
Entre poésie et engagement
Rencontre avec Magyd Cherfi
Premier album solo pour l’ex-parolier et chanteur de Zebda. Magyd Cherfi mêle différents styles musicaux, java, chanson, reggae... Un métissage musical aux couleurs méditéranéenes sur lequel se greffe des textes profondément engagés.
Un album qui pourrait être le reflet de ce qu’est l’artiste aujourd’hui, tiraillé entre deux cultures, orient et occident. Des thèmes de société ; l’intégration, la question de l’identité, le tout dans des textes qui mêlent engagement, poésie, implicite et double sens. Magyd Cherfi joue remarquablement bien avec les mots et leur sens, pour faire passer ses idées toujours très engagées. Car pour lui art rîme avec engagement, politique et "Quand tu entre dans l’art tu entre dans la contestation".
Un album engagé
Après avoir chanté pendant 15 ans sur le refrain des discriminations, monté leur propre association à Toulouse et fait face à l’acharnement médiatique, le collectif toulousain Zebda décide en 2003 de se séparer pour continuer chacun de leur côté. En mars 2004, Magyd Cherfi signe son premier album solo intitulé "Cité des étoiles" auquel s’ajoute un recueil de textes "Livret de famille". "15 ans pour un groupe ça fait long, après il se passe autre chose dans la tête et l’intérêt du groupe est forçément moins pur". Continuer en solo c’était avant tout satisfaire un plaisir perso, l’occasion de faire une pose avec le combat et rentrer d’avantage dans l’introspection et les sentiments. Mais l’artiste n’a pas pu s’empêcher de faire "un album Zebda". "Au final, je suis retourné dans la machine à broyer et c’est finalement plus un album de combat qu’un album perso, la chose m’a rattrapé."
L’art de la rétorique
Maître des voyelles et des consonnes, on peut dire que Magyd Cherfi a l’art d’écrire. Il sait jongler avec les mots pour exprimer ses idées quitte à déranger. On le qualifierait plus de poète ou d’écrivain que de chanteur proprement dit. Pas de style musical particulier, son album regroupe aussi bien des airs de musique orientale, de java, de reggae ou encore de chanson française. Il a adopté la musique en fonction des valeurs qu’elle pouvait véhiculer. C’est pourquoi il attache une grande importance au texte, qui chez lui est toujours très travaillé et soigné. Profonds, complexes, ses textes offrent souvent plusieurs degrés de lecture.
Entre pessimisme et espoir
Mais si Magyd Cherfi a la plume fine et subtile, il évoque néanmoins une réalité assez noire. "C’est vrai que je pourrais parler d’autre chose comme le font Bénabar ou Delerm, c’est bien fait d’ailleurs. C’est vrai, je ne peux pas dire que perso je vis dans ces conditions là, ça serait indécent. Mais on est entouré par nos frères, nos soeurs, nos amis et beaucoup de gens de couleur, arabes, noirs, manouches, gens du voyage, femmes battues. Ils vivent dans la misère au quotidien, et y a pas de poésie dans leur vie. C’est mon univers à moi alors c’est vachement dur de faire accepter aux gens l’idée de ce monde qui est décrit et qui dit "français on va vous péter la gueule !". Donc c’est pas évident, mais c’est ma croix à moi."
Des textes qui évoquent des souvenirs d’enfant et le manque d’amour. Quand Magyd chante "Les grandes", par exemple, il semble en quête d’identité. Et dans beaucoup de morceaux on retrouve cette idée d’identité, de racines perdues ou égarées. Un homme à la recherche d’une place, difficile à trouver, ce qu’exprime cette chanson "C’est par ma mère", "Des deux côtés on est aussi amer [...] sur les deux rives jamais il ne reste la phrase qui te dit reste." C’est la recherche d’une sorte d’idéal, "La cité des étoiles", qui serait une sorte de compromis, un pacte de tolérance entre deux cultures complètement différentes. Mais la lucidité de l’artiste, le pousse à écrire une chanson comme "En enfer", un échappatoire possible. D’autant plus que dans cet album Magyd Cherfi évoque souvent la religion comme une impasse "y a personne là-haut", lui même se définit comme athée.
Des valeurs et des idées fortes
Son engagement se lit donc à travers des thèmes forts, thèmes de société et toujours d’actualité malheureusement. La question de l’identité liée à l’imigration, l’intégration, ou plutôt le faux problème que l’on fait de l’intégration. En réalité il n’y a pas de problème d’intégration, le vrai problème c’est que dès le départ ces jeunes immigrés ne se sentent pas chez eux. La carte d’identité et les papiers ne font pas tout, c’est dans le regard des autres qu’ils le sentent. Ils ont d’un côté leur racines, leur famille de culture musulmane et de l’autre, cette terre d’accueil, pays des droits de l’homme et de culture judéo-chrétienne. Comment faire la part des choses, être intégré reviendrait-il à rejeter ses origines pour se fondre dans le moule ? Le réel problème aujourd’hui ne serait-il pas plutôt un problème d’acceptation et de reconnaissance de l’autre, de la différence ?
"Le problème de la république, c’est qu’elle passe son temps à dire qu’on est tous égaux. La France est un pays de droits, elle invoque le métissage et prône la multiculturalité. Et c’est vrai qu’elle a cette envie, un peu comme quelqu’un qui aime quelqu’un d’autre mais qui préfèrerait quelqu’un d’autre. Elle a ce désir d’accepter tous les hommes comme des êtres humains et en même temps dans la réalité il ne faut pas qu’ils soit trop différents non plus. Et alors c’est ce petit "mais", qui n’est pas écrit dans les bouquins et qui fait toute la différence. Il n’intègre que celui qui est blanc, de sexe masculin et de culture judéo-chrétienne et ça donne une société masculine avec une assemblée nationale de 500 bonhommes quinquagénaires, ventrus, blancs et friqués (rires). On verra rarement un ouvrier député.
Alors quand y a un footballeur de génie, évidemment on se dit "ah vous voyez". Et chaque fois qu’ils en tiennent un, ils disent que c’est réussit. Alors ils le disent pour Zebda, pour Cheb Mami, pour Djamel Debouzze, pour Zidane, mais la valeur d’une idée ne se juge pas aux nombre de gens, aux exceptions. Parce que des gens de couleurs qui réussissent, entre guillemets, y en aura toujours. Des Zidanes y en a depuis 80 ans et ça n’a jamais fait avancer le schmilblique. Bien plus qu’on ne l’imagine, il y a le monde blanc et le reste."
Tout se passe dans la tête des gens et faire évoluer les mentalités est ce qu’il y a de plus difficile. Nous sommes aujourd’hui dans une société où tout est normalisé, conformisé et stéréotypé. Mais on ne peux pas faire comme ça des moyennes et mettre les gens dans des cases sous peine de se sentir rejeté. Le plus inquiétant c’est que cette "classification" se fait inconsciemment. C’est pourtant bien la différence qui fait la richesse d’une société, reste à l’accepter et la reconnaître. Les artistes engagés ne sont pas des portes paroles, ils disent seulement haut et fort ce que beaucoup pensent tout bas, pour les faire réagir.
Pauline ANDRE
Album : "Cité des étoiles"
Livre : "Livret de famille"
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