
Post-rock contemplatif
Oldman, le rêve d’un vieil homme
Entretien avec Charles-Éric Charrier
C’est après un rêve fondateur, le rêve d’un vieil homme, que Charles-Éric Charrier, musicien et compositeur nantais connu pour de multiples collaborations (Man, Lena and the Floating Roots Ochestra, Le Coq…) met en chantier son projet solo, Oldman, avec la complicité de Ronan Benoît et Rémy Bellin, batteur et guitariste de Puanteur Crack. Naviguant entre post-rock contemplatif, world et improvisation libre, la musique d’Oldman est à l’image de Charles-Éric, charmeuse et énigmatique, profonde et superficielle. Fragil l’a rencontré à l’occasion de la sortie prochaine de deux albums, Son, Father and Son et Two Heads Bis Bis.
Fragil : J’aimerais que tu me guides dans ton univers…
Je pars d’une particularité… qui est moi. À la fois ma vie extérieure, mais aussi ce que je ressens intérieurement, tout ce que j’apprends de moi, et c’est cela qui ressort. Ensuite, il y a une autre chose qui se passe… Je sens de plus en plus précisément qu’il y a quelque chose qui me traverse et que je ne maîtrise absolument pas.
Fragil : Le “Je est un autre…” rimbaldien, alors…
Oui, oui, parfois je ressens quelque chose qui me traverse, particulièrement en jouant de la musique. Je ne sais absolument pas ce que c’est. Comme je ne suis pas croyant, je ne vais pas dire que c’est Dieu, tout ça… Je dirais plutôt que c’est la vie. Il y a quelque chose de vibratoire, là-dedans… Ce que j’essaye de faire, c’est de partager un questionnement. Je n’ai pas de réponse, mais je partage ce questionnement et, à mon sens, c’est ça, l’art. J’ausculte ce que je ressens, et ensuite… Un disque comme Son, Father and Son, par exemple, ce n’est pas de la mise à nu, c’est de l’impudeur la plus totale.
Ce que j’essaye de faire, c’est de partager un questionnement. Je n’ai pas de réponse, mais je partage ce questionnement et, à mon sens, c’est ça, l’art.
Fragil : C’est pour ça que ta musique est difficile d’accès. Elle est musicalement accessible, mais chargée d’une signification émotionnelle subtile…
Oui, ce n’est pas comme de la musique contemporaine un peu ardue qui demanderait des clés. Là, non, il y a un aspect pop, des choses sur lesquelles tu peux t’ancrer assez facilement, mais cette impudeur est tellement présente que le disque peut gêner.
Son, Father and Son, quand je l’ai fait, je l’ai laissé trois ans sur les étagères sans presque jamais l’écouter… Je savais que là, j’avais touché à quelque chose qui m’étais précieux et profond. À tel point que je me suis dit : “Ça, tu le mets dans un coffre-fort et tu ne le fais écouter à personne.” Et puis je me suis dit : “Vas-y, confronte ce truc-là aux autres, partage-le.” Il y a un moment où je me suis dit que ce disque, ce n’était pas que un disque. C’est une somme. Un monde. C’était vraiment trop con de le laisser là.
Il y a un label qui s’appelle Own Records, que j’aime beaucoup, ils m’ont envoyé un long mail sur la perception qu’il en ont eu. Ils l’ont vraiment beaucoup aimé, mais ils m’ont dit : “Écoute, on ne va pas sortir ce disque parce que c’est trop impudique, et qu’on ne sait pas quoi en faire.” Alors, c’est à double tranchant… D’un côté, j’étais très flatté, mais en fait, je ne conçois pas, enfin je ne conçois plus la musique d’une manière profonde… Je ne fais pas de la psychanalyse. J’essaie simplement de partager mes questionnements. Mais je ne suis pas pudique, c’est vrai.
Fragil : Tous tes disques sont en fait aussi impudiques que Son, Father and Son…
Oui, mais de manière différente. Dans Two Heads Bis Bis, par exemple, il y a quelque chose que l’on pourrait qualifier d’africain, mais fantasmé. Le propos, les sentiments qui en ressortent ne sont pas du tout africains. C’est quelque chose d’universel. C’est un disque qui traite de la mort, et de toute la peur que ça peut engendrer, mais aussi la création de désirs par rapport à cette peur… Le thème de Two Heads Bis Bis, c’est ça. Je suis parti d’un texte que j’avais écrit comme ça, en me disant : “Tiens, si j’étais Africain, quel conte je pourrais raconter ?” Deux têtes coupées dans un panier parlent de l’été qui vient, mais elles ne s’aperçoivent pas qu’elles n’ont plus de corps…
La musique qui me traverse, c’est quelque chose de poétique… la poésie qui traverse un mec qui n’a pas de culture…
La musique qui me traverse, c’est quelque chose de poétique… la poésie qui traverse un mec qui n’a pas de culture… Donc avec un aspect brutal, primitif. Et plus ça va, et plus je sens que je fais se joindre la profondeur et la surface.
Fragil : Tu entretiens un rapport à la musique très personnel, très intime… D’où viens-tu en tant que musicien ?
Je suis autodidacte par choix. J’ai pris un cours de musique, une fois… Au bout d’une demi-heure, je me suis levé et je me suis cassé. Je suis resté très poli, j’ai juste dit : “Ce n’est pas pour moi.” Très tôt, j’ai eu l’intuition que toutes les erreurs que je pouvais faire, en musique, je pourrais en faire un style. De cette intuition à sa réalisation, il s’est passé quinze ans (rires).
Ensuite, du point de vue musical, je viens du punk de la fin des années 70, du “do it yourself”. C’est ça que j’ai retenu. J’ai eu tout de suite envie de faire quelque chose de particulier. J’ai tout de suite commencé avec des trucs expérimentaux… mais sans avoir aucune culture.
Un de mes premiers groupes s’appelait No Go Dada, on était huit. Un truc incroyable… On a commencé à jouer le lundi, quelques jours après, il y a un mec qui s’appelle Jean-Luc Salducate, qui est programmateur à Fuzz’Yon, à La Roche sur Yon, qui est venu nous voir. Il a entendu le truc, et il nous a dit : “Je vous programme, vous êtes le seul groupe de no-wave français.” C’était au début des années 80, et nous le no-wave, on ne savait même pas ce que c’était. C’est grâce à ce mec qu’on a découvert DNA, Mars, Swans même. Toute la musique no-wave, indus…
Fragil : Tu as toujours joué de la basse ?
C’est l’instrument que j’ai tout de suite préféré, oui. Ceci dit, j’ai aussi eu une guitare en même temps, une boîte à rythme, un petit enregistreur de pistes et j’ai bricolé des trucs… j’adore bricoler.
La basse et la batterie, pour moi, forment un seul et même instrument, une seule et même voix, et c’est cette pulsation qui assoit tout le reste.
Fragil : On a l’impression que Two Heads Bis Bis est construit autour de cet instrument…
Non, il est surtout construit autour du rythme, en fait, des rythmes, avec des pulsations différentes. La basse et la batterie, pour moi, forment un seul et même instrument, une seule et même voix, et c’est cette pulsation qui assoit tout le reste. Le reste, c’est des voix, de l’orgue, des choses comme ça qui sont plus ambiantes, mais là, avec la basse et la batterie, il y a vraiment quelque chose qui est du domaine vibratoire.
Fragil : Comment composes-tu ?
Oldman, c’est mon projet solo, et les deux gars de Puanteur Crack, Ronan et Rémy, sont mes collaborateurs privilégiés. Pour la composition, ce n’est jamais pareil. Là, avant que tu arrives, on était en train de réévaluer un morceau, c’était vraiment une composition à trois. Sur le disque qu’on va sortir cet été, Tinkerman, les gars ont arrangé ce que j’ai écrit, sauf le dernier morceau, qu’on a fait ensemble. Sinon, il y a aussi beaucoup d’improvisation. Le premier morceau de Two Heads Bis Bis, c’est de l’improvisation. J’avais juste le riff de trois notes. Je l’ai montré à mes collègues, et on a joué. Dans Oldman, j’initie toujours tout, mais ensuite… en fait, les gens avec qui je joue, j’essaie de leur communiquer le cap, la ligne directrice que j’ai choisie. Qu’ils la saisissent, qu’ils y adhèrent et qu’ils trouvent leur liberté dans ce cadre qui est… moi.
Fragil : Et tu la définirais comment, cette ligne directrice ?
C’est une question à laquelle je n’ai pas trop envie de répondre… Pas pour être mystérieux et séducteur, mais… je préférerais, si c’est possible, que les gens puissent se faire leur propre opinion. Qu’ils puissent créer leur propre monde.
Propos recueillis par Sophie Pécaud
Photo : Sophie Pécaud
À écouter :
Two Heads Bis Bis (CD), Low Impedance, sortie septembre 2008
Son, Father and Son (CD), Arbouse Recordings, sortie octobre 2008
Mais aussi :
Ton’da (numérique), Dog Eared Records, sortie juillet 2008
Winter (réédition vinyle), Dea Records, sortie septembre 2008
5 Little Elephants (CD), Union Without Nation Records, sortie octobre 2008
Slow, Arbouse Recordings (vinyle – édition limitée), sortie automne 2008
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses