
Décroissance (1/2)
La voix des "objecteurs de croissance" prend de l’ampleur
41 années de réserves de pétrole, 70 années de gaz, et 55 années d’uranium, c’est ce qu’il resterait pour subvenir à nos besoins au rythme de notre consommation actuelle. Pour les militants de la décroissance, il est grand temps d’agir ! Fragil les a rencontré lors d’une rencontre animée par l’association Impression d’Europe au Lieu Unique à Nantes.
Impression d’Europe [1] a souhaité ’allumer la mèche d’une urgente prise de conscience’. Une dizaine d’intervenants ont été convié pour évoquer d’autres alternatives à la croissance : Bruno Clémentin, du journal La Décroissance, membre du collectif Casseurs de Pub et cofondateur de l’ Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable ; Jean-Claude Besson Girard, directeur de la publication d’Entropia ; et Yves Cochet, ancien ministre de l’aménagement du territoire [2] et député vert du 11ème arrondissement de Paris.
80% des richesses détenues par 20% de la population
L’animateur du débat Les objecteurs de croissance, Gérard Meudal, journaliste au Monde des Livres, rappelle un constat plus qu’alarmant : 20% de la population mondiale se partage 80% de la consommation des richesses naturelles à l’échelle planétaire. C’est un fait, croissance ne va pas forcément de pairs avec égalité et amélioration des conditions de vie des plus démunis.
20% de la population mondiale se partage 80% de la consommation des richesses naturelles à l’échelle planétaire.
Le problème ne date pas d’hier : "il n’est pas de croissance infinie possible sur une planète finie’ résume Bruno Clémentin. La notion même de décroissance est apparue au début des années 1970, sous la plume de l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen, qui s’inscrivit en faux contre la vision "mécaniste" de l’économie classique. Ce fut un des premiers à mettre en évidence l’impossibilité de résoudre les problèmes environnementaux par le seul progrès scientifique et technologique. Contrairement à l’économie classique, il n’imaginait le processus économique comme un vase clos de production-consommation, mais comme une spirale où les déchets s’accumulent et les ressources s’amoindrissent. En appliquant la théorie physique de l’entropie à l’économie, Georgescu-Roegen a stipulé que les productions humaines créaient des déchets et de la pollution, et que ces ’outputs’ étaient de plus en plus difficiles à recycler. Il a distingué des éléments de "haute entropie" qui peuvent facilement être transformés (comme le bois, le pétrole), et les éléments de "basse entropie", qui le sont peu ou pratiquement pas (tels les déchets d’un ordinateur ou le CO2). Paradoxalement, la solution énergétique allait venir, selon lui, d’une utilisation d’énergies de "basse entropie" : le solaire ou l’éolien. [3]
Un capital naturel sans cesse diminué
Les intervenants invités par "Impression d’Europe" s’accordent à dire qu’il devient important de réduire notre production et notre consommation, car nous tirons aujourd’hui nos ressources, non pas de nos revenus, mais des les capitaux naturels de la Terre. D’autant plus que notre modèle économique, fondé sur la croissance, induit une augmentation constante de ces prélèvements. Les économistes ultra-libéraux comme les néo-marxistes ont passé outre le paramètre "nature", trop contraignant. Privé d’une donnée plus que fondamentale, notre modèle s’est déconnecté de la réalité physique. C’est pourquoi on doit assainir notre économie, en ne touchant pas, et c’est le minimum, au capital naturel restant. L’idéal étant de le reconstruire. Face aux changements climatiques (voir le rapport Stern, [4] et le film " Une vérité qui dérange" d’Al-Gore, etc.), il n’y aurait plus d’autres solutions possibles, pour de nombreuses raisons.
Il resterait, au rythme de notre consommation actuelle, 41 années de réserves de pétrole, 70 années de gaz, et 55 années d’uranium
Il resterait, au rythme de notre consommation actuelle, 41 années de réserves de pétrole (selon le Statistical Review of World Energy), 70 années de gaz (selon Gaz de France), et 55 années d’uranium (selon la Commission 2000 des communautés européennes). Et même si ces chiffres peuvent être contestés, si nous ne changeons pas radicalement de cap, il risque d’y avoir d’ici peu de fortes pénuries d’énergie. D’autant plus qu’il est prévu, face à la montée des pays en voie de développement, un doublement du parc automobile d’ici à 20 ans. De la même manière, alors que l’aviation représente plus de 2% des émissions des gaz à effet de serre, de plus en plus d’aéroports se construisent avec l’autorisation du politique pendant que le trou de la couche d’ozone ne cesse de s’agrandir. Et ce ne sont que des exemples de l’impossibilité d’une forme durable de notre système actuel. De plus notre société connaît une crise anthropologique : l’individualisme étant la route vers laquelle l’Homme se dirige de plus en plus.
Stocks de nourriture insuffisants
Un autre problème majeur : la démographie. Nous sommes de plus en plus nombreux sur la Terre. Il est estimé que nous serons, en 2050, plus de 9 milliards de personnes à l’échelle mondiale. Or, déjà, les réserves alimentaires mondiales sont sévèrement attaquées. Et en dépit des avertissements du Programme Alimentaire Mondial (PAM) il y a quelques mois, de celui de l’ONU cette semaine qui met en évidence l’épuisement des stocks de nourriture face à la demande, personne ne réagit. Ainsi, l’ONU estime à "1,2 milliard de personnes qui pourraient avoir chroniquement faim en 2025". En 1945, alors que la France comptait 6 millions d’agriculteurs, elle n’en compte aujourd’hui même pas un millions, selon l’INSEE. Sachant que l’équivalent d’un département de terre cultivable disparait tous les dix ans sous le ciment, il est grand temps d’agir.
3 scénarios envisagés
Agnès Sinaï, journaliste et réalisatrice de ("Paradis perdus", série diffusée sur Arte), envisage 3 scénarios :
1. On réagit immédiatement de façon drastique et on change nos comportements avant qu’il ne soit tard (si ce n’est déjà le cas…),
2. Les multinationales et les hommes politiques continuent ainsi, mais une minorité se regroupe et s’engage à un retour aux valeurs permettant la survie de l’humanité,
3. On continue à être ainsi obnubilés par l’argent et ce système capitalistique, et l’humanité s’éteint, au profit de la Terre.
Nous sommes dans une décivilisation mercantile, puisqu’à partir du moment où la génération suivante n’est plus assurée, nous ne sommes plus considérés comme civilisés. Notre espèce est sérieusement menacée
Et à Jean-Claude Besson d’ajouter : "Nous sommes dans une décivilisation mercantile, puisqu’à partir du moment où la génération suivante n’est plus assurée, nous ne sommes plus considérés comme civilisés. Notre espèce est sérieusement menacée".
Ces spécialistes ne se veulent pas rassurants pour ne pas atténuer le signal d’alerte, cependant, ils assurent ne rien exagérer : "les scientifiques revoient les échéances données plus proche de nous". Effectivement, ne serait ce que pour le réchauffement climatique, force est de constater que ces phénomènes s’accélèrent plus qu’ils ne ralentissent...
Charlène Lechat
- Lire la deuxième partie de notre dossier consacré à la Décroissance : "Comment changer nos modes de vie dans le bon sens"
[1] L’association Impression d’Europe souhaite revêtir un aspect militant. C’est pourquoi elle a ouvert un espace de débat entre objecteurs de croissance et citoyens, le jeudi 10 avril 2008 au Lieu Unique, à Nantes. La littérature est d’emblée présentée comme LE lieu de résistance, et comme le meilleur vecteur des prises de conscience.
[2] de juillet 2001 à mai 2002
[3] Pour en savoir plus sur la Théorie de la Décroissance, l’Entropie et l’Ecologie selon Georgescu-Roegen(1906-1994).
[4] Rapport stern : le Rapport du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses