi ces artistes associés à notre maison, Patrick Pineau explore un répertoire plus classique, Wajdi Mouawad un aspect plus contemporain, Aurélien Bory, un théâtre visuel et enfin le collectif Opéra Pagaï, une forme plus hybride. Ce dernier est né des recherches sur le théâtre de rue, menées dans les années 80. Il s’agit d’un nouveau théâtre populaire, qui se construit avec les habitants. L’ensemble de tous ces artistes irriguent toute la vie de la maison sur plusieurs projets. Nous allons aussi poursuivre l’excellent travail fait par le Grand T sur l’éducation au théâtre, en collaboration avec les scènes du département. Grâce au réseau informel de programmation en Loire Atlantique (le RIPLA), nous disposons de 22 relais pour faire tourner les spectacles. Nous voulons aussi prendre en compte la richesse du territoire, par une action éducative durable menée par des artistes en résidence. Cette saison, ce sera le cas de Safari intime, un théâtre de proximité avec l’implication des habitants. Il s’agit d’une ballade individuelle et poétique dans le village de Saint-Lumine-de-Coutais avec Opéra Pagaï, rendue possible grâce à la collaboration de toute la communauté de communes. Dans le cadre de cette proposition, avec tout le travail préalable de lien, le processus apporte autant que le spectacle.
Quels sont les grands axes de vos premières programmations ?
Il y aura une ouverture très marquée sur l’international, ce qui est certainement lié à mon parcours. Ainsi, au cours d’une même saison, on assistera à une articulation entre le très local et le plus global. Je cite souvent cette phrase de Edouard Glissant, un poète martiniquais qui vient de mourir : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde ». Ainsi, nous poursuivrons le travail en partenariat avec d’autres établissements de l’agglomération et du département, dans un esprit de complémentarité plutôt que de concurrence, de collaboration plutôt que de compétition, et cela à tous les niveaux. Le Théâtre des Humanités, cette saison, sera présenté en association avec le Théâtre Universitaire. L’ouverture à l’international s’effectuera grâce à deux spectacles en langue originale, sur-titrés en français.
Quelle est votre définition du spectacle vivant ?
C’est un art qui repose sur la présence d’êtres humains, ensemble au même moment, et sur la présence physique des spectateurs. Il reste un artisanat basé sur la nécessité d’un travail collectif, ce qui le distingue des industries culturelles.
Pouvez vous citer des spectacles de théâtre qui vous ont particulièrement émue ?
J’ai eu différents chocs à différents moments de mon parcours de spectatrice. Plus jeune, je vous aurais cité la mise en scène de Hamlet par Patrice Chéreau, aux Amandiers de Nanterre, en 1988 et La Tempête dans la vision de Peter Brook, aux Bouffes du nord, en 1990, qui restent de grands souvenirs. Aujourd’hui, je vous répondrai à cette question en évoquant des formes plus hybrides comme Sans objet, le spectacle de Aurélien Bory que nous allons présenter au Grand T en janvier 2012, mais aussi à Redon et à Châteaubriant. Je suis très sensible à la capacité du théâtre à parler de la complexité du monde, aujourd’hui. C’est ce que fait Wajdi Mouawad, dans Incendies ou Joël Pommerat, dont l’œuvre est merveilleusement inventive.
En dehors du théâtre, quelles sont les personnalités artistiques qui vous ont le plus marquée ?
Parmi les grands classiques, je citerai Pina Bausch. Dans le domaine littéraire, Edouard Glissant est pour moi l’un des meilleurs auteurs du XXème siècle. Il y a aussi un photographe dont le travail me touche beaucoup. Il s’agit de Jeff Wall, qui théâtralise les images qu’il créé. Ainsi, nous ne sommes pas loin du théâtre.
Comment définiriez vous votre mission à la tête du Grand T ?
Nous devons faire en sorte que nos propositions fassent découvrir le théâtre aux publics les plus divers.
C’est avant tout une mission de service public. Nous ne fonctionnerions pas sans l’apport du département, de la ville, de la région et de l’état. Nous avons un devoir envers les habitants du territoire. Nous devons nous assurer que nous proposons au public une offre artistique à la hauteur de ce qu’il peut espérer. Notre mission est aussi d’accompagner les artistes qui vivent ici pour leur permettre de s’exprimer et de grandir en leur offrant les meilleures conditions pour qu’ils donnent le meilleur d’eux mêmes. Nous devons enfin faire en sorte que nos propositions fassent découvrir le théâtre aux publics les plus divers. Ce public est déjà nombreux, grâce au travail déjà accompli par le passé.
Propos recueillis pas Christophe Gervot
Crédits photo :
Bannière : voir la série Work deJeff Wall
[1] ancien directeur du Grand T
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