Documentaire : mon meilleur ennemi
Les trois vies de Klaus Barbie
Kevin McDonald, réalisateur du Dernier roi d’Écosse, revient à l’affiche avec un documentaire sur Klaus Barbie. En mêlant habilement de nombreuses interviews et des images d’archives, en s’intéressant au destin de Barbie après la fin de la seconde guerre mondiale, il nous propose de découvrir les deux autres vies de Klaus Barbie, surtout connu en France pour sa traque contre les résistants à Lyon et l’arrestation de Jean Moulin. Les vies de Barbie illustrent ainsi tout un pan de l’histoire de la guerre froide et de la lutte acharnée des Occidentaux contre les Soviétiques, au nom de laquelle tous les moyens étaient bons.
Sur l’air mélancolique de “J’attendrai …le jour et la nuit…”, le film propose en ouverture le visage déjà âgé de Barbie, au sourire légèrement ironique, lors de son procès tant attendu de 1987. L’usage parfois décalé de la musique est une originalité de ce documentaire très bien construit. Klaus Barbie a 74 ans quand il est enfin jugé au terme de nombreuses péripéties qui l’on conduit d’Europe en Amérique du Sud, où il a tenté de créer un “4ème Reich dans les Andes”, avant de revenir contraint et forcé sur son continent d’origine pour être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Première vie
Le film fait appel à de nombreux intervenants interviewés en qualité d’historiens, de journalistes et autres commentateurs de cette période, de personnes ayant côtoyé Barbie ou ayant été sa victime directe ou indirecte. Il en résulte, à l’aide des images d’archives, un portrait saisissant d’un homme qui dit avoir suivi une certaine “ligne de conduite”. L’un des historiens interviewés évoque la jeunesse de Barbie et son manque de confiance en soi, sa volonté de devenir quelqu’un d’important, ainsi que son aptitude à la cruauté. Il a pourtant l’air si jeune et souriant sur les photos de cette époque. Toutes ses aspirations trouveront comme pour d’autres jeunes Allemands leur accomplissement dans les “opportunités” offertes par le troisième Reich.
Toutes ses aspirations trouveront comme pour d’autres jeunes Allemands leur accomplissement dans les "opportunités" offertes par le troisième Reich.
Barbie adhère à l’idéologie nazie et apprend les techniques permettant de traquer les opposants et de leur arracher les informations nécessaires a cette traque, par la torture notamment. Il excellera dans ce domaine et c’est ce qui le conduira à la Gestapo de Lyon, où il sera chargé de la répression des crimes et délits politiques (1942-1944).
Deuxième vie
Mais ce sont surtout les épisodes moins connus de l’après-guerre et l’incroyable destin réservé à Barbie qui intéressent le réalisateur. Après 1944, c’est pour ses connaissances des réseaux communistes qu’il sera recruté comme “expert” par le service du contre espionnage américain. Barbie fait partie des nombreux membres des SS et autres nazis récupérés par les Américains et soustraits à la justice pour servir, avec des méthodes plus ou moins semblables, la lutte anti-soviétique. La psychose et la peur de l’expansion du communisme est si grande, nous dit la voix off des commentaires, que les Américains et les Anglais acceptent la formation de cellules secrètes paramilitaires dîtes “stay behind”, disposant de caches d’armes et dont les actions de déstabilisation en sous- main des mouvements de la gauche européenne se seraient prolongées jusque dans les années 80... Barbie est donc protégé par les Américains et évacué vers l’Amérique du sud en 1951 quand la pression des autorités françaises pour obtenir son extradition se fait trop forte.
Troisième vie
C’est en Bolivie qu’il trouve refuge et qu’il choisit, comble d’ironie, de porter le nom du rabbin déporté de la ville de Trèves où il a passé une partie de sa jeunesse, Klaus Altmann. Après des débuts quelque peu laborieux, Barbie trouve de nouveau à s’employer comme spécialiste du renseignement et de la “violence anti-communiste” auprès des généraux qui dans ces années-là n’ont cessé de ponctuer la vie politique bolivienne de coups d’État. Comme le dit Kevin McDonald, le fait qu’il ait continué à faire le même boulot toute sa vie fut une découverte extraordinaire. Il est sans doute moins surprenant de constater que Barbie a conservé longtemps l’espoir de refonder le Reich dans cette partie du monde si contaminée par les idées et les méthodes fascistes importées par les nombreux ex-SS qui y ont trouvé refuge, avec la bénédiction des Américains.
Le film se termine sur les mensonges de Barbie- Altmann qui tentera de nier sa véritable identité, son expulsion tardive vers la France et le procès pour crimes contre l‘humanité.
Vous avez eu besoin de moi, et aujourd’hui je suis seul face à la Cour, il y a une hypocrisie là-dessous.
A ce moment apparaît le personnage ambigu et très symptomatique de cette époque qu’est l’avocat de Barbie, maître Jacques Vergès. [1] Fidèle à une ligne théorique déjà éprouvée, celui-ci dénonce l’hypocrisie d’un gouvernement français prêt à oublier son attitude sous Vichy, ses propres crimes contre l’humanité commis, selon Vergès, en Algérie, pour en accuser un homme seul. Il souligne que la légalité à l’époque était du côté de Barbie. Celui-ci se fera l’écho de cette position en déclarant de façon troublante : Vous avez eu besoin de moi, et aujourd’hui je suis seul face à la Cour, il y a une hypocrisie là-dessous.. Face à l’attitude du gouvernement français pendant l’occupation allemande, celle du gouvernement américain pendant la guerre froide et encore aujourd’hui au Moyen-Orient par exemple, ces quelques mots résonnent étrangement.
Emilie Le Moal
Interview de Nicolas CHAUDEURGE, monteur du film. Avant Mon Meilleur Ennemi, il a monté Red Road d’Andrea Arnold, récompensé par le Prix du Jury à Cannes, en 2006, et fut assistant-monteur sur La Vie rêvée des Anges.
La genèse du projet
Fragil :Pourquoi Kevin Macdonalds a-t- il voulu réaliser ce film, qui met en cause les services secrets états-uniens ?
Nicolas CHAUDEURGE : C’est un film de commande sur Jacques Vergès dont la productrice Rita Dagher a été l’initiatrice. Kevin MacDonald a longuement interviewé Vergès avant de decider que le personnage est trop ambigü et retors, c’est donc Barbet Shroeder qui a realise ce film. Kevin s’est alors, dans un premier temps, interessé au procès Barbie. Mais, comme il s’agissait d’un procès très politique qui a relativement peu concerné Barbie, il a decidé que le meilleur sujet était la vie de Barbie.
F. :Le scénario suit-il une ligne directrice partisane ou objective ? Est-ce un film ’historique’ ?
N.C. : C’est un film historique qui suit donc des faits objectifs même s’il contient aussi des hypothèses. Il suit une ligne directrice qui est celle de la permanence du fascisme et du nazisme apres la défaite de l’Axe. Je dirais qu’il est partisan en ce qu’il s’attache surtout au rôle des Etats-Unis alors que bien d’autres pays ont étés concernés, et en premier lieu la RFA.
F. Sur combien d’années s’est étendue la conception du film ? Quels encouragements et quelles oppositions a-t-il rencontré ?
N.C.:Le film s’est fait sur trois ans et le soutien du distributeur Wild Bunch et la participation des protagonistes (Vergès, Serge Klarsfeld...) a été essentielle.
Les contingences techniques
F. Le film est un documentaire, pas une fiction. Qu’est-ce que cela implique dans le traitement technique ?
N.C.:Cela implique de travailler a partir de documents pré-existants et disponibles (il n’y a pas de reconstructions dans ce film), on est donc plus limité dans la construction du recit, notamment visuelle. J’ai me suis souvent dit pendant le montage que le problème avec la realité, c’est qu’elle est trop compliquée. Tout film implique un travail de simplification pour arriver a un récit satisfaisant. Dans le domaine strict du documentaire, cela implique des choix moraux : le récit doit etre construit dans un rapport éthique aux faits réels. On ne peut pas dire n’importe quoi mais on ne peut pas non plus, en 90 minutes, tout dire d’une histoire qui se déroule sur 60 ans. Monter un film, monter un documentaire, c’est comme mettre en scene : c’est avant tout faire des choix.
Le documentaire implique des choix moraux...On ne peut pas dire n'importe quoi ,mais on ne peut pas, non plus, tout dire en 90 minutes.
F. Quelles ont été les exigences du réalisateurs pour le montage ? Le réalisateur vous-t-il laisser quelques libertés ou le plan de montage était-il strict ?
N.C.:Kevin McDonald est un réalisateur qui aime que le film n’ai pas de temps morts et soit efficace. Le rythme du montage est donc très rapides et les interviews sont très montées. Un des choix fut de passer tres vite sur la periode francaise de barbie car elle a été tres documentée, notamment par Marcel Ophuls dans le génial Hotel Terminus. Le film suit la chronologie de la vie de Barbie, ce qui implique une structure fixe. La liberté du monteur est guidée et encadrée par le réalisateur mais elle est très grande, surtout en documentaire. En fait, on essaie de travailler dans le sens qui plaira au réalisateur.
F.:Combien de temps vous a pris le montage du film ?
N.C.:Le montage a pris entre 4 et 5 mois.
Les choix esthétiques et déontogiques
F. : Comment ont été sélectionnées les plans ? Y a-t-il eu des difficultés à se les procurer ? On pense en particulier au Procès, ou au témoignage de sa fille ?
N.C.:L’accès aux rushes du procès etait une condition préalable au projet. L’interview de la fille de Barbie vient de la BBC. Se procurer les archives demande un grand travail de recherche, notamment pour trouver la source ou les ayants-droits de documents trouvés dans d’autres films ou dans des programmes télés. Les droits d’utilisation d’archives coûtent aussi extrèmement cher. Mais je pense que pour un film comme celui-ci, c’est l’accès aux personnes à interviewer qui est encore plus delicat.
F.:Comment a été conçu l’équilibre entre les images d’archives et celles réalisées par Kevin Macdonalds ? Certains plans ou certains choix ont-ils été écartés ?
N.C. : C’est tres simple. A 90%, les interviews ont été filmées par Kevin. Le reste vient d’archives. C’est un documentaire d’archives classique, basé sur des interviews. La mise en scène se fait donc lors des rencontres et principalement au montage. Il n’y a pour ainsi dire pas de scènes filmées ou de reconstructions.
Interview : Renaud Certin
[1] Cf. L’avocat de la Terreur, portrait de J. Vergès par Barbet Schroeder. Kevin McDonals dit y avoir trouvé l’inspiration pour son portrait de Barbie.
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