Monica Vasquez joue à l’autoportrait rébus en photos
Méfiez vous des apparence de ces photos d’identité.
Monica Vasquez, Colombienne arrivée en France en 2 000, joue à cache-cache entre ses photographies. Ses travaux forment autant de chemins dans ce labyrinthe de l’autoportrait. Son exposition provocante, dérangeante pour certains, décompose les visages pour répondre à la fameuse question ontologique « qui suis-je  » ? Les mots vont-ils éclairer les images et faire tomber les masques ?
Quelle a été votre démarche dans cette réflexion sur l’identité à travers la photographie ?
En maîtrise, je voulais me diriger vers des sujets lourds comme les SDF en Colombie. Mais tout a basculé quand un professeur nous a filmés. En regardant la vidéo je ne me suis pas reconnue. Ce personnage en face de moi n’était pas moi. Je me suis questionnée par rapport à cette image. Ensuite, des lectures m’ont aidée à réfléchir, notamment L’étrangeté de Freud.
Votre nationalité colombienne a-t-elle conditionné votre approche, votre regard ?
Je venais effectivement d’arriver à Paris et, en tant que femme colombienne, je me sentais différente des Françaises. Une sorte de dualité petite brune contre grande blonde s’est ancrée dans mon esprit. Le problème d’identification et d’image de soi que l’on renvoie aux autres m’a vraiment interpellée.
Comment avez-vous procédé pour créer ces photographies collages ?
J’ai découpé des morceaux de magazines féminins. Le point de départ d’une création est toujours étrange. Tout peut commencer avec une rencontre ou avec un découpage. Au fur et à mesure, ce travail est devenu une obsession. J’achetais ces magazines, je les récupérais dans les poubelles, les cabinets médicaux...
Pensiez-vous alors au but que vous souhaitiez atteindre ?
Je voulais chercher la femme idéale en partant de préjugés banals : « je n’aime pas ma bouche, mon nez. Je les trouve trop petits... » Mais si je refuse mon image alors que veux-je être ?
Etes-vous satisfaite de ces visages « modèles » ?
Naïvement, je pensais que le découpage rendrait ces différentes facettes de moi même « belles ». Evidemment, les collages ont donné le résultat contraire. J’ai finalement ressenti le sentiment initial qui m’avait poussée à créer : l’étrangeté et un certain dérangement par rapport à l’image. L’idée du double est devenue réalité. Ces photographies sont à la fois des représentations de moi et de parfaites inconnues pour moi. Nous avons tous une double identité. Le moi idéal est passé au second plan pour accentuer ce travail sur ce personnage qui nous appartient et qui n’est pas nous.
Le moi idéal est-il en concordance avec la « beauté parfaite » telle que la véhicule la société ?
Non. Ce moi idéal est assez éloigné de la femme idéalisée. Même si cette quête n’a pas forcément rétabli le lien entre les différentes images, elle m’a donné l’opportunité de faire un retour sur moi, de reprendre contact avec mes racines. J’avais la sensation d’être exclue car les gens autour de moi avaient des comportements différents. J’étais perdue, à la fois ni française, ni colombienne.
Considérez-vous cette recherche comme une forme de psychanalyse ?
Je pense que la création dépasse ce cadre. Elle naît d’un croisement de situations qui fera sortir des images, comme par magie. Elle ne se limite pas à une réflexion universitaire. Elle allie pratique et théorique qui se nourrissent ensemble. Il existe toujours dans la création artistique quelque chose d’indéterminé et incroyable.
Comment votre travail (présenté au centre René Binet (Paris 18ème) dans le cadre du festival artistique étudiant) a-t-il été accueilli ?
J’aime le contact avec le public surtout quand je peux communiquer avec lui. Malheureusement certaines personnes n’ont pas supporté mon travail. Mes photographies peuvent provoquer un sentiment d’angoisse. J’ai aussi organisé des ateliers avec des enfants. Il étaient très imaginatifs. Les filles sont plus coquettes et les garçons plus extravagants. Le centre René Binet est aussi situé dans un quartier multiculturel avec des populations étrangères de tous horizons. Les gens se sont pris en photos et ont joué le jeu du collage. Le meilleur moyen de toucher le public est de le faire participer, de l’inclure dans le projet. Tout le monde peut faire l’expérience du miroir et peut attraper cette étrangeté. Il suffit juste de saisir ce moment pour le transformer en création
Vous avez choisi un vocabulaire agressif pour titre de votre exposition : « l’autoportrait : lieu du combat intérieur ». Avez-vous engagé une lutte contre vous-même ?
J’ai multiplié les expériences sur un support qui permet une grande liberté pour cristalliser quelque chose. J’ai combattu la photo en la découpant. Avant de débuter ce travail je pensais que j’avais une unité. En fait, j’étais morcelée, étrangère à moi-même. Finalement, le combat s’achève quand l’image s’unifie à nouveau, concorde avec le corps pour la photo. J’ai aussi un regard dur sur la vie qui vient de mes origines. En Colombie, dans un pays perturbé, le quotidien se résume en une confrontation permanente avec les bombes, la guérilla , les narco-traficants. Après cette expérience, impossible d’avoir un regard beau sur la vie. Certains actes ont dépassé des limites mais cette colère nourrit le travail...
La recherche sur une conscience de soi n’inclut-elle pas une réflexion sur le corps ?
J’ai choisi de travailler sur le visage car tous les corps sont semblables. Seul le visage nous personnifie. Néanmoins, il faut respecter le corps qui est quelque chose de sacré contrairement à ce que montre la société. Ensuite mon travail est une espèce de jeu où le ratage et l’accident ont toute leur place. La Beauté est là mais nous ne sommes pas que beaux. Quand on regarde autour, on perçoit la réalité cruelle : les dérives de l’industrialisation, la Shoah, la situation en Colombie... On ne peut pas oublier tout ça...
Pensez-vous vous engager un jour pour votre pays ou une autre cause qui vous tient à cœur ?
Je travaille toujours avec les deux faces du monde. Je pars de quelque chose de beau qui tourne mal. La volte-face est rapide. Je n’ai pas envie de faire un mauvais engagement dans mes œuvres ou de dériver vers la politique. Je me sens engagée personnellement mais parler de la Colombie est douloureux. Par exemple, tous les samedis paraît, dans mon pays, une liste de disparus, des enfants, des jeunes, des vieux. Je vais faire quelque chose dessus. Mais je ne n’ai pas déterminé le travail, ni la date, ni le lieu d’exposition. En Colombie, l’art est accessoire, très éloigné du peuple. La priorité pour tous est la survie. Les conditions pour s’exprimer en tant qu’artiste ne sont donc pas très favorables. Je vais réfléchir sur ce projet qui me touche particulièrement. Mais la création prend du temps comme un papillon qui évolue dans un cocon. Soudainement , un jour, il sera prêt à exploser. De la Colombie à la France, nous avons tous besoin de l’art pour nous exprimer. Sinon que faire ? Nous irons mourir de tristesse.
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