Voyage en terre fertile
État frontalier et terre de désolation, l’Arizona n’a cessé d’être le ferment d’images fantasmées qui nourrissent la vision européenne d’un versant de “l’american way of life”. Mue en mythe par la standardisation du western, impulsée par l’industrie hollywoodienne des sixties, et plus récemment par le développement du “Road-Movie”, cette Zones Arides est au centre de l’exposition présentée au Lieu Unique depuis le 11 novembre.
Le projet, initié par Olivier Mosset - artiste émérite du feu BMPT qui réside maintenant à Tucson - et porté par Patrice Joly - commissaire indépendant, fondateur de la Zoo Galerie et du magazine 02 - présente les œuvres d’une dizaine d’artistes. Les pièces questionnent, chacune à leur manière, les images clichées assimilées à ce désert légendaire, et révèlent les dissonnances que celles-ci entretiennent avec une réalité, par contraste, désanchantée.
Tous les éléments incontournables générés par notre conception globalisante et fantasmatique du désert arizonien sont réunis et condensés dans les œuvres, étoffant ainsi les strates qui les constituent en tant “qu’images”. Des Cactus “d’intérieur” de John Armleder, qui accueillent le spectateur à son arrivée, à l’instrumentalisation des indigènes par le kitsch de l’imageriemarketing présentée dans la pièce de Mathieu Mercier. Tout est là.
La monumentale installation de Wilfrid Almendra, étendue de sable à la forme tribale logotypée, s’étale au sol poussée par une mâchoire de fer, tandis que la route de Morgane Tschiember s’envole dans l’espace d’exposition. À l’image des poissons d’Arizona Dream, le chemin semble flotter. Rendu mou et presque maléable, il se transforme au fil des méandres en ruban cinématographique. Sa nature ambiguë permet à l’artiste de jouer sur un parallèle entre l’utilisation de ce motif, que sont devenues les grandes voies qui sillonnent l’Amérique, et les sentiments inspirés par son road trip en Arizona.
A l’ombre de la route, les monochromes blancs d’Olivier Mosset résument, avec radicalité, la peinture du paysage à son aridité et à la pureté de sa lumière. La confrontation à ce vide absolu fait naître une perte d’orientation qui nous renvoit aux toiles de Jugnet et Clairet. En reproduisant des cartes existantes du désert et de l’océan, les artistes, pointent la nature insolite de ces objets, dont l’absence de points de repères et de marquages annihilent presque toutes la fonctionnalité, et soulignent dans le même temps la vacuité de leurs objets d’études.
L’insolite est, de même, à l’honneur dans la vidéo tripartite d’Aurélien Froment. Sous une forme semi documentaire, elle nous embarque pour la visite de la ville d’Arcosenti, construite en Arizona en 1970 selon des préceptes quasi-utopiques et environementaux. La vidéo, de la même manière que la pièce de Mathieu Mercier, utilise la matière et surtout la temporalité du réel. Un réel, qui convoque une actualité politique préoccupante - frontière hermétique, condition de vie des populations indigènes “rescapées”, grignotage du désert par une urbanisation en expansion - et qui par son décalage, travaille notre capacité à nous construire des ailleurs fantasmés, en dépit même d’un système régi par la rapidité de transmission des informations.
Au delà de sa thématique, la singularité du projet de Zones Arides tient dans un principe actif où se combinent les démarches, notamment la nature bipartite de son exposition, dont le deuxième volet a ouvert le 24 novembre à la Fondation d’entreprise Ricard à Paris. Prolongeant la volonté de constituer une scène artistique transatlantique, cette seconde occurence, accueille les pièces du même groupe d’artistes. Le dédoublement et la correspondance, induits entre ces deux pôles institutionnels, concrétise et matérialise le “leitmotiv” déjà présent dans la genèse du projet curatorial : c’est à dire la création de liens et de passerelles. Aux déplacements entre ailleurs fantasmés et faits réels, viennent s’ajouter les déplacements géographiques entre les œuvres. D’autant plus qu’à la bipolarisation de l’espace de monstration, s’ajoutera en 2007 la présentation de l’ensemble de l’exposition au Museum of contemporary art de Tucson. Revenues en terre inspiratrice, les œuvres seront cette fois ci confrontées à des regards et des vécus, forgés au contact de ce réel, qui rattache probablement ses mythes et ses images à un folklore touristique qui fait recette.
Sur le modèle des liens qu’il noue entre des institutions artistiques, Zones Arides tente d’établir des ponts entre le champ de l’art contemporain et du cinéma. Une sélection de films de vidéastes et de cinéastes a accompagné et accompagnera durant le mois de décembre l’exposition. Plus qu’une volonté de jouer sur le croisement entre disciplines assujetties au régime de l’art, ce dispositif permet de mettre en perspective les images composites du mythe arizonien. Il tend à éclairer ce réel que questionne des vidéastes tels que Chantal Ackermann et à nous donner une vue d’ensemble des produits culturels qui s’inscrivent dans le processus de condensation du mythe.
De déplacements en déplacements, de rencontres en croisements, le parcours de cette Zones Arides prend les allures d’un voyage aux méandres multiples, d’une errance faite de détours et de haltes. Il ne reste plus qu’à allumer le poste de musique et suivre la route, un air de “On the road again” berçant la traversée...
Lucile Bouvard
ZONES ARIDES au Lieu unique, exposition du 12.11.2006 au 07.01.2007. www.lelieuunique.com
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