Présentation
Alex de la Iglesia
Chus Gutiérrez
Enrique Urbizu
Fernando Trueba

L’atmosphère est poisseuse, digne d’un thriller d’Enrique Urbizu. Tout de noir vêtu, le cinéaste nous reçoit dans la fraîcheur d’une pièce feutrée attenante au bar de l’Hôtel de France. La rencontre sera à peine troublée par le doux chuintement du percolateur à café.

Fidèle au genre qu’il affectionne, le polar, Urbizu s’adonne à nouveau aux plaisirs de l’écriture après quelques années où l’inspiration l’avait momentanément trahie. Enrique Urbizu a commencé très tôt à écrire des scénarios, par admiration pour les cinéastes classiques américains. Le sujet de Coffre 507, “ proche de la réalité ”, est peu abordé par le cinéma espagnol, parce que dérangeant. L’histoire pourrait être universelle : corruption police - mafia, spéculation immobilière, conflits et lutte pour la conquête de la terre. Urbizu s’est inspirée de faits réels issus de coupures de journaux.

Un thriller

L’action de Coffre 507 commence dans une famille sans histoire : l’homme est directeur d’une petite agence bancaire, sa femme au foyer et sa fille, une jeune adolescente. Leur vie va basculer au cours d’un week end où leur fille, après une escapade, meurt tragiquement lors d’un incendie de forêt. On retrouve le couple 7 ans après, le passé resurgit lors d’une prise en otage, lui dans sa banque et sa femme séquestrée dans leur maison. Lors de sa captivité, il découvre des actes juridiques concernant les terrains où sa fille est morte. Il comprend que ce n’est pas un accident, mais une opération mafieuse destinée à la construction de résidences. Il décide de mener l’enquête, seul. Commence une plongée en plein milieu mafieux.

Enrique Urbizu a choisi la Costa del Sol. Les lieux de villégiature forment un mur de béton qui serpente la côte, où se trament malversations et trafics en tout genre. Au travers de ses films, il veut mettre en image l’évolution de la société. La réalité aujourd’hui, c’est une mafia italienne installée dans le sud de l’Andalousie, sans oublier les mafias arabes, des pays de l’Est qui bénéficient de facilités d’installation. Sa figure d’inspiration pour le film aura été Jesus Gil, président de l’Olympique de Madrid et maire de Marbella, destitué récemment. Urbizu a voulu montrer les dérives de certains maires achetés par la mafia.

Sécheresse des sentiments, visages fermés, inexpressifs, fatalistes. Les personnages de Coffre 507 ont quelque chose de minéral, ils s’estompent dans les terres arides de l’Andalousie. C’est un “ film rempli d’hommes morts, sans expression ”. Le cinéaste privilégie une narration visuelle dans un style cinématographique épuré. Urbizu souligne l’importance “ du silence et des silences ”. Chaque personnage évolue dans un monde intérieur, inaccessibles aux autres : lorsque l’acteur Antonio Resines qui interprète Modesto, veut échanger un peu de lui-même, sa partenaire n’est pas réceptive. Et inversement.

Un constat amer et sans appel

Coffre 507 est une œuvre exigeante peu familière du public espagnol. Face à une avalanche de productions américaines de piètre qualité et au goût exacerbé du public espagnol face à ces sujets peu consistants, “ la seule alternative qu’il lui reste et pour laquelle il se bat, c’est de continuer à raconter des histoires intéressantes sans jamais pensé aux répercussions commerciales. En étant scénariste, je veux être témoin : un pied dans ce monde réel qui tremble et l’autre dans un monde idéalisé ”.

Urbizu croit au pouvoir du cinéma comme instrument de sensibilisation des spectateurs aux dérives de ce monde, mais il est pessimiste quant à l’avenir de la production cinématographique espagnole. Alors que la France a une relation affective avec son cinéma, le soutien du public espagnol est très faible : “ tout ce qui vient de l’extérieur est toujours mieux considéré en Espagne, sauf les toreros et le foot. Le pays ne croit plus en ses potentialités. Les films espagnols ont peu de visibilité hors des frontières par manque d’ambitions de certains producteurs et le peu d’appui du Ministère de la Culture, des Affaires Etrangères ”. Urbizu verse prestement son café dans un verre rempli de glaçons. Il pousse plus loin la condamnation : “ La culture n’est pas valorisée comme un bien national ”. Et de citer l’anecdote suivante : “ Le premier ministre Aznar n’a jamais félicité Pedro Almodovar ”.

Quelle serait l’origine de ce profond malaise ? “ l’éducation culturelle à l’école est de plus en plus mauvaise. Culturellement on est un des pays les plus colonisé d’Europe ”. Le cinéma d’auteur n’a plus vraiment sa place dans un paysage dominé par les multiplexes. Pourtant la production de films espagnols n’a jamais été aussi importante qu’actuellement. “ Ils sont toujours réalisés à un coût inférieur à celui de la vente. Le producteur récolte les bénéfices qui l’intéressent. Une fois réalisés, ces films ne sortent pas en salle ! ”.

Rejetés à la marge, les cinéastes espagnols semblent désabusés mais ne s’avouent pas vaincus. Pour Enrique Urbizu, l’individualisme est réel dans la profession. Sa survie passe par la réalisation de films peu coûteux à même de préserver sa liberté artistique.

Repères :

Enrique Urbizu est né en 1962 à Bilbao.
1987 : Tu novia està loca
1991 : Todo por la pasta (Tout pour le fric)
1993 : Comoser infeliz y disnutarlo (Être malheureux et s’en réjouir)
1994 : Cuernos de mujer (Femme trompée)
1995 : Cachito
2001 : Caja 507 (Coffre 507)

article et entretien | Pascal Couffin, Clara Dubart

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