Wolf Ka et la Compagnie Res Publica à Scopitone
Le souffle hacker
Festival des Arts Numériques, à Nantes, du 17 au 21 Sept. 2008
A la frontière de l’acoustique, de l’informatique, de la danse et des mathématiques, Moving by Numbers élabore une expérience sensorielle interactive qui s’impose rapidement comme un troublant échange entre deux humains, au travers de la technologie.
"Depuis un an, j’essaie d’écrire cinq lignes pour expliquer le principe du spectacle ; mais je n’y parviens pas !" explique l’artiste allemand Wolf Ka dans un français impeccable. Pourtant son installation interactive techno-sensorielle Moving by numbers n’est pas si complexe.
Dans son installation la technologie associe un couple danseuse-spectateur lié par la perception des mouvements et de la respiration, par l’entremise de capteurs sensoriels. Concrètement, le dispositif se présente comme une sorte de tube cathodique géant et habitable, drapé de noir. Dans la pénombre, danseuse debout et spect-acteur allongé, séparés par une glace, vont créer ensemble des amalgames mouvants de pixels. Leur interaction s’effectue sans communication directe, mais via des intermédiaires technologiques. Vu de l’extérieur, l’écran ne diffuse que des apparences trompeuses aux simples spectateurs.
Technologies et sensations
Du côté du spect-acteur, allongé dans un fauteuil inclinable, des émetteurs audio-sensoriels et un capteur de respiration ; une musique abstraite lui est diffusée, exclusivement par le os des poignets et du sternum, tandis que les modulations volontaires de sa respiration sont intégrées par le logiciel. Séparée du spect-acteur par un miroir sans teint, la danseuse utilise des balises émettrices placées à ses articulations dont les mouvements sont captés par une caméra infra-rouge.
On ne pas s’empêcher de respirer, comme on ne peut pas s’empêcher d’agir avec l’autre
Au fond, un écran couvert d’un réseau régulier de pixels blancs. Chacun à leur manière, les deux acteurs influent sur ceux-ci : les mouvements de la danseuse les aimantent, les agrègent, tandis que la vitesse et l’intensité de la respiration du spect-acteur contrôle leur vélocité et l’amplitude de leurs déplacements. Les deux étrangers, qui ne distinguent que leurs ombres respectives, vont bientôt danser ensemble en mêlant mouvements et respiration. Il y a quelque-chose de fondamentalement sensuel dans cet échange silencieux. Les impressions rapportées par les spect-acteurs expriment d’ailleurs les idées de sérénité, de sensations nouvelles, d’un sentiment étrange de sensualité.
Passer outre le spectacle passif
Wolf Ka, plasticien trentenaire originaire de Hamburg et résidant en France -"le statut d’intermittent est y extrêmement avantageux"- tourne résolument le dos à l’art frontal. Formé à l’école du théâtre, il s’oriente progressivement depuis 1998 vers un véritable spectacle vivant, c’est-à-dire où l’on perçoive la vie. "Le théâtre fige dans une certaine forme de médiation, frontale, où les spectateur sont passifs. J’ai opté pour un dispositif contemporain, et une autre conception de la perception. Par cette expérience je veux rendre de nouveau les choses directement perceptibles. Je voulais quelque chose qui viennent du corps et auquel on ne puisse pas échapper. Or, on ne pas s’empêcher de respirer, comme on ne peut pas s’empêcher d’agir avec l’autre." Une conceptualisation simple, qui évite l’écueil intellectualiste des œuvres d’art supports ésotériques d’un discours rhétorique. Il est vrai qu’il travaille à à l’Ecole nationale supérieure de création…industrielle..
On a traduit mensongèrement Hacking par Piratage. Un hacker cherche à comprendre comment fonctionne les technologies, en souligne les dangers, et se les approprie pour offrir du nouveau
Le Hacking entre bricolage et algorithmes
D’ailleurs, le titre Moving by numbers est moins une allusion au film de Peter Greenaway Drowing by Numbers qu’à Design by numbers la méthode de programmation du fondateur de l’art numérique John Maeda. "Je suis un artiste qui conçoit ses moyens d’action." : comme son prédécesseur étasunien, le plasticien allemand s’est fait concepteur, mathématicien, programmateur, acousticien et même –pour créer le caisson- métallurgiste.
L’inscription de Wolf Ka dans le monde contemporain est à l’image du nom de sa compagnie : Res Publica. Tout est dit. Sa conception du Hacking est logiquement celle d’un Bien Public : "’To Hack’, c’est bidouiller, bricoler. En France on l’a traduit mensongèrement par ’Piratage’. Un hacker cherche à comprendre comment fonctionne les technologies, en souligne les dangers, et se les approprie pour offrir du nouveau. La culture numérique détourne et absorbe la technologie et l’industrie… ".
Une opinion partagée par Julien Clauss et Douglas Edric Stanley, qui ont apporté leur pierre au projet. Le premier, acousticien, est créateur de Stimuline, un concert audio-tactile lui aussi présenté à Scopitone. Le second, professeur aux Beaux-Arts d’Aix, explore les implications des algorithmes, de la mécanique et de l’art. Le travail commun des trois artistes prend corps sous les gestes des danseuses Olja et Donata.
Moving by numbers à Scopitone
Deux ans ont été nécessaire pour développer le projet. Des présentations in progress ont été présentées à la Maison Pop de Montreuil, au Pavillon Noir d’Aix, au Inteatro Vaal Festival en Italie, avant que la version finale soit développée dans la salle de l’Olympic de Nantes et s’achève à Scopitone.
Peu de doute que Wolf Ka et sa Compagnie Res Publica vont exercer une attraction intriguée sur le public de Scopitone, avide de découvrir les interactions entre deux corps et un environnement. Il y cotoyeront les installations des cré-bidouilleurs du collectif Digital Slaves. Il ne faudrait pas que l’expérience soit une révélation : le monde techno-scientifique ne doit voiler qu’il est possible de réaliser une expérience inter-humaine comparable sans l’apport de la technologie…
Renaud Certin / Photos : Cie Res Publica
Présentation publique du dispositif tous les après-midi du 17 au 21 Septembre 2008, à la Friche Numérique [1].
Toute la prog’ de Scopitone 2008, à Nantes, du 17 au 21 Sept. 08.
Wolf Ka et la Compagnie Res Publica
La genèse de Moving by Numbers et la version définitive Moving by Numbers à Scopitone
Le dispositif Stimuline à Scopitone, de Julien Clauss.
Un aperçu du travail de Douglas Edric Stanley
Pour jouer avec des formes mobiles, un aperçu des créations interactives de John Maeda.
[1] La Friche Numérique est située dans la halle 6 des chantiers Alsthom de l’Ile de Nantes. Passer le pont Anne de Bretagne, puis à gauche.
Bloc-Notes
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