
"Iphigénie en Aulide" de Glück à Strasbourg
Modernités de l’opéra
L’opéra national du Rhin vient de présenter une mise en scène très poétique ,signée Renaud Doucet et André Barbe ,de la trop rare "Iphigénie en Aulide" de Glück, créé en 1774. Cet opéra reprend l’épisode développé par Racine du sacrifice d’Iphigénie. Andrew Schroeder, inoubliable dans "Le Nez" de Chostakovitch pour Angers Nantes Opéra, durant l’hiver 2004, a incarné un Agamemnon d’une bouleversante humanité, dans une oeuvre saisissante de modernité.
Dans un XVIIIème siècle encore très marqué par les règles de la tragédie lyrique dont Lully est l’un des représentants, Glück [1] a été soucieux de créer une musique qui puisse atteindre l’expression la plus grande, ce en quoi il a été très novateur et à l’origine d’une profonde révolution dans le monde encore jeune de l’opéra.
La modernité des opéras de Glück
Plutôt que l’obsession du beau chant, il s’agit d’atteindre la vérité des sentiments et la dramatisation des situations. Deux détails sont à cet égard explicites : lors de la création de "Orphée et Eurydice"(1774), le compositeur insistait pour que les exclamations d’Orphée, découvrant celle qu’il aime, morte, soient criées et non pas chantées. Dans "Iphigénie en Tauride" (1779), second opéra de Glück sur le mythe d’Iphigénie, Oreste est poursuivi par les furies qui hurlent "Il a tué sa mère" avec des accents d’une grande violence. Ce bouleversement opéré dans un genre très codifié, a des ressemblances avec ce qui se passera au XXème siècle dans la mise en scène d’opéra, grâce à Patrice Chéreau et une Tétralogie de Wagner à Bayreuth en 1976, après laquelle le jeu des interprètes ne pourra plus être le même. Dans les deux cas, la conséquence a été d’aller toujours plus loin dans l’expression et la force des sentiments.
La représentation d’un monde englouti
Renaud Doucet et André Barbe ont su créer une mise en scène qui permet aux artistes d’incarner des figures particulièrement démesurées. Ces deux artistes québécois se sont illustrés par des mises en scène extrêmement inventives qui privilégient la direction d’acteurs. On leur doit en particulier une fascinante "Pénélope" de Gabriel Fauré à Wexford et une étonnante "Turandot" à Vienne. Pour raconter l’histoire de ces guerriers grecs immobilisés par des eaux trop calmes dues à l’absence de vent et du sacrifice barbare de la fille d’Agamemnon réclamé par les Dieux, les deux artistes ont choisi de situer l’action dans un monde sous marin où une énorme ancre de navire nous rappelle son immobilité. Cette impression de monde englouti a des résonances psychologiques lorsque l’on songe à l’énormité du dilemme : Agamemnon doit choisir entre l’immolation de sa fille Iphigénie ou l’arrêt des combats.
Visuellement, le spectacle est troublant comme ces fonds sous marins, étrange et poétique. A l’intérieur de cet espace onirique, les passions se déchaînent, explosent et c’est à un grand moment de théâtre que nous assistons. D’autant que les artistes sont très investis dans le projet. Cassandre Berthon est très émouvante dans son rôle d’innocente persécutée et sa voix, aux aigus cristallins, transporte et élève. Andrew Schroeder, inoubliable dans "Le Nez" de Chostakovitch à Nantes en 2004, exprime à la perfection les déchirements d’un père et les affres d’un roi, soumis à une forme de devoir. Il sait être d’une bouleversante intériorité tout en ménageant des instants où jaillissent ses aspirations belliqueuses.
Ce bouleversement opéré au XVIIIème siècle dans un genre très codifié, a des ressemblances avec ce qui se passera au XXème siècle sur une scène d'opéra, grâce à Patrice Chéreau
La partition est écrasante et pour exprimer les sentiments les plus forts, Glück a osé d’incroyables écarts de notes et parfois même de stupéfiantes dissonances. La production bénéficiait de l’énergie incroyable du chef d’orchestre Claude Schnitzler, artiste immense, qui respire avec la musique, jusqu’à s’incarner en elle avec une générosité de tous les instants. Annette Seiltgen affrontait le redoutable rôle de Clytemnestre, mère blessée par des desseins qui lui échappent. Elle laisse exploser une fureur incandescente dans son aria finale, où elle exprime la folie des hommes et des instincts guerriers. Ce personnage, dans la conception de Glück, évoque le très beau film de Cacoyannis, "Iphigénie", où l’on voit Irène Papas regardant les bateaux repartir ,lors du dénouement, avec une tragique lucidité.
En attendant "L’éveil du Printemps"
L’opéra national du Rhin a offert avec cette " Iphigénie en Aulide" un spectacle d’une profonde intelligence et d’une grande force, en parfait accord avec les désirs formulés par le compositeur.
Quelle est la modernité de l’opéra aujourd’hui ? Elle passe certes par un questionnement tant musical que dramaturgique sur les oeuvres mais aussi par la création. Très soucieux de cet aspect de l’art lyrique, l’Opéra National du Rhin créera l’événement en septembre prochain en reprenant une oeuvre créée l’an passé à Bruxelles. Il s’agit de "L’Eveil du Printemps" de Benoît Marnier, d’après la pièce de Wedekind. Le compositeur a su trouver les accords les plus justes pour raconter les tourments de l’adolescence dans une oeuvre fascinante et très actuelle.
Christophe Gervot
Photos : Alain Kaiser / Opéra National du Rhin
Distribution : Cassandre Berthon, Manuel Betancourt Camiro, Avi Klemberg, Annette Seiltgen, Andrew Schroeder
[1] Christoph Willibald Gluck, 1714-1787. Ce compositeur allemand est une figure majeure de la période classique.
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