Magister : le cri d’un homme-chien engagé
Rencontre avec Albert Magister à l’occasion de la sortie de son album live et de son set à la Bernardière le jeudi 15 mars 2007.
Une voix tonne et résonne dans la poussière des mines, dans le tumulte des barricades. Un homme monte sur une chaise, harangue les passants et raconte les marins, les grévistes et les amours criminelles. L’entendez-vous cette voix ? C’est celle d’Albert Magister, « l’homme-chien  » du Magister Rock Circus. A l’occasion de son passage à la Bernardière et de la sortie de son album live, Fragil a rencontré ce chanteur engagé poétiquement et politiquement.
Albert Magister ne fait pas ses quatre-vingt-dix ans. Et pour cause : il n’en a que quarante. Le paradoxe s’explique aisément quand on sait que l’artiste s’appelle en réalité Christophe Moricet et qu’il emprunte sur scène le patronyme de son grand-père, en hommage. « Mon grand-père était saxophoniste dans les années 30. On a choisi ce pseudo avec Marat, l’auteur de mes chansons ». Marat ? Rien à voir avec un quelconque révolutionnaire (quoique...).
En 1992, Albert a contacté ce graphiste et enseignant aux Beaux-Arts de Nantes pour faire l’affiche du groupe Ko Tchouc dont il faisait partie à l’époque. Les deux hommes fraternisent rapidement et décident de collaborer : Albert posera sa voix et sa musique sur les textes poético-révoltés de Marat. Cette rencontre a donc été l’étincelle que chacun attendait : « C’est la rencontre avec Marat, la révélation d’un auteur, qui m’a fait redécouvrir la chanson française. Ecoutez ce nom, “Marat” , cet auteur, il est fantastique ! ». Il ajoute : « il a été un peu comme un coach pour moi qui suis un gars dégingandé qui saute partout. Il m’a redonné de l’aplomb. Et puis au deuxième ou troisième rendez-vous il m’a amené un texte et là j’ai fait : “ holà ! C’est du lourd ça ! C’est du dur ! Ça n’a rien à voir avec les chansons grivoises ou les petits poèmes en alexandrins que j’écris”. Du coup, j’ai commencé à lire et à entrer dans son monde en me disant “dis donc, on dirait qu’il a du talent ce type” ».
Les textes de Marat nous transportent dans l’univers des romans noirs du XIXe, des romans populaires du début du vingtième siècle, et du surréalisme. Magister chante des hommages à Desnos, Corbière, Gaston Couté. Tous ces auteurs qui ont fait la légende de la poésie et de la chanson populaire française.
Albert vous prend aux tripes avec cette voix profonde et forte, le cri des insoumis, des révoltés. Ce cri dont l’écho se confond avec la légende des casseurs de houille, des marins et des dockers, des séducteurs assassins, des Landru. C’est le Docteur Z qui séduit les femmes pour mieux les déposséder. C’est ce saxophoniste généreux qui joue pour les ouvriers sans le sou. C’est la grève des « fondeurs de cloches » qui déclarent la guerre aux patrons. C’est ce Monster, tout droit sorti de Freaks et des albums de Tom Waits, qui terrorise les enfants sur le chemin de l’école. Ou encore cet avatar de Mackie-le-surineur qui fait la peau au Gardien du cimetière.
Les histoires autonomes se répondent les unes les autres jusqu’à former une succession d’images comme celles de la Lanterne magique.
De la musique comme de la couture
Et que seraient ces textes sans la musique ? Tout le génie de Magister consiste à pratiquer de la « haute couture ». Ces compos tombent parfaitement sur les textes comme s’ils étaient nés de la même chenille. Il faut dire que le parcours de l’homme s’est enrichi des influences les plus diverses : Jazz, Rock, Klezmer, Java, percus africaines, musiques cubaines.
« J’ai habité un an au Brésil où j’ai monté un groupe. J’ai voyagé en Afrique et j’ai ramené pas mal d’influences. Je parle aussi un petit peu swahili, allemand, portugais, espagnol de la rue. Je suis dingue de langues. J’essaye d’incorporer tout ça dans les chansons. Le morceau intitulé Arunka est en roumain. J’ai fait la mélodie et les paroles tandis que Mihaïl a fait la musique et traduit dans sa langue. On a d’ailleurs prévu d’aller jouer en Roumanie ».
Le répertoire musical d’Albert s’est ainsi construit au gré des rencontres. Mihaïl Trestian a apporté de Moldavie le cymbalum, l’ancêtre du piano. C’est en virtuose qu’il joue de cet instrument complexe où il s’agit de taper sur des cordes, un peu à la manière du xylophone. Magister précise : « C’est un instrument très beau et très compliqué. Il a commencé à en jouer très tôt enfant, et à la méthode russe parce qu’il était du côté russe de la Moldavie. Je l’ai rencontré ici même au centre de la Bernadière. En l’écoutant, je me suis dit que le son de cet instrument cadrait tout à fait avec les musiques que l’on jouait déjà en duo comme Docteur Z, et avec toute l’atmosphère de ces romans noirs. Le cymbalum on le retrouve dans beaucoup de musiques de films, de Nino Rotta par exemple ».
En véritable Monsieur Loyal, Albert poursuit la présentation de ces excellents musiciens (Manu le Riboter, Willy Rouger, Jérôme Cannier et Meivelyan Jacquot) qui apportent tous leur originalité à la formation.
Le loup...
Le Magister Rock Circus est un album live qui renoue avec le spectacle populaire engagé des cirques itinérants, des foires à la ferraille et de la fête à Neuneu. Albert se considère d’ailleurs un peu comme un artiste de rue : « avec le Magister Rock Circus on est dans la foire, dans Freaks, le film culte des années 30. On est des montreurs d’ours sauf que les ours c’est nous. Les ours c’est la société, c’est les gens, c’est les travailleurs, c’est les patrons ». « L’homme-chien/Les ours qui dansent » dit la chanson... « L’homme chien ? C’est peut-être le chanteur. Allez, je veux bien prendre ça sur mon dos ! Mais on est tous des chiens ! Côté homme, côté loup, tu vois. Le Loup des steppes d’Hermann Hesse, c’est l’histoire d’un mec qui est super sérieux, puis la nuit il se transforme. On a tous des doubles côtés. Par exemple toi, t’as l’air sympa, ça se trouve t’es la pire des ordures ! ». Il ne croit pas si bien dire, le bougre.
Les ours c'est la société, c'est les gens, c'est les travailleurs, c'est les patrons. L'homme chien c'est peut-être le chanteur. On est tous des chiens !
Les ours c’est la société, c’est les gens, c’est les travailleurs, c’est les patrons. L’homme chien c’est peut-être le chanteur. On est tous des chiens ! Comme Harry Haller, les personnages racontés par Albert sont souvent des parias, des rejetés, des insoumis, des révoltés qui dénoncent la société. « Des chansons comme la Grève et la Houille sont engagées. Je trouve que le fond de beaucoup de chanteurs et de chanteuses aujourd’hui est trop léger. On veut faire rire les gens, faire fleur bleue. Bien sûr on a le côté dérision parfois, mais dans le fond ça reste sérieux. Ce côté un peu révolutionnaire de Marat transparaît mais d’une manière poétique. Les deux sont mélangés : le politique et le poétique. Et c’est ça qui m’intéresse, c’est un cadeau pour moi. J’aime bien lever le poing sur scène ».
Magister serait-il un porte-parole, un peu à la manière de Prévert qui disait qu’il écrivait « pour ceux qui ont trop de choses à dire pour pouvoir les dire » ? Il opine du chef, « c’est ça, c’est carrément ça. Quand on a joué la Houille à Liévin, dans le Nord, dans les terrils et les montagnes de charbon, il y a des gens qui ont chialé. On leur chante une chanson sur les mineurs, avec ce côté un peu java, et ça produit une grande émotion. Et c’est ça la chanson. Regarde des mecs comme Ferré... Il faut s’engager ! J’ai quarante balais maintenant. A quarante ans on a plus envie de dire les choses, on pense peut-être plus aux autres que quand on a vingt ans ».
...et l’hélicoptère
Cet engagement on ne le retrouve pas seulement dans les chansons ou dans l’incroyable énergie que Magister et ses musiciens déploient sur scène, il est aussi présent dans leur quotidien. Et tout en regardant passer l’hélicoptère d’un certain ministre de l’intérieur et candidat à la présidentielle, il ajoute avec l’œil pétillant des (j)ours de fête : « Sarkozy est là ce soir. Il nous fait concurrence. Il joue au Zénith en solo, il fait un petit stand-up. Et le public de Sarkozy ne va pas voir Albert Magister rassure toi ! ». Aurais-tu un message à faire passer Albert ? « Ne pas voter Sarkozy. Je trouve que c’est quelqu’un qui recherche trop la gloire. Ça sent trop le mec qui sait tout, qui serait seul à avoir compris ce que vit le monde, ce que vivent les gens. Il connaîtrait tous les problèmes, il aurait toutes les solutions. L’uniformité, la pensée unique, le Sarkozisme, je les hais ».
Si les derniers morceaux sont toujours aussi engagés (on pense à Vladimir Poutine qui dénonce le diktat du Kremlin) le répertoire s’ancre désormais davantage dans l’actualité. Dans son set étonnant et détonnant Magister chante le monde d’aujourd’hui avec ses inhibitions (la phobophobie), et ses passions (Vénus) en duo avec la charmante Lise Cherhal, deuxième du nom. Si Magister devait être le maître de quelque chose ce serait sans doute celui de la simplicité et de l’autodérision. Il est à l’image de cet album live, une rencontre à faire, « un moment, spontané ». Il conclut : « Je respecte énormément des gens comme Fersen, Lavilliers, Vian. Dans les morceaux on est aussi un peu pince sans rire. Aujourd’hui je n’ai pas envie de faire quelque chose de trop calculé. Il faut de l’air et être le plus naturel possible. Magister aujourd’hui c’est du naturel, c’est du bio ! »
Nicolas CORBARD
Photo : Florence GARNIER
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