
Lecture à cœur ouvert pour non-voyants
Gros plan sur la lecture des malvoyants et aveugles au salon du livre.
Milliers, millions de pages se sont envolées pour le salon du livre, véritable lieu de migration pour toutes les maisons d’édition. Le virus de la lecture, sollicitant tous les sens, se propage à la vitesse de l’éclair. Le livre se dévore avec les oreilles et les mains pour les lecteurs aveugles. Les associations ouvrent les pages de leurs histoires, de leurs combats et de leurs points de vue sur l’état de l’accès à la littérature pour le public atteint de déficiences visuelles.
Les yeux de Nadège Samson reflètent sa détermination. Voyante mais consciente des problèmes auxquels sont confrontés les enfants malvoyants, elle est membre de Regard d’enfants. Cette structure se coordonne avec LATRA (Laboratoire d’Adaptation, de Transcription et de Recherche pour Aveugle et Amblyophe) pour permettre aux jeunes touchés par le handicap visuel de progresser dans leur scolarité et d’être autonomes.
Le salon du livre est ainsi parsemé d’éditeurs effectuant des rééditions. Sur ces stands, le livre est prié d’avoir bon caractère, une police large (entre 16 et 18), pour éviter que le lecteur concerné ne se froisse et refuse d’effleurer une page. A contrario, la taille de ces bibliophiles compte peu : de 7 à 77 ans chacun exige le droit de pouvoir lire. Regard d’enfance l’a compris et donne accès aux meilleurs albums jeunesse.
Dans les rayons de cette association du Calvados (Caen), un grand Kirikou côtoie un Titeuf toujours aussi volubile. « Les enfants malvoyants se plaignaient de ne pas connaître toutes les références de leurs camarades ». La collection comporte 100 titres pour un public de 3 à 18 ans.« Attention, ce n’est pas un simple agrandissement » insiste Nadège, « nous devons d’abord obtenir l’autorisation de la maison d’édition. Nous testons la police, nous redessinons les illustrations pour obtenir parfois un effet de 3D, pour souligner le contraste ».De la maquette à l’impression, un groupe de 3 personnes effectue entièrement le travail de réadaptation jusqu’à la parution, récompense de 3 semaines de travail. Ces livres passeront ensuite entre toutes les mains, et verront autant de lecteurs malvoyants que de personnes dyslexiques ou d’handicapés moteurs. « Les gros caractères mais aussi la taille des ouvrages permettent de toucher toutes les populations jeunes éprouvant des difficultés d’apprentissage de la lecture. Les bandes dessinées sont aussi plus ludiques que les simples manuels que nous réalisons également ».
Seule organisation en France à éditer ces œuvres, elle est convoitée par l’étranger. Mais ce « Petit Poucet » doit déjà trouver des moyens de subsistance avant de penser à ce périple en dehors des frontières. Regard d’enfants n’est pas naïf : « Nous sommes parvenus à obtenir des subventions jusqu’en janvier 2005 mais désormais nous sommes contraints de passer du statut de salariés à celui de bénévoles. Nous recherchons toujours des aides ou des mécènes. Grâce à des concours ou à la Fondation Mc Donald nous avons acheté une machine pour diminuer les coûts de production mais, à cause du papier particulier utilisé, le livre reste trois fois plus coûteux que l’original ». La plus grande gratification se trouve dans l’œil de l’enfant. « Après avoir le travail épuisant réalisé pour Titeuf, j’ai vu un jeune lecteur venir à moi pour m’embrasser. Pour la première fois, il distinguait nettement les lettres. Il a lu et relu ces pages avec émotion ».
Dans l’obscurité, la littérature chuchote
Autre alternative pour les affamés avides d’autres titres que les albums de jeunesse : la lecture à haute voix. Sous un parasol noir, des comédiennes invisibles offrent leurs voix pour voyants et non voyants. A l’écoute, ce chant de syllabes, ces lyriques et douces intonations rappellent l’enfance et installent un climat de confiance. Entre l’auditeur et la lectrice, la chaleur des mots vient remplacer le regard et le contact. L’association Lire dans le noir, née à France Info en hommage au journaliste aveugle Julien Prunel, enregistre ainsi des livres récents sur cd. Les voix sont en général celles des auteurs qui s’impliquent dans le projet comme Alexandre Jardin, Philippe Delerm, ou Jean d’Ormesson. Ces ouvrages sont vendus dans de nombreuses librairies et touchent ainsi un large public.
Le site Audible (www.audible.fr) a aussi pris le parti de faire parler les livres. Ces « œuvres qui s’écoutent » sont des classiques de Pascal à La Fontaine mais aussi des Best-sellers. Le dernier Dan Brown en format mp3 dans votre baladeur ? Le livre objet invisible réalise le pari d’Audible : « bouger en lisant ».
L’association Valentin Haüy (inventeur des premières lettres lisibles par les aveugles avant le braille) a adopté l’outil sonore à la norme Daisy. Cet appareil, sorte de magnétophone, utilise le système international employé depuis 2004.. « On peut tendre l’oreille, et être plus à l’écoute mais utiliser seulement l’audio revient à être analphabète »témoigne un aveugle. Cet homme est formateur pour AVH, organisme composé de voyants et non-voyants. « Un élève met entre 6 mois et un an pour savoir lire un livre mais cet effort permet une réelle autonomie ». L’apprentissage du braille demeure marginal : sur 1 500 000 aveugles ou malvoyants, seules 8 à 10 000 personnes maîtrisent l’art et la technique de lire entre les points des pages blanches.
Le braille pose toutefois quelques difficultés. Le faible nombre d’œuvres imprimées en braille (moins de 1% de la production littéraire) dû aux coûts de production est l’obstacle majeur. Il se lit également trois fois moins vite que l’imprimé noir courant et multiplie la taille de l’espace nécessaire pour stocker les livres (même avec l’emploi du braille abrégé). Avec ses 30 000 titres et ses 18 kilomètres de rayon, AVH possède la plus grande bibliothèque du monde. Son utilité dans le cadre scolaire a été prouvée mais les jeunes générations le délaissent pour l’audio. A travers le problème des non-voyants, la « lecture-parole » accède ainsi à un nouveau statut où les mots étendent leur pouvoir pour s’emparer de notre ouïe. A écouter...pour tous lecteurs.
Chloé VIGNEAU
Photos : Aurélia Blanc
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