
Sonic Youth etc. : Sensational Fix
Sonic Youth & Cie exposent à Saint-Nazaire
LiFE, Saint-Nazaire, du 18 juin au 7 septembre 2008
Enfants terribles de la scène no-wave et post-punk new-yorkaise des années 80, les membres de Sonic Youth, aujourd’hui la cinquantaine fringante et plus prolifiques que jamais, n’ont jamais cessé de multiplier les collaborations avec des musiciens, des plasticiens, des vidéastes et des performers en tous genres, puisant leur inspiration dans l’ensemble des formes de la (contre-)culture américaine. Sonic Youth etc. : Sensational Fix, exposition présentée au LiFE de Saint-Nazaire du 18 juin au 7 septembre prochain, met à l’honneur quelques-unes des ces collaborations. Retrouvez cet article en version anglaise.
L’histoire de Sonic Youth etc. : Sensational Fix est une histoire d’amitiés. Né au printemps dernier, le projet l’exposition tire son origine d’une rencontre bien plus ancienne, celle de Kim Gordon, bassiste et chanteuse du groupe, et du commissaire indépendant Roland Groenenboom. En 1995, les deux collaborent à une exposition itinérante, Kim’s Bedroom. Au fil des années, Roland Groenenboom se lie d’amitié avec l’ensemble du groupe, et porte un intérêt croissant à l’ensemble de ses activités. Ne tarde pas à naître l’idée d’une exposition qui explorerait les relations qu’entretient Sonic Youth avec une constellation d’artistes issus des arts plastiques, de la vidéo et de la performance.
Inaugurée au LiFE de Saint-Nazaire, dans l’alvéole 14 de l’ancienne base sous-marine, Sonic Youth etc. : Sensational Fix est le fruit d’un an de collaboration entre Sonic Youth, Roland Groenenboom, Christophe Wavelet, directeur artistique du LiFE et Corinne Diserens, directrice du Museïon de Bolzano. Les archives du groupe y occupent une place de choix, mais elle en sont moins le point central que le fil qui permet d’en lier les différents modules. Une fois passés les attendus clips musicaux, affiches de concerts et autres pochettes d’albums, le visiteur découvre une autre facette l’activité de Sonic Youth, celle d’un groupe qui compte trois artistes visuels (Kim Gordon est aussi commissaire et critique d’art), et pour qui 28 années d’activité signifient aussi 28 années de créations, de collaborations et de découvertes dans ce domaine.
“Sonic Youth etc. : Sensational Fix” ne se tourne vers l’ancien que pour en faire surgir… du nouveau.
Pour les amateurs éclairés de Sonic Youth, l’idée d’une telle exposition est une évidence. Pourquoi ne naît-elle que maintenant ? Pour Roland Groenenboom, c’est au monde de l’art contemporain, frileux envers la culture populaire et alternative qu’il faut poser la question. Au visiteur qui arpente les 1600 m2 de l’exposition, une autre réponse s’impose : il fallait sûrement la maturité de leurs trente ans de carrière pour que les membres de Sonic Youth puissent se retourner sur leur passé sans risquer de s’y complaire. Sonic Youth etc. : Sensational Fix n’a ainsi rien d’une rétrospective. Le choix des travaux exposés, la scénographie adoptée n’ont d’autre but que de faire dialoguer les œuvres, d’en offrir une perception originale et d’en faire surgir un sens inédit. Que le parcours de l’exposition se termine sur le karaoké inversé de Kim Gordon – parfaite illustration du “do it yourself” punk –, est révélateur : Sonic Youth etc. : Sensational Fix ne se tourne vers l’ancien que pour en faire surgir… du nouveau.
Une histoire de la culture populaire et alternative
À l’entrée du LiFE, un tapis de 33-tours soigneusement dépouillés de leurs pochettes. Que l’on soit amateur de vinyle ou non, on ne peut s’empêcher de frissonner à l’idée de se frayer un chemin à travers les 5000 disques de l’installation Untitled (1987) de Christian Marclay. Que penser d’une exposition qui nous contraint à piétiner nos idoles musicales ? Contre tout fétichisme, Untitled révèle ce que nos 33-tours les plus chers sont réellement : des rondelles de plastique surestimées, produites en masse par des maisons de disques qui tirent profit de l’illusion que ces objets nous rapprocherons un peu des hommes et des femmes qui figurent sur leurs pochettes. Faisant le lien entre arts visuels et arts sonores, l’installation de Marclay donne le ton à une exposition qui veut être une nouvelle histoire de la culture américaine, une alternative à l’histoire “officielle” racontée par les statistiques des maisons de disques, les catalogues des musées et les livres d’histoire des lycées. L’histoire que Sonic Youth etc. : Sensational Fix raconte, c’est celle qui s’écrit entre les piles des disques qui encombrent notre mémoire collective.
Clairement anti-didactique, l’exposition invite le visiteur à écrire lui-même une bonne partie cette histoire. Tout comme la musique de Sonic Youth, elle manifeste à la fois structure et anarchie, harmonie et dissonance. Sa structure : une section centrale (les archives du groupe) et six satellites. Chacun représente un chapitre de l’histoire du groupe : la scène new-yorkaise des années 80, la vie “sur la route” dans l’Amérique rurale et suburbaine, Los Angeles et la côte Ouest, les tournées à l’étranger, la musique et les performances live. Cette structure n’apparaît cependant que si l’on se donne la peine de la chercher. Sonic Youth etc. : Sensational Fix consiste moins en un itinéraire bien défini qu’en une invitation à découvrir les affinités des différents travaux qu’elle présente.
“Sonic Youth etc. : Sensational Fix” opte pour une approche clairement non hiérarchisée de l’art.
Sonic Youth etc. : Sensational Fix est une exposition dans laquelle il est facile de se perdre, et l’arrangement des œuvres est tel qu’il est quasi impossible de les considérer isolément. C’est ainsi qu’on embrasse d’un seul regard les Conversions de Vito Acconci et une lithographie de Jenny Holtzer, des photographies de Patti Smith et des poèmes d’Allen Ginsberg, un cartoon de Matt Groening et des dessins de Raymond Pettibon. Attirant constamment notre œil sur une nouvelle œuvre, l’exposition nous invite à frayer notre propre chemin dans les bribes de la culture américaine qu’elle présente – la seule restriction qu’elle nous impose étant l’impossibilité de privilégier une œuvre au détriment d’une autre. Faisant se côtoyer culture de masse et culture élitiste, des grands noms de l’art contemporain, de peu médiatisés artistes noise et des stylistes d’envergure mondiale, Sonic Youth etc. : Sensational Fix opte pour une approche clairement non hiérarchisée de l’art – un choix exemplifié par l’œuvre située à son centre géométrique, un pavillon de verre imaginé spécialement pour l’exposition par Dan Graham, invisible si n’étaient les supports métalliques qui le soutiennent, la station musicale qu’il abrite, et les visiteurs qui le traversent.
Des enjeux sociaux et politiques
Pour son étape nazairienne, l’exposition a suscité de nombreux partenariats, en particulier avec Le Grand Café, centre d’art contemporain, et le festival de musiques actuelles Les Escales, qui accueillera le groupe pour un concert exceptionnel le 9 août prochain. “Ça n’avait pas de sens d’imaginer une énorme exposition, qui prendrait appui sur ces logiques d’amitié et de collaboration développées depuis 30 ans par les Sonic Youth, s’il n’y avait pas eu de concert”, explique Christophe Wavelet.
Les enjeux de Sonic Youth etc. : Sensational Fix sont ainsi artistiques, mais aussi sociaux et politiques. Qu’une telle exposition vienne se loger dans l’ancienne base sous-marine de Saint-Nazaire, ville de taille modeste plus fameuse pour ses chantiers navals que pour sa vie culturelle, aurait été inimaginable il y a encore quelques années. Elle est aujourd’hui “l’expression d’une volonté publique extrêmement puissante”. “Très peu de villes de l’importance de Saint-Nazaire, rappelle Christophe Wavelet, développent une politique culturelle aussi ambitieuse”.
“Sonic Youth etc. : Sensational Fix” fait de la ville portuaire l’épicentre d’un événement d’envergure mondiale.
Sonic Youth etc. : Sensational Fix fait de la ville portuaire l’épicentre d’un événement d’envergure mondiale, “permettant une autre perception de la ville” et y attirant un public nombreux et varié – plusieurs publics, en fait, “qui rarement se télescopent dans un contexte de grande exposition d’art contemporain”. Celui des fans de Sonic Youth, d’abord. Celui des habitués des grandes expositions d’art contemporain. Mais aussi et surtout, “tout un public qui est intéressé, de manière plus large, par des formes d’expérimentation assez radicales, par des conduites artistiques qui témoignent d’une très grande liberté dans le rapport à la société, dans le rapport à l’histoire, dans le rapport au monde. Bref, tout un public qui est intéressé par la question de l’invention, et pas seulement de l’invention artistique mais, plus généralement, par la question de l’invention en tant que posture face au monde”.
Inventer, ce que Sonic Youth ne cesse de faire depuis ses débuts. La preuve au LiFE de Saint-Nazaire, jusqu’au 7 septembre prochain.
Retrouvez cet article en version anglaise.
Emilie Friedlander et Sophie Pécaud
Photos : Valérie Pinard
L’exposition Sonic Youth etc. : Sensational Fix est présentée au LiFE de Saint-Nazaire, du 18 juin au 7 septembre 2008. L’entrée est libre et gratuite. Toutes les informations pratiques sont sur le site du LiFE.
Un grand concert de Sonic Youth aura lieu le 9 août 2008, dans le cadre d’un partenariat du LiFE avec le festival Les Escales. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site des Escales.
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