
Psy-sex indien & Americana londonienne
TV Buddhas et Spoono à l’Hurluberlu
TV Buddhas + Spoono, L’Huluberlu, Nantes, 20 avril 2008
Il y a quelques semaines, à l’Hurluberlu, à Nantes, avait lieu l’un de ces concerts hétéroclites et intimistes dont Yamoy a le secret. L’association avait cette fois-ci programmé deux groupes venant de coins opposés de la planète. À une époque où les duos mixtes de rock rétro font autant recette sur MTV que les émissions de télé-réalité, TV Buddhas apporte un nouveau souffle à une formule battue et rebattue. De la même façon, Jack Allett, alias Spoono, trouve sa voie dans une tradition de folk américain hantée par les fantômes d’anciens maîtres.
Les ingrédients du mélange TV Buddhas ? “Deux êtres humains hurlant, un Twin Reverb avec assez de réverb’ pour abattre un éléphant, un tom basse, une caisse claire et une cymbale.” Quand “Evil Haring” et “Mickey Killer” débarquent sur scène, un paisible dimanche en fin d’après-midi, la clientèle de l’Hurluberlu a de quoi être surprise ; la quantité de son que le duo israélien sait tirer d’une guitare électrique et d’une batterie réduite à sa plus simple expression est étonnante. Les voisins ne tardent pas à réagir. Lors d’un set de vingt minutes, abrégé par la plainte d’un appartement voisin, le groupe trouve le moyen de donner un nouveau sens à l’idée quelque peu rebattue de faire plus (de son !) avec moins (de moyens).
Les ingrédients du mélange TV Buddhas ? Deux êtres humains hurlant, un Twin Reverb avec assez de réverb' pour abattre un éléphant, un tom basse, une caisse claire et une cymbale.
Les râgas des bouddhas
Dire que les TV Buddhas font plus de bruit que l’on aurait cru possible de deux personnes est insuffisant. L’intérêt de leur musique réside moins dans son volume que dans sa plénitude et son intensité. Les riffs réverbérés de Evil Haring, joués en open-tuning, expriment autant de basses que d’aigus. Chaque accord, gras, résonnant, s’abat sur l’auditoire comme le ferait une vague froide et salée ; la sensation de noyade qui en résulte est aussi délicieuse que suffocante. Le phrasé volcanique de Haring, rêveur et distendu à certains moments, nettement ciselé à d’autres, rappelle autant les pérégrinations post-apocalyptiques d’Om ou de Sun O))) que les crescendos baroques de Pentagram ou de Black Sabbath. Pénétrant ce mur sonore des motifs géométriques qui lui sont propres, sa complice Mickey Killer cogne sa batterie avec assez de force pour mettre au tapis sa collègue rayée d’MTV.
Sur leur site web, les TV Buddhas se classent eux-mêmes entre musique religieuse, psychédélique et de transe – selon leur propre terme, “Indian Psy-sex”. Bien qu’ils doivent beaucoup à la musique classique indienne, leur relation à cette tradition tient plus à la structure de leur musique qu’à son esthétique de surface. Même lorsque la voix de Haring domine les autres ingrédients du mélange, ses doigts continuent à tirer de sa guitare des motifs mélodiques répétitifs évoluant constamment, rappelant les râgas indiens par leur nombre restreint de notes. Le jeu de Mickey Killer semble également refléter ce principe. Répétant des motifs percussifs courts et dentelés, elle élabore un contrepoint subtil à la guitare de Haring, dévoilant l’extraordinaire lyrisme de leur musique grâce à une extrême économie de moyens. Bien que la composante “sexuelle” de leur musique ne soit pas la plus patente – les gimmicks à la Luke Jenner d’Evil Harring sont loin d’être convaincants –, elle manifeste la complexité de leur projet. Car si les TV Buddhas semblent en surface n’être qu’un duo rock rétro, cette posture n’est que le glaçage d’un mille-feuilles extrêmement riche, extrêmement dense, extrêmement lourd.
Spoono, ou quand John Fahey rencontre Loren Connors
Un jeune homme courbé sur sa guitare dans une attitude de concentration intense. Une mèche sombre qui lui barre le visage. L’entrée en scène de Jack Allett, alias Spoono, a de quoi troubler après la débauche d’énergie exubérante des TV Buddhas. Avec lui, point de gimmicks propres aux guitaristes de rock. C’est dans le folk traditionnel et le fingerpicking que plongent les racines de sa musique. Une musique plaisante – le guitariste fait montre d’une technique impressionnante et d’une expressivité jamais mise en défaut –, dont on se dit d’abord qu’elle n’est pas très originale. On ferme les yeux, on se laisse porter et l’on imagine l’Amérique d’avant-guerre, les Appalaches, John Fahey et sa guitare vagabonde. La musique de Jack Allett appelle des réminiscences folk, country et bluegrass, quelques échos du blues du Delta.
Spoono n’est pas un enfant des Appalaches. Jeune anglais de Brighton vivant dans la trépidante capitale londonienne, ses influences croisent l’Old Weird America aux expérimentations des grands noms de l’avant-garde guitaristique.
Sauf que Spoono n’est pas un enfant des Appalaches. Jeune anglais de Brighton vivant dans la trépidante capitale londonienne, ses influences croisent l’Old Weird America aux expérimentations des grands noms de l’avant-garde guitaristique : Rhys Chatham, Jim O’Rourke, Loren Connors font partie de ses favoris. Sa musique exige ainsi plusieurs écoutes, plusieurs niveaux d’écoute. On peut l’écouter comme l’on écouterait la B.O. d’O’Brother un soir d’été, sous la galerie, un bourbon à la main. On peut aussi tendre l’oreille, et tenter de saisir ce que l’approche compositionnelle de Jack Allett a de particulier, et, finalement, d’assez éloignée de celle de la figure tutélaire de John Fahey.
Le guitariste développe un jeu personnel, fondé sur une dynamique instable ; une alternance de rythmes enjoués et mélancoliques, d’exaltation et d’apaisement, de motifs obstinément répétés et de lignes mélodiques fluides. Le folk traditionnel fingerpické est une musique structurellement simple, et rarement déstabilisante. La moindre des pièces de Jack Allett danse sur une corde, parfois tranquille, parfois fébrile, faisant naître chez ses auditeurs une grande variété d’états émotionnels. Une dynamique instable amplifiée, parfois – malheureusement pas à Nantes – par l’alternance entre picking acoustique et noise électrique. Jack Allett, avant d’être guitariste, est un expérimentateur sonore infatigable, qui balade guitare électrique et électroniques au sein de deux groupes orientés punk et noise, Catnap et Towering Breaker.
Il est vrai que beaucoup de jeunes musiciens, aujourd’hui, puisent leur inspiration dans le passé. Les TV Buddhas et Spoono ne font pas exception. Le chemin qu’ils se fraient dans leurs traditions respectives est cependant passionnant, et il se pourrait bien que de leurs explorations, poussées à leurs extrémités, surgissent un jour une sonorité propre à notre époque. La sonorité de nos années. Gardons nos oreilles ouvertes.
Emilie Friedlander et Sophie Pécaud
Photos : Florian Quistrebert
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