Où il est question de Pirandello, d’urne funéraire et du CPE
Défense et illustration d’une certaine idée du théâtre
« Soirée Pirandello  » : un titre très neutre pour trois courtes pièces qui, elles, ne le sont pas. C’est que le Théâtre du Passeur, qui a présenté au TNT, du 15 au 19 mars, ces trois textes de Pirandello, croit en un théâtre qui donne le premier rôle à un texte de qualité. Et, parce que Fragil aime et les beaux textes et les petites compagnies qui savent nous faire goà »ter la richesse de leur travail, nous sommes allés à la rencontre du Théâtre du Passeur...
En cette froide soirée de mars, après une nouvelle journée d’agitation autour du CPE, il est agréable, presque réconfortant, de se retrouver dans la salle du TNT : petite, accueillante, chaleureuse, elle a tout ce qu’il faut pour que l’on s’y sente bien, presque comme chez soi. Au programme : trois brèves pièces de Pirandello, promesse d’un théâtre où le texte a la première place. Sur scène, le décor se réduit d’ailleurs à deux chaises et quatre tables, dont la disposition seule changera d’une pièce à l’autre. Pour la petite histoire, le texte de Circulez, l’une des trois pièces présentées, contient un cadavre ; pour la troupe du Théâtre du Passeur, montrer un comédien faisant le cadavre sur scène était difficilement réalisable : l’étroitesse de la scène n’aurait pas manqué de faire échouer l’illusion théâtrale. La troupe a donc astucieusement préféré remplacer le cadavre par une urne funéraire...
Légèreté et élégance de Pirandello
Luigi Pirandello, écrivain italien né en 1867, a été Prix Nobel de littérature en 1934 - juste deux petites années avant sa mort. Ce n’est donc pas rien que de lire, et à plus forte raison de jouer un texte de Pirandello. Daniel Blouin, le metteur en scène, parle d’ailleurs d’ « écriture forte » à propos des textes de Pirandello : façon de souligner, d’emblée, le choix d’un théâtre qui donne la priorité au texte. Cette « écriture forte », elle vient avant tout de ce que Daniel Blouin appelle l’ « ironie » de Pirandello ; c’est que l’écrivain italien aime traiter des sujets graves avec « légèreté et élégance ». L’exemple le plus frappant, parmi les trois pièces présentées par le Théâtre du Passeur, se trouve sans doute dans La fleur à la bouche : le personnage principal, condamné par une tumeur à l’intérieur de la bouche, demande à son interlocuteur, juste après lui avoir annoncé sa mort imminente, comment il préfère manger les abricots... Et c’est précisément ce contraste, cette dissonance entre la gravité de la situation et la légèreté des paroles des personnages qui fait la force des textes de Pirandello. Dans la pièce suivante, Circulez, on retrouve une situation étrange, à la limite du vraisemblable : une femme (interprétée par Marie-Hélène Roumet), assise à côté du cadavre de son père (remplacé par l’urne), épanche son cœur en disant enfin tout ce qu’elle pense du mort - un homme à tous points de vue détestable. Mêlant émotion et humour noir, rage vindicative et plaisanteries, son soliloque résonne avec une force étonnante sur l’étroite scène du TNT.
Théâtre engagé
Mais ce n’est pas que pour la qualité de son écriture que le Théâtre du Passeur a choisi Pirandello ; « il y a [chez Pirandello] un arrière-plan politique, c’est un écrivain socialement engagé, il fait écho à l’ambiance de l’époque », expliquent Claude Cottineau et Patrick Joly, comédiens. Façon donc de rendre hommage à un écrivain qui s’est voulu témoin et acteur de son époque. Il ne faut cependant pas voir cette « Soirée Pirandello » comme un théâtre politiquement militant : nous sommes à des lieues de « L’Ospite » (cie Motus) ou de « Daewoo » (Bon/Tordjman), où le spectacle puise l’essentiel de son sens dans son message politique. Non, si l’on va voir cette « Soirée Pirandello », c’est d’abord pour voir un théâtre où, certes, le texte est primordial, mais où, surtout, la richesse de l’ingéniosité vole au secours de la faiblesse des moyens financiers. C’est enfin un acte de soutien à une troupe peu médiatisée (d’où, entre autres, l’attention que lui a portée Fragil) et à une salle (en l’occurrence le TNT) qui croit en ce théâtre et qui défend ainsi une certaine idée de la culture.
Gaël Montandon
Bloc-Notes
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