
Semaine de la solidarité internationale
Edward Saïd : un intellectuel à contre-voie
"Sous le joug de l’Occident" d’Edward Saïd
Peu de voix du Sud parviennent jusqu’à nos oreilles qui zappent entre image faussée de l’Orient et "théorie du choc des civilisations". A l’occasion de cette semaine de la solidarité internationale, l’Espace Ishtar proposait la projection du documentaire de l’intellectuel palestinien, Edward Saïd : "Sous le joug de l’Occident".
Si la relation entre Occident et Orient était à l’image d’une vie de couple, il serait difficile d’en résumer les étapes, les conflits tumultueux, de l’amour à la haine en passant par l’idéalisation. Edward Saïd, professeur de littérature comparée à la Columbia University de New York, a accompli cet exploit dans son film "Sous le joug de l’Occident". En 52 minutes, il délivre le récit de ces rapports ambigus.
L’Occident rencontre l’Orient le jour de l’expédition de Bonaparte en Egypte, en 1798. "Coup de foudre" immédiat pour ce territoire mystérieux. Ces voyageurs, à l’esprit dominateur, voudraient enserrer l’Orient dans leur bras. Mais le fantasme s’envole. Il ne reste entre leurs mains que les stéréotypes (1001 nuits, sérail, harem…) qui serviront à fonder la "science" de l’orientalisme. Saïd l’explique : "Au 19 ème siècle et au 20 ème siècle en Occident, on est parti de l’hypothèse que l’Orient […] avait besoin d’être étudié et rectifié".
Les romantiques du 19 ème siècle voudront donc eux aussi déclarer leur flamme mais les terres orientales ne se laissent pas posséder si aisément. L’Occident avait-il succombé irrémédiablement à la séduction qu’il croyait voir dans les traits orientaux ? Pas totalement car la manœuvre n’était pas un amour désintéressé. Les représentations rêvées d’un Orient enchanteur mais barbare servait aussi de légitimation au colonialisme et à la recherche d’une identité. "L’Orient a permis de définir l’Occident par contraste. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée".
L’Orient a permis de définir l’Occident par contraste. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée
Quelques siècles plus tard, la rupture entre Orient et Occident s’est consommée. La présence des Occidentaux sur les courbes des côtes orientales est devenue indésirable. L’Orient a prononcé le divorce par décolonisation. Aujourd’hui, les conséquences de cette idylle unilatérale sont encore visibles dans les stéréotypes. Edward Saïd l’exprime à partir de son expérience personnelle : "La vie d’un Palestinien arabe en Occident, en particulier en Amérique, est décourageante. Le filet de racisme, de stéréotypes culturels, d’impérialisme politique, d’idéologie déshumanisante qui entoure l’Arabe ou le musulman est réellement solide".
Israël-Palestine, un conflit interminable ?
Le cœur du problème demeure le conflit israélopalestinien dont Saïd résume avec clarté les étapes dans son documentaire. De la déclaration de Balfour qui envisage déjà la création d’un état israélien en 1917, à l’annexion des territoires palestiniens, le réalisateur insiste sur la dimension culturelle de ce rapport de force. L’incompréhension demeure entre les Israéliens, soutenus par les Etats-Unis, et les Palestiniens, chassés de leurs terres en 1948 qui luttent pour retrouver leur état. Sans chercher une réconciliation trop facile, Edward Saïd s’attarde plutôt sur les clés de compréhension du rapport Occident-Orient en nous incitant à garder un œil vigilant sur les préjugés.
désapprendre l’esprit spontané de domination
Dans "Sous le joug de l’Occident", Saïd interroge les deux parties : d’un côté, les sionistes (le sionisme étant l’idéologie soutenant la création d’Israël) et les chefs de l’Organisation de Libération de la Palestine. L’universitaire, décédé en 2003, nous fait partager sa connaissance du conflit où il était lui même impliqué. Né en 1936 à Jérusalem, sa famille s’était exilé en Egypte puis aux Etats-Unis. Engagé au sein du Conseil National Palestinien, il était aussi critique sur les actions du dirigeant Yasser Arafat qui censura ses œuvres littéraires. Ainsi, Edward Saïd, s’efforçait de coller parfaitement à la définition qu’il avait lui même donné de l’intellectuel qui doit "déterrer les vérités oubliées, d’établir les connexions que l’on s’acharne à gommer et d’évoquer des alternatives".
La leçon de son œuvre s’adapte parfaitement à la semaine de la solidarité internationale. En effet, impossible d’esquisser les voies d’une telle solidarité, de poser un regard équilibre et non plus fougueux sur l’Orient sans faire d’abord le premier pas : casser les moules de pensées galvaudés et "désapprendre l’esprit spontané de domination".
Chloé Vigneau
"J’espère que quelqu’un m’écoute" : un article d’Edward Saïd dans Le Monde Diplomatique
"Repenser l’orientalisme" pour approfondir les idées d’Edward Saïd
Article sur l’autobiographie d’Edward Saïd : A contre-voie
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