« Nowhere  » côté mots
Cinéma électro-acoustique
Pour tous ceux qui n’ont pas vécu cette performance cinématique électro-acoustique, comment pénétrer dans cette utopie composée par Simon Fisher Turner ? Comment deviner ce qu’un ancien punk, créateur de BO de films variés, ayant lui même multiplié les expériences musicales, peut imaginer ? Une rencontre avec le maître des lieux vous est proposée ici pour découvrir ou peut être repartir pour « Nowhere  ». Chaque question est une pièce de cet énigmatique nom, une scène pour découvrir, à travers les mots, les gestes, le ton, l’acteur principal, votre hôte durant quelques minutes.
LES BASES DU PROJET
Fragil : Expliquez -nous le sens du titre « Nowhere » ?
Simon Fisher Turner : J’ai emprunté ce mot à un livre que j’ai lu l’année dernière. Il a immédiatement attiré mon attention. Mais il m’a aussi posé quelques difficultés au premier abord. Donner un nom à un projet lorsque l’on travaille longtemps à l’avance n’est pas une mince affaire. Comme pour les titres des chansons sur un cd, on doit le retravailler en permanence mais, dans ce cas, il m’a séduit par le jeu de mots à double sens qu’il offre. « Nowhere » est un terme vague, mystérieux. Il ne désigne pas quelque chose de précis, étant à la fois une foule de concepts et une seule idée. Je ne sais pas si je parviendrais à en donner une définition car on peut le regarder de mille façons différentes. Appliqué à notre concert, il pourrait signifier « quelque part » ou « n’importe où ». Il est synonyme de combinaisons : pour les yeux, un paysage flou, désolé, sans hommes, et, pour les oreilles, un mélange de musique classique et électronique. Mais j’aime ce titre : « no where » et « now here » qui est en même temps « ici » et « maintenant ». (les mains du musicien s’agitent) C’est délibérément ambigu, confus, comme quelque chose d’aérien. Cela pourrait être un état d’esprit. C’est un mot transparent mais qu’il faut aussi observer en clignotant les yeux, en y voyant plusieurs ouvertures. Dans un sens, il s’adapte à tout ce que vous voulez lui faire dire. A chacun de prendre possession de ce mot. Il est aussi bien mon « Nowhere » que le vôtre.
Fragil : Quand le projet a-t-il débuté ?
SFT : Il a commencé un an auparavant... ou peut être deux ans pour l’organisation avec les musiciens, le choix de la date...J’ai envie de dire deux mots sur ces excellents musiciens que j’ai rencontrés au fur et à mesure.
Fragil : Oui, qui sont-ils ?
SFT : Mélanie (Pappenheim) est une excellente chanteuse, merveilleuse, qui peut même exécuter des vocalises en lisant un texte à l’envers, de droite à gauche (en prenant la feuille d’interview, imitation de cette incroyable capacité). Que demander de plus ? (rires) Les ondes martenots sont aussi dignes d’intérêt en tant qu’étranges instruments qui s’apparentent aux premiers synthétiseurs. Elles ont un bruit inimitable (qu’il tente tout de même de laisser entendre). L’homme japonais qui en joue (Tahashi Narada) est incroyablement talentueux. Il me suffit de jouer quelques notes et il suit en écoutant attentivement. La seule chose que l’on peut dire face à ces capacités c’est « Ouaho ».(un regard malicieux) Je suis souvent plein d’envie et de « colère » face au grand talent de mes musiciens. Ils peuvent tout jouer. Souvent je sais ce qu’ils préparent mais eux ne savent pas à quoi s’attendre. C’est très excitant. Notre but est de créer des sons venant de « quelque part ». Notre musique est très personnelle. J’ai eu une totale liberté pour m’investir dans ce projet avec mes musiciens. Nous étions tous très enthousiastes même si cette création apparaissait mystérieuse. Dans un de mes anciens spectacles, un percussionniste ne jouait que trois fois mais sa présence était indispensable. Chaque performance est un pari pour le groupe entier et pour « Nowhere », j’ai eu la sensation que nous avions formé une sorte de vague qui s’écraserait sur la plage et disparaîtrait en formant des bulles sur le sable. J’aurai dû appeler mon projet « vague » (moment de doute, il observe autour de lui, regard inquisiteur pour sonder silencieusement les personnes présentes autour de lui au bar)
Fragil : Que visez-vous avec ce projet ? Quel en serait l’aboutissement idéal ?
SFT : Mon but est d’être heureux à la fin et de finir en un seul morceau. (sourire) Je sais que le public me connaît par rapport à mes cds, mes musiques de films. (une petite discographie pour combler nos éventuelles lacunes est disponible au bas de cet article) Mon but est de réunir des musiciens aux sensibilités totalement différentes. Etre sur scène avec des gens aussi talentueux, venus d’horizons variés, est réellement fantastique. J’aime organiser des rencontres entre des personnes qui n’ont pas l’habitude de jouer ensemble et peu importe le résultat. Cela pourrait ressembler à de la peinture abstraite...(visage sérieux qui se détend pour laisser apparaître un sourire énigmatique) En réalité je peins les sons que nous possédons tous en nous. Mes musiciens ne savent pas forcément où l’on va. Notre performance est semi-improvisée, ils s’observent entre eux pour savoir ce que chacun va jouer comme dans une véritable expérience. Je pourrais les diriger, les conduire sans rien jouer, juste être le chef d’orchestre, donner les quelques partitions et leur indiquer « plus lentement », « plus vite ». Mais la musique est une affaire de communication et j’aime aussi leur laisser jouer ce qu’ils aiment. Donc mon but est de voir les spectateurs heureux en quittant la salle, après avoir vécu entièrement ce projet inclassable, semblable à un incident, à un accident.
Fragil : Pourquoi avez vous choisi notre ville pour la première mondiale de ce spectacle ?
SFT : C’est elle qui m’a choisi. (d’un ton assuré) Je jouais un concert de 45 minutes à Paris et j’avais réellement envie d’étendre cette durée. Ce lieu m’a permis de jouer 6 heures en continu (performance « Oblique » au Lieu Unique). Epuisant...(sensation de fatigue lisible sur son visage comme s’il venait réellement de jouer pendant 6 heures). Même si ce groupe ou moi même tout seul avons la capacité de composer pendant un temps infini. Vous savez avec deux pianos, deux ordinateurs, un quartet de violons...on aurait envie de ne jamais s’arrêter. (regard rêveur)
Fragil : La création de la vidéo a-t-elle précédé celle de la musique ou inversement ?
SFT : La musique est d’abord apparue. Ensuite Sébastien ( Sharples ) m’a montré des photos, il a enregistré des images pendant l’année. Il y longuement réfléchi, un peu comme pour faire un bébé. (ton sérieux)
AVANCER PAS A PAS
Fragil : Durant votre carrière vous avez crée des éléments très variés. Comment pourriez vous décrire votre évolution ?
SFT : Elle est en parallèle avec mes aspirations, j’aime aller de l’avant. Je ne pourrai pas rejouer la musique que j’ai créée il y a cinq ans. Utiliser quelques morceaux pourquoi pas ? Mais je ne suis pas intéressé par répéter sans cesse la même chose. Je dois constamment passer d’étapes en étapes comme un tableau qui évoluerait. Je suis en permanente exploration de moi même et de ce qui m’entoure. J’essaie toujours de concevoir de la musique que je n’ai jamais entendue avant, de me renouveler. Mais cette entreprise est maintenant ardue car de plus en plus de gens créent, utilisent des ordinateurs. Tout cela éclate en mille morceaux. Jeune, j’inventais énormément sans me soucier à la maturité mais maintenant j’ai une petite fille de deux ans, j’ai gagné en attention par rapport à ce que je réalise.
SAY YES
Fragil : Cette recherche constante est-elle un besoin pour vous ?
SFT : Oui, la musique, les sons tiennent une place importante dans ma vie. Je ne peux pas m’arrêter d’y penser. Même si je devais aller travailler dans un supermarché, je continuerai à faire de la musique dans ce lieu. Je trouverai n’importe quoi... (s’imaginant déjà dans cet endroit, il semble déjà envisager ses possibilités dans un tel lieu) Je suis conscient d’avoir été chanceux, d’avoir profité d’opportunités pour faire des Bo de films, des cds mais j’attache aussi de l’importance à la spontanéité. Si quelqu’un me demande une création particulière, je réponds « oui » sans hésiter et ensuite je réfléchis au moyen de la réaliser. Une réponse négative à ce genre de question, de challenge, est une barrière que l’on se pose à soi même.
TOUT LE NECESSAIRE POUR CREER
Fragil : Quelles sont vos sources d’inspiration ? Votre vie, ce que vous entendez... ?
SFT : Mes idées viennent juste de sentiments, de la vie de tout le monde. J’ai vécu quelques années en France près des Pyrénées et j’ai pu me confronter à cette idée reçue : « les beaux paysages sont source d’inspiration ». Cet environnement n’a rien changé à ma musique. J’y ai été sensible mais je n’ai pas pour autant écrit une symphonie (sans cynisme, juste de l’humour). Actuellement ma vie de père de famille m’impose aussi la contrainte du temps. Je ne peux concrétiser mon inspiration que pendant un court moment. Donc mon environnement peut m’influencer différemment. Pourtant au fond, j’ai mon propre goût, je sais ce que j’aime même si cela peut paraître un peu égoïste. Mais cet aspect de mon caractère disparaît quand je fais un cd.
Fragil : Comment procédez vous pour créer une nouvelle chanson ou plus largement un album, un projet comme « Nowhere » ? (une question qui l’intrigue, le déconcerte, il avoue en aparté ne pas avoir souvent l’occasion de réfléchir et de partager le fruit de ses pensées sur sa manière de créer, une réponse à l’image d’un certain mystère de la création qui se résout peu à peu)
SFT : Je ne sais pas forcément par où commencer musicalement. Une musique, un son ou seulement un mot me suffisent pour démarrer. Tout débute avec un petit élément qui devient grand. Puis, une idée vient. Je peux y réfléchir pendant un ou deux ans. Je tente de poser cette réflexion et j’ai dû mal à me décider d’arrêter. Soudain, quelque chose m’apparaît et je réalise la manière dont je veux transmettre mon idée. C’est un procédé très naturel car il est dépendant du temps. Tout peut se passer très vite en un éclair ou parfois rien ne vient. J’y concentre tous mes efforts et, à la fin, je me sens comme vide. C’est un soulagement. Le bouillon d’idées nécessaire pour y aboutir m’épuise. J’arrive alors à un stade où je dois accepter que le projet soit terminé car j’ai toujours envie de rajouter un élément. Cette sensation de non-achèvement est très frustrante. Ensuite je peux souffler . En ce moment ce n’est pas le cas, je suis en train de régler les derniers détails avant la sortie de mon nouveau cd( prévu normalement pour cet été) mais il reste encore deux ou trois chansons qui ne me satisfont pas assez pour que je les considère comme bouclées.
L’EDUCATION MUSICALE
Fragil : Quels souvenirs musicaux gardez vous de votre enfance ou de votre adolescence ?
SFT : Petit j’ai eu la chance d’avoir deux ouvertures musicales parallèles : l’un vers la musique moderne européenne et une autre vers la musique religieuse. Je faisais partie d’un chorale. Plus tard j’ai connu les débuts de la musique électronique américaine, le mouvement Funky et parmi des groupes qui m’ont marqué :les Beatles, David Bowie, les Sex Pistols, les Jackson Five... (enthousiasme du flash-back sonore) Aujourd’hui je suis plus attiré par la musique que je connais peu ou qui m’intrigue comme les musiques traditionnelles ethniques à travers le monde entier, ma musique égyptienne ou les compositions japonaises minimalistes.
LA POTION MAGIQUE
Fragil : Vous mélangez souvent musique et vidéo. Quels liens faites vous entre ces deux arts ?
SFT : Ils peuvent s’influencer l’un et l’autre. Je crois qu’il y a un lien émotionnel. En les utilisant je peux créer de la mélancolie.( comme un caméléon il reflète immédiatement tous les sentiments qu’il décrit) La beauté de la tristesse me touche, lorsque l’on se sent parfois perdu dans les problèmes, que tout est désordonné. Pour concrétiser ce rapport entre musique et vidéo, j’aurais aimé savoir peindre. Mixer ces deux arts permet d’exploiter le hasard, de faire des soustractions, de créer du silence en jouant sur les images et le son. A tout cela, j’ajoute parfois quelques mots qui peuvent être les pièces manquantes du puzzle.
FAITES VOS JEUX
Fragil : L’éclectisme est donc ce qui vous représente le mieux ?
SFT : Assurément. Un exemple banal : vivre à la ville ou à la campagne me rend heureux dans les deux cas. Je vis en accord avec deux citations que j’approuve. La première est : « ne me copie pas , fais ce que tu veux vraiment » et la seconde est de Brian Eno : « si tu fais un erreur recommence et ce ne sera pas une erreur ». Même lorsque je joue du piano, je n’ai pas envie de répéter les morceaux des autres, j’ai ma façon de créer, par exemple en regardant les touches blanches et noires et en choisissant une couleur (là un piano que lui seul peut voir apparaît et il mime le choix apparemment difficile de la couleur). J’aime jouer du piano pendant des heures juste avec une cassette à côté. C’est un merveilleux instrument très souple, qui s’adapte à tout. On peut l’embrasser (le même piano aimé apparu précédemment reçoit effectivement une marque d’affection), jouer avec les cordes à l’intérieur et cela donne un son unique, si beau...(murmure admiratif)
SILENCE !
Fragil : Un des titres de vos cds m’a interpellée. Sur la pochette de « SWIFT » on peut lire : « 20 pièces de musique, de film et de silence ». Quel est le rôle du silence selon vous ?
SFT : Pour « SWIFT », les pièces de piano racontent un histoire. Mais le silence est plus puissant que le bruit. On a l’impression qu’on peut le crée partout mais en réalité le silence complet est impossible : le bruit du cœur est toujours là. Mais pourquoi ne pas essayer d’enregistrer le silence ? Pourquoi ne pas tenter d’imposer le silence en refusant de répondre lorsque des personnes se disputent ? Le silence apparaît lorsque la musique se tait. Le son apporte le silence comme le montre les chansons « cachées » à la fin d’un cd. Pour les écouter, vous êtes obliger de laisser jouer le silence. Le silence se propage aussi dans l’espace. Essayer d’appuyer sur une note de piano et pressez jusqu’à ce que le son tombe et disparaisse. Il n’y a nullement besoin de crier pour créer de l’émotion.
SONS ENREGISTRES, MUSIQUE PARTAGEE
Fragil : Vous parlez souvent de la notion d’ « enregistrement ». En quoi cela consiste exactement ?
SFT : L’objectif est de trouver des sons par hasard et de laisser le magnétophone tourner sans s’en préoccuper. Je ne peux pas me souvenir de tout, j’ai parfois des impression visuelles mais j’aime enregistrer ce que j’entends, des morceaux de vie. « Nowhere » en est l’illustration parfaite. C’est une idée aléatoire comme pour l’enregistrement qui peut se pratiquer librement et est rendu encore plus facile par les nouvelles technologies. C’est devenir un peu « voyeur » dans tous les sens du terme...ou vouloir trouver une combinaison un peu surréaliste, un son plus musical qui serait caché.
Fragil : Vous avez rencontré de nombreuses personnalités aux talents artistiques indéniables telles que Sid Vicious, Robert Mitchum ou Matt Jonhnson( bassiste de Jeff Buckley , ensembles ils ont fondé le groupe « The The »)...que vous ont -elles apporté ?
Toutes ces personnes m’ont d’abord donné leur amitié. Robert Mitchum m’a raconté son histoire, sa difficulté d’être justement ce qu’il est « Robert Mitchum ». Nous avons partagé aussi nos connaissances musicales et certains comme Matt (Jonhson) m’ont énormément impressionné. Il est étonnant, j’aime sa façon de jouer de la guitare, c’est vraiment dommage qu’il soit si timide.
LAST BUT NOT LEAST
Fragil : Si vous deviez donner un portrait de vous en choisissant un mot, une chanson et une image, vers où se porteraient vos préférences ?
SFT : Question difficile...(le rire devient plus gêné)Je pourrais être le silence... La couleur bleue me représente bien aussi. En un mot je me définirais comme curieux, dans tous les sens du terme. Finalement, je suis peut être un piano curieux ou un curieux piano...
Propos recueillis par Chloé VIGNEAU
Texte de Simon Fisher sur « Nowhere »
« A BEGINNINERS GUIDE TO NOWHERE Nowhere is somewhere but where Nowhere is now isn’t it It is a bridge or a river Nowhere is a continual piece of music which we are interrupting, or is it interrupting us ? It is spacious, yet defies space and time. A snapshot or eruption. What is the colour of music ? Can you remember ? Where do you cross the line from music to sound ? Can you see Nowhere ? We can All colours are present here in Nowhere. Is Nowhere a never neverland of aural and ghostly sunspaces The Architecture of sound
Nowhere plays with time Your time and ours
Nowhere”
Discographie
Simon Turner (UK Records) (1973) Simon Turner (Creation)(1990) Sex Appeal (1992)(Simon Turner vs. the King of Luxembourg) The Many Moods of Simon Turner (1993) Revox (sous le nom The King of Luxembourg) The King of Luxembourg : "Sir"/Royal Bastard (1988) The Bone of Desire (1985) Caravaggio Original Soundtrack (1986/1995) The Last of England Original Soundtrack (1987) Melancholia Soundtrack (1989) Edward II Original Soundtrack (1991) The Garden Original Soundtrack (1991) I’ve Heard the Ammonite Murmur (1992) Blue : A Film by Derek Jarman (1994) Live Blue Roma (The Archaeology of Sound) (1995) Nadja (1995) Shwarma (1996) Loaded Original Soundtrack (1996) Still, Moving, Light (1999) Oh Venus (1999) Eyes Open (1999) Travelcard (2000) Riviera Faithful (2002)
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