Rencontre avec Claude Brumachon
Le Festin des amateurs
Dans le cadre des rencontres chorégraphiques amateurs de Pont-Château, les 7 et 8 mai 2011, organisées par l’association Musique et Danse, le Centre Chorégraphique National de Nantes, dirigé par Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, propose une transmission d’extraits du Festin pour vingt amateurs, en conditions professionnelles. Fidèles à leur démarche chorégraphique, les deux danseurs réinstaurent le corps et le mouvement au centre de la danse, de l’expression. Ou comment redonner place à l’énergie ?
La danse du vivant
En ce week-end d’avril, l’ambiance est au travail au CCN de Nantes. Vingt amateurs sont en pleine répétition du Festin, pièce emblématique du répertoire de Claude Brumachon. Bruits de corps manipulés sur des tables, bruits de respiration des danseurs, rythment ce week-end de danse.
cette gestuelle, loin d’être conceptuelle, parle de l’humain, de la chaire humaine, de l’émotion, du vivant.
A l’origine, l’idée de transmettre une de ses pièces à un groupe de danseurs amateurs sembla troublante, quelque peu incongrue pour Claude Brumachon. Cela lui semblait même impossible. Les commentaires liés à sa danse parfois jugée trop brutale, lui pesaient et il lui semblait que seuls des corps précis, professionnels, pouvaient la retranscrire. Sa danse nécessite une telle corporalité, un tel engagement physique, qu’il avait tout simplement peur des risques d’accidents. D’expériences en expériences, de cours donnés à des scolaires en passant par des masters-class, il apprend une nouvelle fois à casser les étiquettes et se retrouve devant des amateurs sans peurs ni réticences. Claude Brumachon : "on revient à l’essence même de l’œuvre, il y a certes moins de technique, mais la spontanéité est là et c’est ce qui m’a bluffé". Pourtant Le Festin, comme les deux autres pièces transmises à des amateurs (Ellipse montée à Tulle ou Folie à Artigues) ne sont pas des pièces simples, mais cela paraît avoir suscité l’envie des amateurs de s’y mesurer. Avec Benjamin Lamarche et les danseurs permanents de la compagnie, Brumachon aborde le côté brut de la danse, au sens de la matière brute de la gestuelle et cela parle directement à chacun : "cette gestuelle, loin d’être conceptuelle, parle de l’humain, de la chaire humaine, de l’émotion, du vivant. Cela fait une résonance directe". Avec ce chorégraphe, nous ne sommes pas dans l’abstraction. Il y a une espèce d’animalité, de sauvagerie, quelque chose de direct qui fait écho dans le corps de tous. Aujourd’hui, le regard sur le travail de Claude Brumachon tend à changer et passe d’une danse dite âpre à une danse du vivant, comme le dit Benjamin Lamarche "un cri au monde".
"Où sont tes tripes ?!"
Pour Claude Brumachon, certains danseurs professionnels ne vont chercher que la forme du geste parfait. Ils ont une telle maîtrise de leur corps qu’ils savent tout faire. Mais, à un moment donné, ils se restreignent dans leurs connaissances physiques, "cela devient de splendides machines sans émotion". Il faut que le chorégraphe leur demande d’aller chercher l’énergie, le vivant, que selon lui nous avons tous en nous, et c’est justement ce qu’il retrouve auprès de ces amateurs. Mais, aujourd’hui, dans nos sociétés corsetées, nous ne savons plus sortir cette énergie spontanée. Et au travers de cette redécouverte amateur du Festin, de cette nouvelle histoire collective, humaine, Brumachon donne à voir l’énergie première.
Une danse du vivant comme un cri au monde.
Vingt danseurs amateurs font donc partie du projet, suite à une sélection qui a eu lieu en octobre 2010 et à laquelle avait participé une cinquantaine de personnes. Cette participation importante au stage d’audition a beaucoup surpris Brumachon qui pensait prendre tous les participants. Au vu du nombre, il a fallu faire un choix. Il s’est porté sur les danseurs qui se sont "jetés, qui sont partis sans filets". Ils en sont à leur troisième week-end de répétition et le chorégraphe trouve que "le groupe est très beau et a envie. D’une session sur l’autre la mémoire ne se perd pas". Le Festin "continue donc à vivre".
Pourquoi Le Festin ?
Depuis sa création, en 2004, Le Festin n’a jamais cessé de tourner avec plus de soixante-dix représentations. C’est une pièce qui fait sens pour le spectateur tout comme Phobos ou Folie : "L’idée même de la chorégraphie : la dénonciation de la société de consommation, avec ces corps consommés, industrialisés, ne va, malheureusement, jamais perdre de sens". De la même manière pour Folie qui parle du corps déchiré, en guerre, en bataille, des thèmes qui risquent de rester encore longtemps d’actualité. Ce sont des pièces qui s’inscrivent dans l’histoire et "qui embarquent" tout un chacun.
la dénonciation de la société de consommation, avec ces corps consommés, industrialisés, ne va, malheureusement, jamais perdre de sens.
Ce type de projet fait sens pour les amateurs, bien sûr, qui peuvent se confronter au monde professionnel de la danse et pénétrer l’univers d’une pièce, d’un chorégraphe. Mais aussi pour le chorégraphe, lui-même, pour qui ce n’est "que du bonheur", et "un véritable moment de plaisir, de redécouverte, de recherche". Ce travail "est jubilatoire pour eux et pour nous", estime Claude Brumachon.
A suivre dans Fragil, dans quelques semaines, lors de leur prochaine résidence au CCN de Nantes, des rencontres avec les amateurs danseurs participants à cette transmission.
Texte : Vincent Hallereau et Rozenn Le Proud’Hom
Photos : Valérie Pinard
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