Et les notes éparses deviennent mélodie...
Engagé depuis les années 80 dans une démarche de démocratisation de l’art contemporain, le Frac des Pays de la Loire a réaffirmé cette année son soutien à la création actuelle. À l’occasion de la XXe édition de ses Ateliers internationaux, la structure a accueilli six artistes et duo d’artistes aux origines diverses (France, Ecosse, Angleterre, Norvège, Brésil). L’exposition « All That is solid melts into air  » retrace le travail qu’ils ont réalisé durant cette résidence de 2 mois sur le site de Carquefou.
« All that is solid melts into air »... Peut-être suffirait-il de dire que dans ce titre réside l’essence ou l’enjeu même de cette exposition. « To melt » : se fondre, s’allier et se faire face avec souplesse et force... C’est bien en effet ce dont il est question, dans ce lieu, entre ces pratiques hétéroclites et accordées à la fois. Basée sur des jeux de rappels et de correspondances, une dialectique semble s’être instaurée au fil des deux mois de ce huit clos relatif. Elle se révèle, lisible et discrète, comme un « on ne sait quoi » palpable dans l’air.
Ainsi les jeux d’images et de réflexion qui soutendent les travaux d’Angela Detanico & Rafael Lain et Michael Wilkinson viennent créer des liens, des nœuds entre les œuvres, telles des alternances de questions/réponses. Continuant leur exploration des systèmes et des images, notamment à l’aide d’outils informatiques propres aux graphistes, le couple brésilien a choisi de travailler à partir de vues de l’exposition, prises le jour de son ouverture. Les images fixes, traitées à l’aide d’un instrument de sélection, s’animent et l’illusoire nature mouvante de leur aspect vidéosurveillance nous induit en erreur. Chaque partie de l’exposition englobée dans ces vues nous donne, de prime abord, le sentiment de figurer le contexte où nous nous trouvons hic et nunc, jusqu’à ce que nous apparaisse notre propre absence ainsi que la disparition de certains éléments de l’exposition. L’image n’est alors plus que la captation d’un temps passé des prémices de l’exposition, dont la nature immuable révèle les changements et que les artistes jouent à activer par le mouvement de l’outil informatique.
Au coin opposé, le « mur-miroir » de Michael Wilkinson répercute lui aussi le reste de l’exposition créant, par une double réflexion, des effets de perspectives et des déplacements de lignes de fuites. Les parois construisent un espace qui nous renvoie à l’image de nos corps, morcelés et dédoublés, qui se meuvent par bribes en même temps que nous. Un espace au-delà du mur où nos doubles s’agitent, rendus fuyants et lointains par les manques et les intervalles qui séparent ses briques miroitantes. Seule une fenêtre d’angle contrarie la vision de cette dimension distanciée, laissant nos regards passer outre vers un paysage devenu tableau tant il semble figé.
À cette citation des pièces des uns dans le travail des autres s’ajoute le dialogue des formes, leur disposition dans l’espace et leur inscription dans l’architecture. La première proposition sculpturale de Knut Henrik Henriksen, cathédrale de bois érigée vers la lumière, prolonge la forme courbe de l’un des puits de lumière. L’extension monumentale établit une scission, bousculant l’uniformité de l’espace du White cube. D’une façon très différente, la seconde proposition de l’artiste épouse discrètement le lieu. Constituée d’agencements de triangle, elle s’élève sur toute la hauteur d’un angle de la salle telle une colonne sans fin brancusienne. La sculpture, faite à partir du bois constituant la façade du Frac, s’accorde avec l’appétence de l’artiste à utiliser des matériaux déjà présents sur les lieux où il expose.
La pièce de Melanie Counsell lui répond, s’étendant, forte et gracieuse dans la salle. La forme tentaculaire, par ces trois branches, crée l’illusion d’une rigueur qui l’assignerait à suivre les axes des murs. Pourtant l’axe de son angle est légèrement décalé au sol influant sur nos sens en trompant notre perception de l’espace. Plus loin, le bar de Patrice Gaillard & Claude s’étend par fragments sur un des murs de salle. Jouant avec les changements d’échelle qu’ils ont pris l’habitude d’opérer sur les objets usuels, le couple d’artistes, dispose les éléments narratifs d’une fiction où se trame, verre de whisky à la main, des échanges et des relations de pouvoir. La note d’une grande feuille d’automne stylisée aux accents psychédéliques vient adoucir légèrement la scène.
À l’image de leurs précédents travaux, Laurent Tixador & Abraham Poincheval se sont lancé le défi de peindre un rond en le formant dans un espace à l’échelle de la France. Le périple, long de plus de 2000km, va s’étendre sur près d’un mois et demi. Utilisant le temps de l’exposition pour mener à bien leur expédition, le duo ne laisse dans le lieu que quelques indices de leur absence/présence. En lien régulier avec les artistes, l’équipe du Frac notera jour après jour leurs coordonnées, matérialisant le cercle sur une toile blanche, pendant que fixés au sol un rudimentaire parking à vélo attend le retour de ces cyclistes improvisés et de leurs fiers destriers mécaniques.
Un regard vers la porte, la visite touche lentement à sa fin... Presque... Reste la dernière note de cette mélodie aux accords hétéroclites, le film Super 8 de Melanie Counsell. Projeté au fond de la salle d’exposition le film présente l’artiste allongée sur le ventre, prise dans l’immobilité du repos. L’ombre du feuillage des arbres et les pages d’un cahier agités par le vent, oppose à la fixité de ce corps un rythme soutenu par le contexte environnant qui se meut de façon aérienne. Le rythme d’un temps, qui passe, s’échappe et qui, loin d’altérer la figure méditative de l’artiste, se fond avec elle dans un même élan spirituel ("spiritus" évoquant le souffle de l’air et le souffle créateur). Debout, face au film nous n’entendons plus que les cliquetis réguliers du projecteur, métronome aspirant à lier dans la même rythmique toute la musique des pièces exposées. À cet instant commence à se répandre dans nos esprits les paroles volatiles de ce concert de formes : « All that is solid melts into air ». Alors que poussé par la boucle du film de Mélanie Counsell s’inscrit en bas de partition : Ad Libitum...
Lucile Bouvard
ALL THAT IS SOLID MELTS INTO AIR, XXe Ateliers Internationaux du Frac des Pays de la Loire, exposition du 8.11.2006 au 14.01.2007, Frac des pays de la Loire
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