Interview de Domotic

(Première partie)

Entre Brian Brialy et Domotic c'est une grande histoire d'amour épistolaire. Voici la quasi-intégralité de leur correspondance (interview réalisée par e-mail du 30.09 au 21.12 2003).

1_ Pour commencer donne-nous donc quelques renseignements de routine sur toi : ton nom et ton prénom, ta date de naissance ou bien simplement l'année si tu ne compte pas te faire souhaiter ton anniversaire par les lecteurs de Fragil, et puis je suis sûr que tout le monde meurt d'envie de connaître ton sexe, ta profession, là où tu vis... ce genre de choses, quoi !

Mais oui, tout le monde veut connaître mon sexe ! mon sexe s'appelle Stéphane Laporte, il est né à Marseille le 29 mai 1978. Depuis tout jeune , je lui fais écouter les Beatles et beaucoup de musique, et donc il est devenu ingénieur du son (mais n'a pas beaucoup de travail). En ce moment, il vit (avec moi) entre deux villes : Grenoble, ou il travaille comme musicien / ingé-son dans un collectif d'artistes (ici même Grenoble) et Paris ou il se consacre plutôt à la musique de Domotic et il est intermittent du spectacle (mais je ne crois pas qu'il le restera longtemps). Pour ma part, en ce moment je suis barbu et un peu malade.

2_ Ton sexe, à l'instar de Janus, à donc deux visages, si j'ose m'exprimer ainsi (et j'ose ! ). A l'heure on nous conversons on parle beaucoup de l'intermittence et des intermittents qui sont pour beaucoup menacés par la révision du statut. Souhaites-tu t'exprimer concrètement sur comment se partage ta vie entre ton travail d'ingé-son, qui semble ne pas assez t'occuper, et l'intermittence en temps que musicien qui ne durera pas (n'hésite pas à joindre des chiffres et des graphiques pour illustrer ton propos) ? Quel futur envisage-tu pour Domotic (et Stéphane Laporte) si la maladie ne l'amène pas à disparaître dans un futur proche ? Et puis partager sa vie entre deux villes, est-ce que ça veux dire avoir deux maisons, deux femmes, deux bistrots où l'on est habitué, etc... ?

Et pour finir, ma question n'est-elle pas un peu / beaucoup trop longue pour être pleinement compréhensible ?

Ta question est effectivement beaucoup trop longue, mais, comme je suis joli, j'y répondrais en plusieurs points.

Eins : Assez parlé de mon sexe. Et je ne connais pas Janus. (enfin, pas personnellement)

Zwei : Mon travail se partage donc entre " Domotic " qui me permet de faire à peu près 15 cachets par an (et un concert par mois c'est déjà pas mal), " Ici Même (Grenoble) " qui me fait le reste de mes cachets (on travaille beaucoup et longtemps) et quelques autres bricoles à droite à gauche (très peu...). En gros, j'arrive à faire difficilement en 12 mois à avoir les 43 cachets nécessaires à un an d'indemnisation, et donc si ces putains de statuts restent tels qu'ils viennent d'être modifiés, je pourrais encore moins en dix mois faire les mêmes 43 cachets nécessaires à seulement 8 mois d'indemnisation. Mais bon, le problème est bien plus profond que seulement le statut des intermittents... c'est celui de la culture au sens très large du terme qui est hyper préoccupant. Donc, si nous habitons dans un pays où il est honteux d'être pauvre, impossible d'être artiste, et superflu d'être intelligent, vers quel pays se tourner ? (réponse a : le canada)

Drei : Du coup le futur de Domotic est assez flou, non ? D'une part, il est difficile d'espérer vivre de sa musique (statut des intermittents + download inconscient qui tue les labels indé, etc...) et d'autre part, n'y a-t-il pas plus important que de s'enfermer dans sa chambre pour faire de la jolie musique.. ?

Vier : Ben oui, deux villes c'est vraiment deux vies. D'ailleurs cette schizophrénie devient assez pesante... du coup je remonte dimanche pour deux mois à Paris. Ouf

3_ Alors comme ça Monsieur Domotic pose-lui même les questions ? Et bien j'attends ta réponse, n'y a-t-il pas, en effet, plus important que de s'enfermer dans sa chambre pour faire de la jolie musique ? Et pourquoi toi, qui te pose la question, passe-tu autant de temps à créer auprès de ton lit ?

ps : as-tu un lien internet pour " ici même (Grenoble) " que je pourrais glisser dans l'article ?

réponse à ma propre question (je me suis bien eu)

Je crois que c'est pour une raison assez égoïste que je passe autant de temps à faire de la musique... tout simplement parce que ça me fait du bien.... Et en même temps ça m'isole énormément, ce que je regrette un peu... je passe des fois plusieurs jours sans mettre les pieds dehors... c'est fou non ? et du coup je me pose d'autant plus de questions vu que je ne suis pas vraiment parti prenant de la société dans laquelle je vis... (je sais pas si c'est clair). En ce moment je suis assez tendu justement, entre cet isolement/réclusion assez poussé, égoïste, et une sorte de conscience globale du monde dans lequel on vit et qui est poussé dans une direction totalement absurde, un peu partout et notamment en France. Et l'ampleur du " désastre " semble peut-être si grande que je me sens incapable d'action. C'est assez naïf en fait comme constat/prise de conscience, mais je suis assez naïf je crois...

Réponse à ton Ps (tu m'as bien eu)

Il n'y a pas de lien pour ici même grenoble. bien que le collectif existe depuis dix ans, il préfère jusqu'à présent passer par des moyens de communication plus directs comme la conversation par exemple... mais un site est en projet...

4_ Je ne sais pas s'il faut s'en réjouir ou plutôt s'en inquiéter mais tu n'es pas le seul rêveur-autiste à se réfugier dans sa chambre-studio pour fuir un monde qu'il ne comprend pas ou plus. Peux-tu décrire, de manière assez précise, ton " sanctuaire " à tes camarades de chambrée ? Ta déco, la lumière, le matériel et les logiciels avec lesquels tu travailles, etc... ? Tout ce qui, d'après toi, fait que c'est mieux à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Je ne me considère pas comme un rêveur autiste, je ne crois pas que je me réfugie dans ma chambre, et je crois comprendre un peu le monde (un peu, parfois...). C'est seulement que quand je fais de la musique, je me pose la question de l'utilité de ce que je fais face à un état d'urgence autrement préoccupant...

Description un, brise-glace, Grenoble, samedi 4 octobre, 23h23.

Mur me faisant face. Peint en blanc. Parsemés de quelques images découpées dans des vieux readers digest, deux photos d'une bouteille de vinaigre mitsukan, trois autoportraits dont ma silhouette a été ôtée par découpage, le château de Neuschwanstein, une minuscule poupée habillée en lapin, une pleine page de rhododendrons.

Deux tables de camping dépliées, quinze bouteilles de liquid paper usagées, mon dossier ANPE, des carnets de note, des collages, un vieux tiroir en bois peint (au fond recouvert de papier à fleurs) rempli de pages arrachées.

Un comptoir de magasin 70's (ou je suis assis), un mini-ampli Realistic, deux petites enceintes de chaîne hi-fi Yamaha : sur l'une, un vieux jouet " boxeur ", sur l'autre, une lampe en métal et plastic rouge. Un ibook G3, une Mbox, Protools 5.1, quelques plug-ins (principalement utilisés ces temps-ci : pitch shift, delay, lo-fi, mondomod, comp, z room, reverse) un synthé Nontempi Musicpartner MRS49 trouvé dans la rue, pas très utilisable, une platine vinyle Philips de chez Emaüs. Peu de lumière.

Mur à ma droite (en tendant mon bras droit, je peux le toucher) tapisserie dorée et marron. Une page d'un calendrier chinois à ma date anniversaire (29 mai) un poster provenant d'Inde représentant un dieu enfant à trois têtes, une photo du Tibet, une photo de montagne prise par mon grand-père. Fenêtre blanche donnant sur la rue. (on peut voir la déchetterie) une étagère, quelques disques vinyle : " Bruitage : sports de notre temps ", " L'Apocalypse des animaux ", " Méthode d'anglais Assimil en 78 tours ", méthode d'anglais " Meet the Parkers ", un 45 tours de Built To Spill, un 45 tours de Earsugar, " Pierre et le loup ", " La Cigogne qui a dansé ", " Fabienne Thibault " (les trois proviennent de la déchetterie), My Bloody Valentine " Loveless ", Diabologum " ça n'est pas perdu pour tout le monde ", Sonic Youth " Washing Machine ". Un projecteur super huit. Henri Michaux : " La Vie dans les plis ", " épreuves, exorcismes ", " La Nuit remue ". Une pile de t-shirt : Tele Poche, Pavement, Grandaddy (x2), Tortoise, Blonde redhead.

Les deux autres murs sont blancs et sans intérêt. Moquette rouge ocre tachée de peinture blanche. Grand tapis à motif floral (déchetterie). Rocking-chair en velours côtelé marron (déchetterie).

Au milieu de la pièce : un sac de voyage et une petite valise à roulettes, contenants notamment un appareil photo Canon A1, une caméra super huit, des collages, un mini synthé Casio VL Tone, quelques bd... George Herriman " Krazy kat " , Charles Burns " Black hole ", Blutch " Mitchum " & " Sunymoon ", Guy Delisle " Pyong Yang ", Vincent Vanoli " L'Usine électrique "... un petit livre de Mike Watt des Minutemen, William Faulkner " Le Bruit et la fureur " que je n'arrive pas à lire et Henri Michaux " Un Barbare en Asie " que j'ai hâte de lire. Quelques disques gravés , Wilco " Yankee hotel foxtrott ", Soft Machine " 1 " & " 2 " (merci olamm), the Vim and Vigour of Alvarius B and Cerberus Shoal, Beach Boys " Smiley smile + wild honey ".

Description deux, rue Davy, paris, mardi 7 octobre, 1Oh34

4 murs blancs, derrière moi, mon lit défait. À ma droite une fenêtre donnant sur les toits, à ma gauche, une armoire bleue. Je suis assis sur une vielle chaise en formica jaune récupérée dans un camping breton abandonné. Assis à un très petit et très vieux bureau en bois. Face à moi, sur une étagère, mini chaîne hi-fi Panasonic. Des disques prêtés par Emiliano : Lee Hazlewood, Dionne Warwick, Talktalk " Laughing stock ", Dominique A " La Mémoire neuve", Nick Drake " Bryter later ". Une cassette de Costes " Partouze à Koweit City ". Le même kit " studio portable : ibook + Mbox, Un petit synthé Yamaha PSS270 (celui utilisé pour byebye), un 4 piste Tascam (prêté par Miguel). Sur le bureau, un début de fanzine " Translate ". Le " Barbare en Asie" de Michaux commence bien.

5_ Tu m'as l'air très doué pour les descriptions, il y a du Prévert dans ce que tu écris. Et c'est beau... ça tombe plutôt bien puisque je comptais te demander de décrire ta musique à nos lecteurs sourds ainsi qu'à ceux qui n'ont jamais entendu aucune de tes compositions jusqu'ici (car oui, il y en a). Tiens ! d'ailleurs : Peux-tu décrire ta musique à nos lecteurs sourds ainsi qu'à ceux qui n'ont jamais entendu aucune de tes compositions jusqu'ici (si, si ! je t'assure, il y a en quelques uns) ?

Mmm... c'est vraiment dur de décrire sa propre musique, d'autant plus que ce qui est sorti de Domotic jusqu'à présent est assez différent de ce que je fais maintenant (sauf peut être " Smiles again " )... je crois qu'il vaut mieux que je parle de comment je fais et ce que je voudrais expérimenter en faisant cette musique...non ?

A l'époque de " Bye Bye ", j'étais très marqué par les disques de musique électronique que je découvrais alors (et assez en retard...), c'est à dire Autechre, Isan, Console, Tied and Tickled Trio, Mils, Lali Puna... donc quelque chose qui me donnait envie de chercher à orienter mon travail sur l'erreur numérique, la faille des logiciels, pousser et détourner un peu l'utilisation pré-pensée des effets et plug ins dont je disposais (c'est à dire, des préoccupations très nouvelles pour le rocker que j'étais..) ; et en même temps travailler à partir d'une base mélodique et très pop, qui est vraiment "génétique" chez moi (Beatles) ... c'est à dire que je me vois encore aujourd'hui assez mal faire de la musique sans notes, ce qui ne veut pas dire que je n'utilise / affectionne pas la dissonance (Sonic Youth)... mais pour moi ceci m'emmène vers une définition large de la pop, c'est à dire que je tendrais à nommer pop toute musique populaire (et underground ) ou l'écriture est tonale. donc autechre est pop, et Helmet est pop. Avec le recul , je réalise que c'est une dualité très proche de ce que fait sonic youth par exemple, en appliquant des " erreurs " (dissonances etc...) à de la musique pop.

Aujourd'hui, j'ai tendance à avoir envie de ne pas mettre en avant ces deux préoccupations de façon trop évidentes dans un morceau... je fais à la fois des " chansons " très lisibles, avec une structure pop (couplet refrain pont etc...) et d'autres morceaux aux structures/contours plus flous, avec des dilatations du temps, des espaces vides (dans les sens " absence d'événement ", pas forcément silencieux donc). je me bat aussi (avec moi même) contre certains réflexes électro, comme justement la systématisation de l'erreur qui au lieu d'être quelque chose de parasite, devient une esthétique, devient caressante, devient prévisible, devient attendue. Et en même temps, venant d'une formation d'ingénieur du son, je m'amuse aussi à incorporer dans l'écriture musicale, mes connaissances en acoustique et psychoacoustique (utilisation optimale du spectre audible, de la stéréophonie, utilisation du binaural...). En fait ce travail sur la faille s'est progressivement incorporé a mon vocabulaire musical, il n'en est plus le centre d'intérêt mais un simple outil que j'essaye d'utiliser seulement quand nécessaire.

Malgré tout je ne suis pas certain que ces questionnements soient très évidents à l'écoute de byebye, car les mélodies sont vraiment très mises en avant et très évidentes, si bien que toutes les erreurs et micro événements sont plus longs à découvrir...

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