Forum social des quartiers populaires
Résistances en banlieues
Du 22 au 24 juin 2007 s’est tenu à Saint-Denis (93) le premier grand rendez-vous national des quartiers populaires dans l’indifférence quasi générale. Peu de médias ont couvert l’événement, et pourtant une quarantaine d’associations militantes des quatre coins de la France se sont réunies pendant trois jours pour réfléchir à la question de la relégation sociale et de la politique des quartiers populaires. "Carte d’identité, carte de séjour, sans-papiers, habitants des quartiers ou d’ailleurs", tous sont conviés. Une initiative inédite conçue en dehors de toute affiliation politique et qui ne s’inscrit pas en réaction aux émeutes dans les quartiers. Retour sur l’événement six mois après.
"Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir", écrivait Aimé Césaire à propos du colonialisme. L’histoire des luttes et engagements dans les quartiers populaires ne date pas d’hier et pour en comprendre l’enjeu un petit retour en arrière s’impose. S’il ne faut prendre qu’un exemple, citons l’épisode du 17 octobre 1961.
Dans le contexte de la guerre d’Algérie, des centaines d’Algériens, travailleurs immigrés, sont massacrés par la police alors qu’ils protestent contre le couvre-feu rasciste qui leur est imposé. Le préfet de l’époque s’appelle Maurice Papon.
10 000 Algériens sont placés en garde à vue et des dizaines de corps sont retrouvés dans la Seine durant ce mois d’octobre. Les journaux témoigneront mais l’État restera muet. Cet épisode dramatique ne fait encore aujourd’hui l’objet d’aucune reconnaissance officielle [1].
Considéré par certains comme un mouvement radical, le MIB s'attache notamment à lutter contre les violences policières
Dans les années 70, les mesures d’éloignement des étrangers et notamment l’instauration de la "double peine" [2] poussent les individus à se rassembler pour lutter contre toutes les formes d’injustices rencontrées par les étrangers. De cette mouvance naît dans les années 90 le Comité contre la double peine, qui deviendra en 1996 le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB). Considéré par certains comme un mouvement radical, le MIB s’attache notamment à lutter contre les violences policières. De Youssef Kaif à Mantes-la-Jolie en 1991 à Abdelkader Bouziane en 1997, jusqu’à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005 à Clichy qui mettra le feu aux poudres, la liste est longue et non exhaustive…
Des associations existent un peu partout en France, et les militants continuent la lutte engagée par leurs ainé(e)s. Pourtant les actions au coup par coup et le sentiment d’impuissance face aux institutions amènent les militants à faire le constat des limites du mouvement associatif. Il s’agit de "prendre nos responsabilités" dira Tarek Kawtari, membre du MIB. En décembre 2006, le MIB, Divercités et les Motivé-e-s créent l’association Forum social des quartiers populaires, mouvement autonome composé uniquement de bénévoles et géré sur le mode de l’autofinancement. L’objectif unique de cette association est de garantir l’indépendance morale et financière du forum qui se tiendra six mois plus tard.
De la politique dans les quartiers
Pendant trois jours une quinzaine de documentaires et fictions sont projetés abordant des sujets aussi divers que les mouvements ouvriers (LIP), la question des chibanis [3], mais aussi la double peine et les politiques sécuritaires.
Une expo photo illustre l’histoire des luttes dans les quartiers et nous rappelle au passage l’importance de la transmission de la mémoire ; une mise en perspective qui manquera cruellement aux commentaires et analyses des émeutes de 2005. Selon Mohamed Kaf "Le problème c’est que les médias vivent dans un présent permanent, sans aucune profondeur historique".
Les discussions sont articulées autour de différentes thématiques : l'apartheid urbain et l'échec des politiques de la ville, le problème du chômage et de la précarité qui touchent plus durement les quartiers, l'école qui ne joue pas son rôle, les inégalités de traitement face à la police et à la justice…
Mais ce sont les débats qui sont vraiment le cœur du forum. Les discussions sont articulées autour de différentes thématiques : l’apartheid urbain et l’échec des politiques de la ville, le problème du chômage et de la précarité qui touchent plus durement les quartiers, l’école qui ne joue pas son rôle, les inégalités de traitement face à la police et à la justice…
Le Forum aura attiré environ 2 000 personnes. Une initiative qui discrédite surtout la thèse des "déserts politiques" dans les quartiers. En effet, si les partis politiques majeurs ont déserté les quartiers populaires, l’engagement politique de ces militants lui n’a pas disparu et ne varie pas en fonction des échéances électorales. La tenue de ce forum en est la preuve vivante.
Avenir
Six mois après, l’heure n’est plus aux bilans mais aux perspectives d’avenir. Si le forum n’était pas un but en soi, c’est surtout la dynamique créée par cet événement qui importe aujourd’hui.
Avant toute chose il aura notamment permis aux associations de faire le tri et de savoir avec qui il est possible de travailler. En effet malgré les dissensions entre les associations, la nécessité d’agir ensemble dans les quartiers est désormais une conviction, la volonté de créer une parole commune en est la conséquence.
Aujourd’hui, la tenue d’un forum en 2008 est acquise, "nous nous inscrivons dans un mouvement désormais devenu irréversible", précise Pierre Didier Tchetche Apea dans la motion de synthèse du forum. Mais les conclusions de cette première expérience ont été tirées, les militants ne veulent plus s’éparpiller et s’attacheront dans les prochains mois et pour le prochain rendez-vous national à réfléchir à un thème qui leur est cher, celui de "l’apartheid urbain", conséquence de l’inefficacité des nombreuses politiques de la ville dans les quartiers.
Entre les événements nationaux, l’idée est de régionaliser l’action et d’organiser des forums un peu partout en France, et ainsi donner la parole aux habitants des quartiers là où ils se trouvent. Lyon est sur la brèche, d’autres suivront…
Mais l’enjeu essentiel des mois à venir (et du prochain forum) est de démontrer à leurs détracteurs qu’ils ont une place à tenir dans le champ politique actuel. Le forum aura bel et bien permis dépasser les divergences et de dégager cette "identité politique commune".
Aujourd’hui le défi est de donner de l’ampleur à cette force politique autonome pour qu’enfin les revendications de ces militant(e)s et habitant(e)s soient entendues. Un contre-pouvoir dont a bien besoin la scène politique francaise…
Le problème c'est que les médias vivent dans un présent permanent, sans aucune profondeur historique
Alors dans la continuité des ZUS, ZEP [4], contrats de ville, et autres projets de rénovation urbaine, l’annonce du plan banlieue il y a quelques jours ne convainc personne et surtout pas ces militants qui ne se contentent pas d’ ’’espoir" pour changer l’avenir des habitants dans les quartiers.
Pour plus d’informations,
le site du Forum social des quartiers populaires
A découvrir, le documentaire vidéo de Reynald Bertrand "Mouvement de l’immigration et des banlieues (Chronique 2001-2002)"
Morgane Taquet
Photo : Aurélia Blanc
[1] Excepté une plaque commémorative installée en 2001 sur le pont Saint-Michel, à l’initiative du maire de Paris Bertrand Delanoë. Pour plus d’informations sur les événements d’octobre 1961, 17octobre1961.free.fr
[2] Principe de double condamnation qui permet l’application d’une peine de prison à un étranger en situation régulière assortie d’une expulsion du territoire francais même s’il n’a aucune attache dans son pays d’origine.
[3] Signifie "vieux" en arabe, désigne ces immigrés appelés à venir travailler en France après la Deuxième Guerre mondiale et qui vivent aujourd’hui de retraites misérables. Voir l’article de Fragil à ce sujet, "Les oubliés de 45", Anne Line Crochet (Les oubliés de 45...)
[4] ZUS : zones urbaines sensibles, ZEP : zones d’éducation prioritaires.
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