Publié le 11 juillet 2005

Isabelle Kersimon


Près du camping de la Belle Etoile, sur l’île Barthelasse, se dresse le chapiteau des Nantais Maboul Distorsion. Un peu de fraîcheur champêtre, et un très bon spectacle, avec en première partie une adepte du mât de Cocagne, et en épilogue une vidéo grinçante.

Marie-Anne Michel : extension du domaine articulaire

Pas évident d’atteindre l’extase entre une bretelle d’autoroute et quelques arbres dégarnis. Ce fut pourtant l’exploit de Marie-Anne Michel, qui présentait deux performances dites "entre cirque et danse", l’une en version d’équilibriste autour d’une structure multi-tubulaire, et l’autre en forme d’ascension serpentine le long d’un piquet géant. Jouant de la souplesse de ses articulations, elle se livre à un corps-à-corps intime avec la machinerie d’acier, se plaisant à se tendre, s’arc-bouter, sous le regard exhorbité du public. Public auquel, d’ailleurs, elle ne concède pas le moindre signe d’attention, et surtout pas dans ses costumes ni dans la rude et sombre sobriété de ses installations, toute à sa jubilation secrète, telle une prêtresse néo-païenne célébrant un culte connu d’elle seule, où la verticalité symbolise peut-être l’accès à la sensation supérieure, d’ordre spirituel, bien sûr. Très appréciées, les postures d’inspiration yogiste, qui mettent en œuvre concentration et méditation, s’alanguissent en fin de scène par un geste d’une grande beauté dans la descente finale.

Maboul Distorsion : la déjante enchantée

Née à l’école des Arts du cirque de Rennes en 1992 et installée à Nantes depuis 1997, la compagnie Maboul Distorsion présentait Les Mêm, spectacle de nouveau cirque créé à Rezé en 2002 et dont on comprend aisément le succès de sa longue tournée depuis lors. Très proche du théâtre burlesque, Les Mêm met en scène cinq hurluberlus vêtus de sortes de préservatifs noirs, cagoule comprise. Le sujet, s’il demeure un peu vague dans son expression (critique raisonnée de l’uniformisation, du conformisme et de la normalisation, versus l’individuation et la différenciation) donne lieu à une série hilarante de saynètes où brille leur maîtrise des arts circassiens. A l’ouverture, notamment, lorsque des membres fluorescents en suspension dans l’air viennent s’adjoindre à un torse pour former une silhouette humaine. La coordination est parfaite, et l’esthétique rappelle les créatures androïdes du Topor de La Planète sauvage. S’ensuit un ballet frénétique de spermatozoïdes luminescents qui, pris d’un mouvement hélicoïdal soudain et irrépressible, finissent par se livrer un combat digne de la chanson de Ricé Barrier. Au commencement, donc, était le chaos vital. Puis, au long du spectacle, les cinq Maboul déjantés et inventifs intègrent jongleries et numéros d’adresse dans une narration de l’absurde, rivalisant avec eux-mêmes d’humour plus ou moins fin, d’un sens aigu de la satire, d’une fraîche impertinence, voire d’une saine cruauté. Avec la classe des Frères Jacques, ces allumés parviennent à nous tenir en haleine, et à garder intacte notre jubilation, malgré une profusion confuse dans la deuxième partie, moins précise, moins efficace que la première.

Les aventures de Léopold

Au sortir du spectacle, on se voit proposer comme une dernière friandise une courte intervention vidéo tout à fait réjouissante. Figure candide filmée en gros plan, Léopold est technicien polyvalent, c’est-à-dire "adaptable et ouvert d’esprit". Pendant quelques délicieuses et grinçantes minutes, dans le costard ringard de ce drôle de demandeur d’emploi, Dominique Izacard brosse un état des lieux féroce et hilarant de la condition actuelle des travailleurs. Un régal.

Victoire Delisle