Bartleby, révélateur de notre société
L’adaptation de la nouvelle d’Herman Melville s’est joué du 14 au 17 février au Théâtre Universitaire. Mise en scène par David Géry, Bartleby conte l’histoire d’un copiste récemment arrivé chez un notaire de renom et qui, grâce d’un jeu d’acteurs impressionnant, passe du comique au dramatique. La retranscription du livre de l’auteur de Moby Dick est fidèle et juste, bien qu’un peu poussive.
Bartleby est l’histoire éponyme d’un un nouveau scribe engagé chez un célèbre avocat de Wall Street. Tâche ingrate au possible, le nouvel arrivé est chargé, comme ses trois collègues, de recopier des textes juridiques. Bartleby s’y attelle avec un sérieux qui impressionne son nouveau patron. Mais l’admiration que ce dernier lui porte s’écaille chaque fois un peu plus lorsque Bartleby, le macabre copiste, lui annonce qu’ « il préférerait ne pas... » effectuer une autre tâche.
Deux solutions s'offraient à lui : «J'aimerais mieux pas» ou «Je préférerais ne pas...»
C’est autour de cette phrase, mêlant à la fois politesse et indisposition, voire rébellion, que s’articule toute la pièce. Géry a eu le choix entre deux traductions de l’oeuvre, la principale distinction entre les deux résidant dans cette expression "I would not prefer to..." Bien qu’anecdotique à première vue, ce choix était déterminant tant les implications de la traduction étaient grandes. Deux solutions s’offraient à lui : « J’aimerais mieux pas » ou « Je préférerais ne pas... ». Le metteur en scène a opté pour la deuxième solution, estimant qu’elle « était plus précieuse et laissait un suspens, un silence mystérieux à la fin de la phrase, donc était plus adaptée ». Tout est d’ailleurs question de silence dans cette œuvre. Un silence recherché pour [« amener le spectateur vers une autre écoute, et le laisser se poser les questions ».
Une mise en scène intelligemment conçue
Dès le premier coup d’œil, la mise en scène interroge. On y trouve disposés de grands murs blancs, de taille différente et percés en quelques endroits d’ouvertures. C’est simplement au fil de la pièce que l’on se rend compte de l’ingéniosité du procédé. Ces grands panneaux ne sont en fait que la métonymie du livre original, c’est-à-dire des pages que les acteurs tournent selon les décors et qui modifient leur espace. Cette invention pratique est magnifiée par un éclairage qui crée des ambiances tantôt réalistes, tantôt symboliques dans un décor assez abstrait.
Du rire aux larmes
Comme Gilles Deleuze, David Géry voit en Bartleby « un texte violemment comique ». Le rire y est certes bien présent, du moins au début, lorsqu’on rit de la piètre situation dans laquelle se trouve l’avocat. « Il y a un comique de répétition au moment de l’inversion maître/valet mais petit à petit, ça se décale pour arriver à quelque chose de vraiment tragique. Mais l’avocat est lâche. S’il voulait réellement aider Bartleby, il le ferait ». N’empêche. Devant l’effronterie de Bartleby et son côté agaçant, nonchalant, on se surprend à avoir de la compassion pour le maître de Wall Street, impuissant face au funèbre copiste. Erreur de mise en scène ou esprit tordu ? La réponse se trouve probablement dans l’absence des trois collaborateurs du triste sire, plus présents dans l’œuvre de Melville. C’est eux qui, en amenant ôtant un côté comique (qui aurait d’ailleurs allégé le spectacle), montent l’avocat contre Bartleby. Ce dernier apparaît plus faible et donc plus attachant. Mais les acteurs sont irréprochables.
Yann Colette est l’incarnation idéale de Bartleby, tant par son physique atypique que par son jeu assez lent et profond. L’avocat, est également interprété par Claude Lévèque de manière fort impressionnante. A noter, le soir de ma présence, David Géry a réussi à endosser brillamment le rôle de l’un des copistes avec seulement deux jours de répétition. Ce dernier, lorsqu’on lui pose la terrible question du sens de la pièce, répond qu’il voit Bartleby comme « le révélateur de la société ». Mais résumer ce texte serait bien compliqué. Géry l’avoue de son propre chef : « chercher un lien social ou politique serait réduire la dimension métaphysique, le quelque chose d’indicible contenu en Bartleby. »
Bloc-Notes
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