Univerciné Britannique 2008 - Nantes
Alfred Hitchcock et Michael Powell : l’inquiétante familiarité
La communication impose une carrière cinématographique et son absence la détruit
Michael Powell, le dandy British, et Alfred Hitchcock, l’homme d’affaires, ont connu deux destins opposés : le premier une carrière brisée et le second la célébrité. Alfred Hitchcock a réussi à imposer son style dans l’univers cinématographique du suspense, à grand renfort de publicité. Michael Powell, l’esthète peu versé dans la communication, est resté longtemps dans l’ombre du "Maître du Suspense". Portrait croisé au travers de "Psychose" et du "Voyeur".
Le festival du Cinéma Britannique Univerciné a mis en lumière Michael Powell du 11 au 16 décembre 2008 au Katorza. Powell est considéré comme un cinéaste d’envergure internationale au même titre qu’Alfred Hitchcock, roi incontesté du cinéma de suspense de l’après-guerre. Louis-Jean Ropars livre un portrait-croisé de deux maîtres du genre [1].
Un travail en commun
Les carrières de ces deux cinéastes se sont très vite mêlées : tous deux ont commencé dans les années 30 comme réalisateurs de Quota-quickies [2]. Le jeune Michael Powell, embauché comme photographe de plateau puis comme co-scénariste par Alfred Hitchcock, travaille régulièrement avec le futur maître. Au-delà de la collaboration professionnelle, les deux cinéastes ont bénéficié du tissu culturel anglais de leur époque, explique Louis-Jean Ropars : « tous les deux ont hérité d’une certaine tradition littéraire anglaise », plaçant la narration au centre du film.
De part et d’autre de l’Atlantique
Cette inquiétante familiarité avec le meurtrier est à l’origine d'une part de l’insuccès du "Voyeur". Une autre part émanant de ce que le cinéma y est une forme de voyeurisme
Alfred Hitchcock et Michael Powell se distinguent par leurs styles. A partir de 1940, ils incarneront deux conceptions du cinéma, entre Europe et Etats-Unis. Alfred Hitchcock s’est tourné vers Hollywood dès 1940, Michael Powell s’est, quant à lui, inscrit durant toute sa carrière dans un cinéma purement européen. Dans sa jeunesse, il a touché au septième art français en travaillant aux studios de la Victorine à Nice. Il a aussi collaboré avec des cinéastes européens : à partir de 1939, une longue coopération entre Michael Powell et le hongrois Emeric Pressburger débute avec le film L’Espion Noir.
Lors du festival du cinéma Britannique univerciné 2008 au katorza, le public a pu voir d’autres fruits de cette collaboration : le Narcisse noir (Black Narcissus 1947) et Colonel Blimp (Life and Death of Colonel Blimp 1943). Emeric Pressburger, qui avait fui le nazisme, a influencé Michael Powell dans le travail de la lumière, point fort du cinéma allemand, qui sera « très important dans le style onirique de Michael Powell », précise Louis-Jean Ropars. Dans Colonel Blimp, ce sont les couleurs vives qui accentuent l’atmosphère onirique du film, un onirisme purement européen. Dans Le Voyeur (Peeping Tom1960), le spectateur assiste à certaines scènes à travers l’objectif de la caméra de Mark Lewis, le personnage principal.
Psychose et voyeurisme
En 1960 sort Psychose d’Alfred Hitchcock. La même année, Michael Powell présente Le Voyeur, une production très critiquée. « Le public n’était pas prêt à décrypter ce film qui était quasiment expérimental », souligne Louis-jean Ropars [3].
Dans les deux films, la démence des deux psychopathes est différente. L’un conserve sa mère empaillée, l’autre la garde sur la pellicule des films familiaux. Norman Bates, personnage principal de Psychose, révulse naturellement le spectateur, qui tient son esprit à l’écart de celui du monstre. A l’opposé, Mark Lewis, le meurtrier du Voyeur, inspire la pitié. Cette identification est renforcée par l’aspect plus commun des vices de Lewis et les séquelles de son passé. Le spectateur a tendance à comprendre le personnage et à accuser son père -qui soumettait son fils à la terreur pour mesurer ses réactions.
Ainsi, malgré tous ses meurtres, Mark Lewis devient la victime. Mais cette ambiguïté se manifeste par les allusions ambiguës à la comédie musicale et par l’utilisation inédite de la caméra subjective. L’objectif quadrillé de la caméra du psychopathe s’impose comme point de vue du spectateur et ce dernier voit les victimes à travers la caméra de Marc Lewis, comme s’il regardait par la fenêtre, le spectateur devenant aussi voyeur à son tour. Cette double technique est manifeste dans la scène qui précède le meurtre de Vivian, qui présente à la fois l’aspect d’une scène de comédie musicale et celui d’une scène de suspens (voir les extraits plus bas).
Franchir le Rubicon ou garder le sens des affaires
Cette inquiétante familiarité avec ce personnage meurtrier est à l’origine d’une part de l’insuccès du Voyeur. Une autre part émanant donc de ce que le cinéma y est présenté comme une forme de voyeurisme dont le spectateur est l’acteur. Mais le gouffre qui sépare les deux films est ailleurs. Si la célébrité de Hitchcock repose sur son style, elle doit sans doute beaucoup à son sens des affaires, de la publicité, et à sa capacité à jouer finement avec les règles de la censure états-unienne en créant une distance entre l’effrayant et le public. Il avait ainsi utilisé la thématique de l’objectif photographique intrusif avant Powell, sans subir les foudres de la morale ! Fenêtre sur cour quelques cinq ans avant Psychose fut un succès.
Hitchcock usait de sa notoriété fabriquée, de son image égocentrique et de la diffusion de masse pour se poser en prescripteur de l'acceptable en matière de thriller
En fait, Hitchcock avait préparé le public et la critique au moyen d’une bande-annonce et des 268 épisodes de la série télé Alfred Hitchcock présente. Il y usait de sa notoriété fabriquée, de son image égocentrique et de la diffusion de masse pour se poser en prescripteur de l’acceptable en matière de thriller. Powell, plus artiste que stratège, prit le risque de franchir avec Le Voyeur le rubicon invisible de la morale britannique, sans communication ni film publicitaire préalable.
Le succès ou l’opprobre
Les influences des deux cinéastes sur le septième art sont à l’image de leurs physiques et de leurs personnalités opposés. Hitchcock créait sciemment un classicisme du suspens grand-public. Powell annonçait sans le savoir une part des productions des années 1990 et 2000, tel Benny’s vidéos [4] et de nombreux thrillers, où la caméra devient l’outil de vices inavouables. Psychose est considéré comme le plus grand chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, tandis que Le Voyeur marquera la fin brutale de la carrière de Powell. Oublié du public, ce dernier reçût néanmoins de larges hommages de la profession et de nombreuses récompenses pour l’ensemble de son oeuvre.
Antoine Bernier, Alexis Annaix et Renaud Certin
Echec du "Voyeur", Succès de "Psychose"
Cette différence s’explique par deux raisons : un sens différent de la prise en charge du mental du spectateur, et deux sentiments générés envers le personnage meurtrier -qui procède du précédent.
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Bande-annonce de Psycho / Psychose présenté par Hitchcock (1960). Entre bonhomie familiale et goût du sensationnel, il prend en charge la terreur du spectateur, et garde celui-ci de se retrouver seul face à ses terreurs. Son but restant de vendre son film.
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Deux utilisations de la musique et des mouvements de caméras. Les mises en scène de l’action de meurtrier psychopathe induisent dans un cas un processus de rapprochement avec le spectateur, et dans le second une distanciation. Peeping Tom / Le Voyeur de Powell 1960 et Psycho / Psychose de Hitchcock 1960
Renaud Certin
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes. Equipe : Alexis Annaix, Antoine Bernier, Erwin Eninger, Aurélien Lahuec, Marco Streit.
Coordination éditoriale et pédagogique : Renaud Certin.
Le festival Univerciné Britannique est diffusé au Katorza, salle d’art et d’essai de Nantes.
[1] Louis-Jean Ropars : professeur à l’Université de Nantes et à l’IUFM, coordinateur du jury Univerciné et formateur à la critique.
[2] Quota-quickies petits films des années 30 tournés à la va-vite pour précéder la projection des films américains dans les salles de cinéma britanniques. Leur présence était une obligation légale, qui visait à empêcher la présence exclusive des films d’outre-atlantique sur les écrans britanniques.
[3] Psychose/Psycho, a été produit aux Etats-Unis, tandis que Le Voyeur/Peeping Tom, le fût Royaume-Uni.
[4] Benny’s vidéos de Michael Haneke (1992)
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