Présentation
Alex de la Iglesia
Chus Gutiérrez
Enrique Urbizu
Fernando Trueba

L’Espagne ne connaît pas cette tradition de films à thématique social comme l’Angleterre. Cependant, quelques réalisateurs ont tout récemment tenté de comprendre la forme croissante de l’émigration étrangère et ses conséquences. De cette veine, sort Poniente de Chus Gutiérrez, un drame romantique ou transparaît une réalité sociale.

Une fiction sociale

Dans Poniente, on suit Lucia, jeune institutrice de Madrid, qui retourne sur sa terre natale avec sa fille Clara à la mort de son père. Le village de son enfance se situe sur une terre aride, forte en contraste, à l’extrême sud de l’Andalousie. Chus Gutiérrez au travers de Lucia montre la difficulté d’une femme à reprendre les affaires de son père, la culture maraîchère de la tomate, dans un milieu où les hommes dominent.

Sur cette terre, bordée par la mer, ce sont échoués des hommes amenés par de constantes vagues de migration. Originaire du Maroc, de l’Afrique subsaharienne, ils composent un paysage multiethnique et trouvent travail chez les exploitants agricoles. Les relations sont houleuses entre ces hommes usés par le travail. Pas seulement. La caméra de Gutiérrez saisit la peur : peur de l’autre et de ses différences. Chez Gutiérrez, les hommes et les femmes éprouvent des difficultés à communiquer en famille, entre amis, entre maraîchers, entre travailleurs.

Poniente est avant tout un film avec une structure dramatique et narrative : “ je n’ai pas voulu faire un documentaire. Je ne veux pas transmettre un message ; je veux avant tout faire du cinéma. C’est le côté humain qui est intéressant : l’homme et ses contradictions, ses peurs, sa fragilité, sa capacité à aimer...”

La nouvelle vie de Lucia lui fera rencontrer Curro, un homme attachant sans racines, qui a grandi en Suisse et qui est également à la recherche d'un endroit où il puisse se sentir chez lui. Tous les deux partagent le même sentiment de solitude face au mépris et à l’incompréhension. Une attirance partagée les mènera vers une histoire d’amour passionnée.

Sur cette terre desséchée où même les tomates ne poussent que dans des cultures hors sol, Poniente décrit un monde âpre, dur. De la pellicule surgit cependant des instants fragiles, où l’on voit les bâches, qui recouvrent les serres, former une mer de plastique : “ les serres évoquent de gros icebergs sur la mer, et le plastique qui vole, des vagues."

L’émigration

Les ouvriers agricoles, qu’ils soient Marocains, Algériens… ont traversé la mer méditerranéenne parfois au péril de leur vie. Cette région a connu différentes étapes d’immigration. D’ailleurs les habitants de cette zone si particulière, ont eux aussi connu l’exode. On le voit dans un extrait de film en noir et blanc : “ à Almeria, quand les gens durent émigrer vers le nord de l’Europe, ils prirent un train que l’on appelait le “ trans-miseriano ”, c’est à dire qu’ils quittaient une existence misérable pour une autre… parfois pire. Lorsque l’on reparle de ce passé d’émigrants, on mentionne un passage que l’on franchissait en bateau ; on traversait la mer Cantabrique sur des petits bateaux. L’histoire ne fait que se répéter aujourd’hui. Quand tu ne peux vraiment plus vivre là où tu es né, tu as besoin de rêver. Tu préfères vivre ce rêve que mourir là, quitte à mourir dans la tentative de réaliser ce rêve.”

Parqués dans de miteux baraquements de bois, les émigrés d’origine marocaine, algérienne... survivent dans des conditions misérables. Ils se reposent sur de maigres paillasses et n’ont pas vraiment d’endroit où cuisiner. Chus Gutiérrez souligne le fait que l’histoire se répète. D’un œil externe, il paraît aberrant que les propriétaires terriens, et qui sont des enfants d’émigrés, en viennent à exploiter leurs ouvriers agricoles. “ Si tu crois que les Espagnols issus de la seconde génération se souviennent vraiment de ce que leurs parents ont vécu. Ils ne réagissent pas quand ils croisent un émigré dans la rue.”

La réalisatrice montre des scènes de piquets de grève, où les ouvriers réclament le paiement de leurs heures supplémentaires et des contrats, garant d’une relative protection. De l’autre côté, les maraîchers subissent la pression de la concurrence, des normes européennes à respecter. “ Je parle d’un endroit bien concret, où il règne une tension, une attente sociale et économique, une attente de croissance ; le progrès n’y est pas contrôlé. C’est un peu le Far West, une terre où tout se développe très rapidement. ”

L’indifférence

S’ajoute à ces problèmes sur cette terre de cocagne, un racisme fort. Les relations entre les autochtones et les étrangers sont inamicales. Gutiérrez s’interroge sur l’indifférence des uns face à la différence de l’autre : “ l’essence même du racisme, c’est la peur, la méconnaissance de l’autre, de sa différence. ” La présence du Parti Socialiste est forte en Andalousie, il n’existe pas de dérive extrémiste. Mais elle constate des carences : " il y a un grand manque de culture et un grand vide au niveau politique. Si des mesures politiques étaient prises à l’égard de ces villages pour que l’assimilation de ces vagues d’émigration se fasse plus tranquillement, pour que l’on comprenne la culture de l’autre. Il y a un manque d’intervention politique.”

Les deux personnages centraux, Curro et Lucia, essaient de fréquenter les communautés. Mais leurs différences et leur destin les en empêchent. Poniente montre que toute tentative de fraternisation, d’amitié semble vouée à l’échec. “ Le contexte ne le permet pas. Mais je ne crois pas qu’il faille assimiler cette histoire a un lieu précis. Ce qui se passe ici, l’est aussi bien à Madrid, à Barcelone qu’à Nantes. Il existe des milliers de foyers où des bombes sont sur le point d’exploser. ”

“ Poniente parle du passé de ces personnes qui ont dû émigrer à un certain moment, et qui regrettent le fait que d’autre vont arriver. C’est une histoire cyclique. L’homme oublie ce qu’il a vécu.” A ce gâchis humain, s’ajoute un autre plus insidieux, mais il est écologique celui là !

Repères :

Chus Gutiérrez est la sœur de Blanca Li, bien connue des nantais pour ses nombreux spectacles. Après des études de cinéma aux Etats-Unis, elle a produit plusieurs courts métrages. Réalisatrice, elle a également joué dans plusieurs films et a écrit un feuilleton à succès espagnol.
92 : Sublet
94 : Sexo Oral
96 : Alma Gitana
02 : Poniente

article et entretien | Pascal Couffin, Clara Dubart

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