Le chemin des passes dangereuses
François Chevallier, metteur en scène originaire du Mans, est venu présenter son spectacle Le Chemin des Passes Dangereuses au Théâtre Universitaire. Cette pièce du Québecois Michel-Marc Bouchard raconte l’histoire de trois frères qui, suite à un accident de camion, reviennent sur leur jeunesse et le trouble qui les a hanté toute leur vie. Un spectacle tout en subtilité et cohérence qui met le spectateur face à lui-même.
L’affiche de la pièce peut dérouter les habitués du théâtre classique. Trois hommes se causent, bière à la main, l’un est en survet’, cheveux gominés peignés en arrière, et l’autre vêtu d’une chemise débraillée qui recouvre un marcel blanc. Bref, vu le tableau, on s’attend à un spectacle plus proche des Deschiens que du Bourgeois Gentilhomme (pas celui de Bigard, évidement...). Mais comme toujours lorsqu’un article commence ainsi, il n’en est rien. Au contraire, François Chevallier, attiré par les non-dits familiaux, a monté un spectacle tout en détail, rythmé, cohérent et sensible qui ne peut laisser le spectateur indifférent.
Déconstruction
Trois frères, suite à un accident de camion sur le chemin des passes dangereuses, se retrouvent dans le bois où leur père est mort alors qu’ils étaient adolescents. Un traumatisme qui hante les trois frères, Carl, Ambroise et Victor, et que les dialogues, oscillants entre gravité et humour, vont peu à peu mettre au grand jour pour aboutir à un final surprenant ! La narration interpelle, grâce à une intelligente reconstruction du metteur en scène. François Chevallier a voulu « déconstruire un peu le cours de la pièce pour insister sur la surprise finale et tenir le spectateur en haleine ». Résultat : on se retrouve dans un flou total qui ne s’éclaircit que lentement et trouve sa justification à la fin. Toutefois, la compréhension se trouve facilitée par l’auteur qui a su parsemer dans son récit quelques indices de l’histoire, de manière habile et subtile.
L’interprétation des acteurs reste dans cet esprit, toujours avec ce rythme binaire échange rapide/longues pauses et gravité/humour. Mais les personnages ne sont pas manichéens, loin de là. François Chevallier s’est attaché à « défendre ses personnages, pour ne pas qu’on y voit tout noir ou tout blanc ». Et les acteurs remplissent parfaitement ce rôle, laissant entrevoir en chacun d’eux une part de la personnalité de leur défunt père, qui les écarte en premier lieu pour mieux les réunir à la fin.
Introspection
Le décor surprend par son épuration là où l’on aurait imaginé, par exemple, une reconstitution d’un bosquet. « Ça a d’ailleurs été l‘un des principaux problèmes de la pièce » indique François Chevallier. « J’avais d’abord pensé à un décor naturaliste et puis je me suis rappelé un pièce que j’avais vu au festival d’Avignon où il avait des praticables. [1] Ça convenait parfaitement pour l’univers que je voulais créer, un peu déconstruit et en accord avec la fin. J’ai donc opté pour une scénographie de position, en essayant de reproduire une de ces perspectives impossibles, comme au début du XXème ». Le décor, bien utilisé par les déplacements des acteurs, fonctionne plutôt bien et sert la pièce grâce à sa cohérence avec le reste du spectacle.
Xavier Plumas et François Chevallier ont également fait un remarquable travail sur le son. Là où l’auteur Michel-Marc Bouchard n’avait indiqué que des temps dans son texte, ils l’ont rempli d’une musique originale formidablement bien trouvée qui, encore une fois, amène l’auditoire à se regarder au plus profond. C’est d’ailleurs ce qui fonctionne le plus dans cette pièce. Le décor, épuré et déconstruit, le son, créant un rythme propice à l’introspection, et les acteurs, dont le jeu étonne par sa véracité créent un ensemble particulièrement efficace. Tout ces éléments amènent le spectateur à des « moments d’absence », comme me l’a confié une jeune fille assise à mes côtés, qui sont en fait des instants d’introspection particulièrement efficace qui font que ces personnages sont un peu de nous. Dès lors l’identification, ne serait-ce que partielle, et la catharsis qui en découle font que l’on s’attache à cette pièce car on y retrouve tous une part de notre vécu. Une vraie réussite, donc, au travers de laquelle on se regarde comme rarement, droit dans les yeux.
Jean-Rémy Praud
[1] Ces praticables sont en fait des sortes de tables dont on peut régler la hauteur et l’inclinaison.
Bloc-Notes
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