
L’exercice du métier de journaliste
Les journalistes doivent-ils continuer d’exercer leur métier dans n’importe quelle région du monde, en dépit des dangers encourus ? Comment cette liberté peut elle être défendue par les pouvoirs publiques ? Autant de questions que l’on peut se poser sur le métier de journaliste aujourd’hui.
En soutien à Florence Aubenas, Hussein Hanoun Al-Saadi et Giuliana Sgrena, le Lieu unique en association avec la mairie de nantes a organisé une rencontre débat sur le métier de journaliste dans les conditions de violence actuelles dans certains pays, notemment l’Irak. Christine Vilvoisin, journaliste à france 3 coordonnait le débat. Etaient présents : Dominique Le Guilledoux, grand reporter au Monde ; Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro et Marc Semo, journaliste au service étranger de Libération. Le métier de journaliste et particulièrement celui de reporter a toujours comporté des risques que nous ne pouvons ni anticiper, ni maîtriser, faut-il pour autant renoncer à l’information ?
Peut-on et doit-on encore faire ce métier de journaliste dans les zones à risque ?
Marc SEMO : Oui, évidement qu’on doit y aller. Alors après il faut se poser la question comment ? Quels moyens employer pour se protéger au maximum ?
Ca revient à rester cantonné dans les hôtels ?
Marc SEMO : C’est vrai dans les zones dangereuses où on n’est pas les bienvenus, on ne sort pas beaucoup. Mais quand on sort, on essaye de changer d’itinéraire, de voiture... Et c’est là où les " fixeurs " sont importants, plus qu’un guide interprète, ils sont des informateurs locaux qui connaissent bien le coin. Après c’est vrai qu’il y a des zones plus sécurisées, les " zones vertes ", des zones marquées par la présence des troupes américaines. Mais ça ne reste pas sans risque, il y a toujours danger.
P.de SAINT-EXUPERY : Je ne comprends pas qu’on pose la question, évidement qu’il faut y être, parce que c’est l’essence même du journalisme, c’est un choix avec tous les risques que cela comporte.
Vous qui êtes journalistes de terrain, y a t-il des préparations psychologiques avant de partir ?
P.de SAINT-EXUPERY : Non, il n’y a pas de préparations psychologiques, on se demande simplement pourquoi ça serait bien d’y aller, est-ce que ça vaut le coup.
D.LE GUILLEDOUX : Oui, le métier de journaliste c’est aussi d’être là où personne ne peut être. C’est ce rôle de passeur qui fait parler les gens et transmet l’information. On n’y pense pas, on gère le stress par notre travail.
Marc SEMO : C’est une nécessité d’être au coeur de l’évènement, être au plus près pour se rapprocher le plus possible de la vérité. Je crois qu’il n’y a aucune forme de réparation possible.
D.LE GUILLEDOUX : Je crois que la meilleure préparation à avoir, c’est plutôt un état d’esprit. C’est la passion du métier et la curiosité, l’envie de savoir ce qui ce passe et de le raconter. Ca efface toute peur qu’on peut avoir avant de partir. Ce qui est dur une fois là bas, c’est quand on a des personnes à côté de nous qui nous raconte des faits ou des rumeurs, c’est tellement facile de se laisser piéger par l’émotion et de vouloir raconter ce témoignage. Mais il faut faire attention et trier les propos que l’on entend, se renseigner et vérifier avant de transmettre, c’est pas toujours évident.
Industrie des otages.
Qu’a voulu dire Chirac lorsqu’il a annoncé qu’il serait préférable que les journalistes n’aillent plus en Irak ?
P.de SAINT-EXUPÉRY : Je pense qu’il est parfaitement dans son droit de dire cela, et puis il est dans son rôle d’homme d’état en disant cela. Mais de toute façon, il est bien clair que ça n’est pas lui qui en prendra la décision. Le choix, reste celui des journalistes. Mais en tant que journaliste, on est accueillit différement selon les régions, en Israël ou en Palestine, les gens disent : “venez, regardez, racontez”. En Irak c’est différent parce qu’ils ne veulent pas qu’on regarde, c’est plus compliqué qu’une occupation et donc beaucoup plus dangereux.
Marc SEMO : Oui, deux mots en ce qui concerne l’Irak et l’importance d’y aller. L’Irak, c’est vrai est sûrement un pays parmi les plus dangereux et risqué aujourd’hui. Mais la fin de ce régime en Irak est vécu euphoriquement et on sent ce besoin de parler, de témoigner qui est énorme. Il y a quand même 60% de personnes qui sont allé voter, malgré la pression, les interdictions et les menaces, il y a donc une réelle volonté de changement. Et aujourd’hui même si il y a encore des troupes américaines, pas forcément acceptées, on sent malgré tout une gratitude. Autre chose, les enlèvements, les prises d’otage, c’est fréquent. On enlève aussi des irakiens, ceux qui émergent d’une manière ou d’une autre, les médecins par exemple. Et les journalistes, eux aussi représentent un pactole. Mais quoi qu’il en soit dans ce pays et ailleurs, il y a toujours eu des enlèvements.
P.de SAINT-EXUPÉRY : Il y a une chose qui me frappe, c’est qu’en France, ces affaires d’otages finissent par prendre une dimension politique, pourquoi ? Il y a d’autres prises d’otage et en aucun cas c’est politique. Et je trouve vraiment ça dramatique quand je vois la dimension politique que cela prend en France. Mais j’en reviens aux otages, c’est pas nouveau, il y a toujours eu cette industrialisation des otages qui leur est très rentable. Je suis rentré en France il y a peu de temps et j’ai l’impression que dans ce doux pays, on ne se rend pas compte de la violence qui peut se passer ailleurs. C’est une réalité et il ne faut pas réduire cela à l’Irak. Cette industrie des otage est partout, on récupère sur les cadavres des bras, des jambes et on les vend parce que ça rapporte.
Et vous ne trouvez pas ça indécent quand le président Chirac évoque “le coût de la nation” ?
P.de SAINT-EXUPÉRY : Je pense que c’était dans le domaine du constat et en même temps c’est une réalité. Non la question qu’il faut se poser c’est : sommes nous prêt à assumer ce coût ? L’information à un coût. Bon là c’est une affaire énorme parce que c’est l’Irak mais au quotidien, que ça passe par la radio, la télévision ou la presse écrite, l’information a un coût. Et nous journalistes, on essaye de faire au mieux pour transmettre l’info et être au plus proche de la vérité. Mais il ne faut pas attendre de nous la perfection, oui il nous arrive de nous tromper, et on ne dit pas avoir raison. Notre travail et notre passion c’est simplement d’aller, regarder, écouter et raconter.
Que pensez vous de l’appel à M.Julia lancé par Florence Aubenas ?
P.de SAINT-EXUPÉRY : Ce qui me frappe c’est son égoïsme, il ne se préoccupe que de ses propres intérêts. Et il est clair que c’est une manipulation de ses ravisseurs, c’est certainement pas Florence qui aurait pensé à Julia. Le problème c’est qu’on est comme vous, on ne peut pas avoir de réponses claires à propos de l’affaire Julia, ce qu’on fait c’est déjà voir les questions qui se posent ; y a t-il des relations entre tous ces évènements ? D’abord, il y a le rôle de Julia dans l’affaire Chesnot / Malbruno, puis on parle d’un député français accusé “d’intelligence avec l’ennemi” donc visiblement il y a quand même un problème important. Si on continue, on constate que le premier ministre assure qu’il n’y a aucun rapport avec l’affaire Chesnot / Malbruno, et puis Julia revient dans la bouche de Florence. Alors quoi penser de tout ça ? Et entre tous ces évènements, on est pas plus éclairé sur le rôle de M.Julia.
J-M.AYRAULT : Juste un mot, je reviens juste de Paris, où nous étions rassemblés pour discuter de cette affaire d’otages. Et ce qui ressort de ma venue à Matignon, c’est avant tout un affaiblissement du pouvoir central et des institutions républicaines.
Quelques mots de Giuliana Sgrena...
A la question “les journalistes peuvent-ils encore travailler en Irak ?”, Giuliana Sgrena répondait dans le Monde du 8 mars : Avant cette expérience, j’étais convaincue qu’il fallait y aller pour pouvoir témoigner, raconter ce qui se passe. Maintenant je me rend compte que ce n’est pas possible, on ne peut pes travailler sérieusement : c’est cela le pire effet de la guerre, rompre la communication. Les ravisseurs me l’ont répété clairement, il ne veulent personne, ni militaires, ni travailleurs, ni journalistes.
Propos recueillis par Pauline ANDRE & Fabien LEDUC
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