
Les milles facettes du saxophone
Rencontre avec le Quatuor Ellipsos
Révolutionnaires sans être contestataires, c’est au fond comme à la forme musicale que s’attaque le quatuor Ellipsos, force tranquille du saxophone actuel, qui place sa recherche dans l’ouverture et la tolérance tout en avançant et en brisant les idées reçues, afin de donner à cet instrument la place que selon eux il mérite.
On s’accorde souvent là-dessus, le saxophone est l’instrument roi du jazz. Cependant les amoureux de cet instrument peuvent-ils se contenter de si peu ?.. Peu ? Un instrument roi ?.. Mais sans récrier cette néanmoins magnifique musique, la question est : le saxophone ne serait-il bon qu’à jouer du jazz ? La clarinette ou le violon n’excellent-ils pas, eux, dans toutes les musiques ? Le saxophone est certes populaire mais pourquoi ne pas l’avoir utilisé dans des orchestres symphoniques ? C’est dur à dire, mais le saxophone serait-il un instrument limité ?
Évidemment peu osent afficher publiquement leur choix d’une hiérarchie, mais beaucoup ont malgré tout la leur qu’ils la conservent secrètement ou pas, car on sait bien que les pianistes considèrent leur instrument comme l’instrument roi absolu, ou qu’en rock la guitare électrique est vénérée. Mais si l’on essaye d’injecter un brin d’objectivité dans ces considérations, car il n’est pas là question que d’amour, la polyvalence de l’instrument est un critère majeur. Or, hormis dans le jazz, le sax s’est illustré dans la musique contemporaine, un peu dans les sections cuivres mais sans en faire une activité majeure, et voilà tout. Il y a donc là un problème pour tous les amateurs éclectiques qui aimeraient entendre leur instrument de prédilection dans les musiques qu’ils écoutent, dont font parti les membres du quatuor Ellipsos, qui relèvent le défi de nous montrer que le saxophone est bel et bien un instrument caméléon.
Une volonté de démocratiser la musique
C’est bien ce à quoi a été confronté le quatuor Ellipsos. Tous issus de conservatoires et pour certains encore dans un cursus de ce type, ils ont été pour l’essentiel interprètes de partitions contemporaines, n’ayant pas eu le loisir de se tourner vers le jazz, ou peut être pas l’envie.. Pour de jeunes apprentis saxophonistes il semble difficile d’être un contre-exemple de l’équation presque inévitable saxophoniste=amateur de jazz., d’où peut être un enfermement dans l’atmosphère rassurante et sûre d’elle-même du saxophone contemporain. Mais les quatre d’Ellipsos ne sont ni jazzmen, ni amateurs de ghettos, et ont même une forte propension à l’écoute de musiques très variées.
Cependant les choses ne sont pas simples, car les partitions sont rares, et le public aussi compte tenu de l’intellectualisme de la musique contemporaine et de cette même orientation du jazz actuel. Bien sûr cette musique n’est pas facilement accessible à tous, bien sûr elle demande une certaine éducation à l’écoute, et sans doute encore une connaissance théorique de la musique, mais, faire de ces différents arguments raison suffisante pour se couper des médias, et par conséquent du public, c’est pour le quatuor Ellipsos prendre les gens pour des imbéciles. Selon eux, « si c’est bien expliqué et bien présenté, chacun peut comprendre. Il y a aussi beaucoup de charlatans, comme dans toutes les musiques. ».
Ainsi répondent-ils à la question suivante : entre la difficulté d’une musique inhabituelle et la facilité des tubes radiophoniques, à qui appartient-il de faire l’effort ? Trop souvent la faute a été entièrement mise sur le dos des auditeurs et a servi à justifier une logique d’enfermement élitiste, alors que pour ces quatre saxophonistes, c’est aussi et peut-être avant tout aux musiciens de créer le lien, car les auditeurs suivent les médias et qu’il est difficile d’accéder à des musiques hors de ce circuit. Cassant encore une équation frauduleuse selon laquelle musicien médiatique=musicien de variété ( à entendre comme une recherche de la facilité-ou absence de recherche- et de la popularité), ce qu’ils cherchent c’est la démocratisation, mais jamais au détriment d’une exigence plus fondamentale : celle du beau, de la transcendance.
Voilà les sens que prend leur démarche, autant musicalement avec le défi de montrer que le saxophone est fait pour tous les styles de musique, que démocratiquement dans le choix des lieux de leurs spectacles : le premier début 2004 à la folle journée, le second fin 2004 à Tissé-métisse, deux rendez-vous populaires de la ville.
Un quatuor créatif
Leur premier projet était une transcription de la musique romantique pour piano, après lequel, je pense, chacun a put se demander pourquoi le saxophone avait si peu de place dans la musique classique. Outre la qualité de l’adaptation pour quatuor de saxophone qui servait, bien que différemment, aussi parfaitement l’harmonie qu ‘aurait put le faire un quatuor plus habituel comme celui des cordes ou même le piano, la richesse de l’interprétation était stupéfiante. L’enchantement provoqué par le soprano s’emparant de la mélodie d’une valse de Chopin pour la faire exister avec toute la finesse et la beauté qui lui échoient était presque étonnant tant il est inhabituel d’entendre une telle forme de virtuosité avec cet instrument. Je ne saurais vous dire ce qu’ils ont joué ensuite (car cela fait plus d’un an et cet article était loin d’être en projet à l’époque), mais ayant moi-même pratiqué un peu de cet instrument, j’ai été étonnée et ravie d’entendre enfin toutes ses possibilités.
Bien sûr cette pratique n’est pas nouvelle. Comme ils le disent eux-même, leur travail est « une petite goutte dans un océan immense », cependant ce qu‘ils font n‘a jamais été fait. Ainsi leur spectacle à Tissé-métisse, dans le cadre duquel j’ai pu les rencontrer, est un modèle de leur éclectisme créateur, enchaînant des tableaux composés de thèmes africains, roumains, brésiliens, classiques encore, des métissages par des collaborations avec des percussionnistes, un saxophoniste de jazz, une chanteuse lyrique, une guitare électrique, mais aussi des ouvertures sur l’improvisation., dans une volonté de casser les schémas habituels du concert classique avec des applaudissements à des endroit précis connus des initiés.
Une démarche difficile
C’est un fait, quand on sort des circuits tracés par les majors ou d’un milieu protégé, les choses ne sont pas simples, et la recherche du quatuor Ellipsos a fait à la fois la richesse et le danger de leur spectacle. Un risque en effet était que tout ne plaise pas à tous étant donné la variétés des styles musicaux abordés, un autre était l’aspect inhabituel de la forme quatuor de saxophone face à laquelle nos oreilles sont relativement neuves. Bien que leur musique soit restée tonale, loin des extrémités de la musique contemporaine, quelques spectateurs ont malgré tout quitté la salle. Pourquoi une telle réaction ? Il est vrai que certains des collaborateurs n’ont pas été à la hauteur des saxophonistes, tant au niveau de la qualité de l’interprétation, je pense à la chanteuse lyrique, qu’au niveau du style de jeu, comme le guitariste (qui selon moi n’avait pas choisi la meilleure époque du rock : les années 80, dont l‘appellation rock est presque discutable), ce qui n’était pas à leur avantage. Malgré cela les saxophonistes d’Ellipsos ont réussi à faire passer des moments de pur enchantement.
Peut-être faut-il se rappeler Kant pour qui le beau est en théorie ou par essence universel, mais dans les faits souvent particulier, contrairement à l’agréable qui est particulier mais dans les faits souvent universel, et en corrélation la quasi-universalité de certaines musiques, peut-être agréables mais sans doute loin d’être belles, dont la diffusion se fait grâce aux médias. Aussi est-il peut-être plus facile lorsqu’on cherche à transcender l’agréable de se cantonner à un circuit fermé, mais eux ne recherchent pas la facilité et n’ont pas cette arrogance de garder la musique pour ceux qui savent. Philosophes ou pas ils semblent avoir compris l’essence du beau et tentent de l’étendre de la théorie à la pratique. Ce n’est que lui rendre justice.
Marion SARROUY
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