
Cosi fan Tutte mis en scène par Eric Génovèse
Une brise amoureuse
Spectacle vu au théâtre des Champs Elysées le 16 Novembre 2008
Eric Génovèse, sociétaire de la comédie française passionné d’opéra, vient de réaliser sa seconde mise en scène lyrique, en prélude à d’autres beaux projets. Après un très intense « Rigoletto  » de Verdi, présenté à l’opéra national de Bordeaux en février 2007 et qui sera repris à Monte Carlo en 2010, il explore les variations du cœur humain dans un « Cosi Fan Tutte  » pénétrant et enveloppant de sensualité. Le troisième volet de la trilogie de Mozart et de Lorenzo Da Ponte est représenté au Théâtre des Champs Elysées jusqu’au 22 novembre. Jean Christophe Spinosi, à la tête de son ensemble Matheus, épouse le propos du metteur en scène par une direction musicale théâtrale et fougueuse, à l’énergie communicative. Ils offrent tous deux un éclatant moment de bonheur, grâce à des solistes particulièrement émouvants.
Eric Génovèse fait partie de ces acteurs qui marquent . Il cherche inlassablement dans les œuvres pour être au plus près des personnages qu’il incarne. Parmi ses prises de rôles, on retient deux mémorables incarnations à la Comédie Française dont il est sociétaire depuis 1998. En 2001, il était Cyrille dans la pièce testamentaire de Copi « une visite inopportune » en offrant la vision baroque d’une fin de vie enfièvrée par le désir et l’humour, dans une composition d’une douloureuse beauté. Ce spectacle a été présenté en 2002 à Nantes. Depuis, il a créé l’événement salle Richelieu et en tournée, en livrant un Tartuffe qui rôdait du côté de « Théorème » de Pasolini, pour accentuer le trouble et la séduction du personnage. Sa trajectoire devait inévitablement croiser la mise en scène d’opéra, dont il est passionné. Dans « Cosi fan Tutte » comme dans « Rigoletto », sa première proposition lyrique, il crée des variations sur le trouble amoureux, en se souvenant de son parcours de comédien. En effet, chacun de ces spectacles est une fascinante mise en abyme, où des êtres sont victimes de la mystification théâtrale et d’un jeu qui les dépasse. Eric Génovèse sera le récitant de « Hydrogen Jukebox » de Philip Glass en janvier 2009 pour Angers Nantes Opéra, un mystérieux passeur entre la musique et les mots.
La représentation de désordres amoureux
Toute l’action de « Cosi Fan Tutte » repose sur une faille originelle, sur le doute qu’amène le personnage de Don Alfonso. Celui-ci vient ébranler les certitudes de Guglielmo et de Ferrando, deux jeunes hommes qui sont persuadés de la fidélité de leurs fiancées et de la durée de toute passion amoureuse. Don Alfonso met à l’épreuve ces jeunes gens avec un machiavélisme qui rappelle « La dispute » de Marivaux. Eric Génovèse en a fait une sorte de Casanova profondément désabusé et qui assiste, impassible, aux émois amoureux des amants. Véritable démiurge et metteur en scène d’une comédie cruelle, il raconte l’histoire de ce que deviendraient les jeunes femmes si leurs fiancés partaient à la guerre, et si deux jeunes étrangers se présentaient. Travestis, chacun tente de séduire la promise de l’autre pour mieux déstabiliser, sous le regard omniprésent de celui qui met tout en œuvre pour ruiner toute illusion du cœur. Ainsi, on le voit donner des partitions aux choristes complices pour qu’ils interprètent le chant de faux départ à la guerre, instant où tout bascule. Pour parvenir à ses fins, il s’assure l’aide de Despina, qui endosse successivement les costumes de médecin et de notaire, pour servir le jeu de la confusion. La dernière image est particulièrement saisissante et atteint le comble du cynisme. Despina, sœur de Sganarelle, insiste pour recevoir son dû, et Don Alfonso lui balance la bourse contenant ses gages. La démonstration est terminée, les couples se sont reformés mais plus rien ne sera désormais comme avant. Le décor s’est effondré et on ne voit que le fond du théâtre, grand vainqueur de l’épreuve mais avec une machinerie visible, car les rouages sont désormais connus et on ne se laissera plus prendre au jeu aussi facilement.
C’est dans cette zone, mystérieuse et troublante, que naissent, peut être, les sentiments amoureux.
La naissance de sentiments amoureux
L’expérimentation de Don Alfonso met à nu les cœurs et la mise en scène, conjuguée à la direction musicale, exprime avec sensualité les contradictions, les refus, les abandons et le lent cheminement du désir en marche. Beaux et émouvants, les quatre interprètes sont d’une grande crédibilité dramatique. On oublie très vite le titre misogyne de l’opéra de Mozart car chacun est en proie aux fureurs de l’amour. « Cosi Fan Tutti », le propos de l’opéra est universel et le spectacle d’Eric Génovèse est une belle illustration de ce qu’il y a d’inévitable dans les intermittences du cœur. Dans l’une des arias de Ferrando, interprétée avec beaucoup de nuances par le très touchant Paolo Fanale, on a traduit « un’aura amorosa » par la très poétique formule « une brise amoureuse ». C’est ce qui semble circuler dans le théâtre lors d’instants de silence particulièrement beaux où quelque son murmuré échoue dans les frémissements intimes des spectateurs. C’est également ce qui habite le chant redoutable et incandescent de Rinat Shaham, magnifique Dorabella, où se dessinent les déchirements d’une âme mise à mal. C’est, enfin, ce que nous envoie le décor, où la mer et le ciel se rencontrent et se confondent. C’est dans cette zone, mystérieuse et troublante, que naissent, peut-être, les sentiments amoureux.
Christophe Gervot
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