
Un Monde Moderne
Les Chantiers de l’Atlantique, un chantier social...
Le Queen Mary II, géant des mers construit aux Chantiers de l’Atlantique, a fait travailler des milliers d’individus. Le film « Un Monde Moderne  », projeté au Cinématographe, analyse le monde du travail dans son organisation et dans sa précarité aux Chantiers, chez les sous traitants, dans les boîtes d’intérim.
Génèse du film
Le Centre de Culture Populaire (CCP) de Saint-Nazaire avait un projet socioculturel qui consistait à la réalisation par des salariés de documentaires à l’aide de professionnels encadrants. Les salariés originaires du comité d’entreprise des Chantiers de l’Atlantique et du Comités des Œuvres Sociales (COS), devaient à la base travailler avec le réalisateur René Vautier. Ce dernier ayant dû refuser poliment l’invitation pour des raisons de santé, le CCP a fait appel à Sabrina Malek et Arnaud Soulier qui ont par ailleurs toujours travaillé ensemble. Ils acceptent rapidement, séduits depuis longtemps par le monde ouvrier. Acceuillis en résidence pour un an, ils accompagnent les projets documentaires et interviennent entre autre au Lycée Aristide Briand. Parallèlement, le CCP les sollicite pour l’écriture d’un projet personnel. C’est donc en 2002 qu’ont lieu les premières réflexions sur le film.
Le travail
Le choix pour leur thème est rapide : le travail. Pourquoi ? Tout d’abord, c’est un sujet qu’ils affectionnent particulièrement pour les enjeux politiques, sociaux et également cinématographiques que cela confère. Mais c’est certainement Saint-Nazaire qui a joué un rôle majeur. En effet, cette ville est très marquée par son caractère ouvrier. L’acteur et la cause de ces traits profonds viennent bien entendu essentiellement des chantiers navals, les Chantiers de l’Atlantique.
Du projet...
L’écriture du projet avance et le travail ne manque pas sur Saint-Nazaire. Le Queen Mary II, géant des géants est en pleine construction aux Chantiers de l’Atlantique et fait travailler des milliers d’individus. D’où l’intérêt supplémentaire des deux réalisateurs qui veulent faire un film différent de ceux de leurs prédécesseurs, c’est à dire ne pas filmer la lutte contre le licenciement, la délocalisation, le manque d’emploi en soit ; mais plutôt s’intéresser au monde du travail dans son organisation et dans sa précarité : un job mais à quel prix ?
...à l’entrée des caméras
Le projet bouclé, Arnaud Soulier et Sabrina Malek s’attachent au tournage proprement dit en mars 2003. Ils se rendent vite compte que la situation a évolué, l’emploi commence à manquer, les Contrats à Durée Déterminée ou les Contrats à Durée Indéterminée Chantiers (CDIC : contrat propre aux Chantiers de l’Atlantique) s’achèvent et ne sont pas renouvellés. Et pour compte, le Queen Mary II arrive en fin de construction, ce dernier quittant définitivement le port de Saint-Nazaire le 22 décembre 2003. Le cahier de commandes ne s’est pas rempli, les projets de paquebots se faisant de plus en plus rare, la perte de travail est donc assez considérable.
Un fait marquant
C’est pendant leur séjour à Saint-Nazaire que se passent les conflits importants avec les travailleurs immigrés. Les deux réalisateurs ont donc la volonté de relater ces événements car ce sont des luttes légitimes et défendables mais également parce qu’ils sont la conséquence de la nouvelle organisation du travail, de la remodélisation sur laquelle Arnaud Soulier et Sabrina Malek travaillent. Leur film va donc se porter petit à petit essentiellement sur ces faits et autour de la construction du Queen Mary II qui n’était pas prévue à l’origine.
Une nouvelle organisation du travail...
La rencontre que nous propose le film avec salariés indiens, roumains ou encore avec les délégués syndicaux français, nous permet de mieux comprendre comment fonctionne une entreprise qui cherche à diminuer au maximum ses coûts de production afin de s’inscrire dans un marché concurencé et de dégager la marge de bénéfices la plus importante possible. Cette remodélisation passe par un appel massif à des entreprises sous traitantes et à des « boîtes » d’intérim. C’est près de 800 boîtes sous traitantes qui étaient en contrat avec les Chantiers de l’Atlantique lors de la construction du Queen Mary II, permettant ainsi de disposer d’un très grand nombre de salariés payés au plus bas prix. D’où une volonté vicieuse d’utiliser les possibilités plus ou moins offertes du travail précaire.
...qui amène une désolidarisation
Outre le travail précaire, un deuxième phénomène s’opère suite à cette remodélisation, la désolidarisation entre salariés. Ces huit cents sociétés ont toutes un statut différent pour leurs ouvriers, chacun est devenu un cas particulier. Cela forme une véritable désorganisation qui permet à la direction de se tenir à l’écart de grandes menaces de mobilisations sociales. Ce phénomène s’appelle aussi l’atomisation puisque toute notion de collectif est brisée. Le film nous montre bien que dans le cas des Indiens ou des Roumains, le fait d’être émigrés d’un même pays solidifie largement les liens et nous pouvons parler de véritable collectif. C’est pourquoi leurs revendications seront entendues et aboutiront même ; en allant toutefois jusqu’à intenter un procès (en ce qui concerne les Roumains).
Ce n’est malheureusement qu’un exemple
Sabrina Malek et Arnaud Soulier ont voulu montrer à travers ce documentaire, un phénomène qui se globalise. Les exemples de délocalisations sont nombreux et le travail précaire se généralise et plus grave encore se normalise. C’est un enjeu social important qui amène beaucoup d’interrogations quant à notre vie et notre avenir au sein d’une société de plus en plus libérale. Dernièrement, le PDG des Chantiers de l’Atlantique a indiqué lors d’un discours que les coûts de production devaient encore diminuer de 15%. Les Roumains ont été remplacés par des Polonais et une partie du travail a déjà été délocalisé : à quand la transformation en musée des chantiers navals de Saint-Nazaire ?
Un monde moderne a vu s’attribuer le Prix du Film Long lors de la dernière édition du festival « Les écrans documentaires » en 2004.
Fabien Leduc
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