
Interview du plasticien Antoine Bouhour
Donner corps à la toile
« Erlebnis, essence du vécu  » est la cinquième exposition nantaise d’Antoine Bouhour, plasticien. L’artiste autodidacte présente jusqu’au 30 juin 2016 une quinzaine de ses toiles au 1 rue Racine à Nantes. Dialogue avec un peintre qui fait parler les corps.
Quand on rencontre Antoine Bouhour, on fait connaissance avec un quarantenaire bourlingueur qui puise dans son vécu l’essence même de sa peinture. Comme beaucoup d’artistes, vous direz-vous... Effectivement ! A la différence près que c’est l’humain qui l’inspire, la personne dans ce qu’elle a de plus intime, son corps sans arme ni artifice, à nu ou presque. Ces belles âmes, il les couche sur la toile, grave l’éternité d’une amitié naissante ou d’un coup de cœur au pinceau.
Fragil : Votre exposition s’appelle Erlebnis, qu’est-ce que cela signifie ?
Antoine Bouhour : La traduction littérale d’Erlebnis en allemand est expérience. Ce concept philosophique exprime la connexion entre la perception du réel à travers votre regard et ce que vous ressentez à l’intérieur. C’est-à-dire l’interface entre ce que vous vivez à l’extérieur, ce que vous percevez et vos ressentis. L’expérience du vécu en quelque sorte.
Univers intérieur
Fragil : Quel parcours personnel vous a mené à la peinture ?
Antoine Bouhour : Je dessine depuis l’enfance. Le dessin me suit depuis le début. A un moment, j’ai eu besoin d’une pause pour passer à la musique. J’ai rejoint une école de jazz où j’ai fait partie d’un big band avant de me lancer dans une école d’audiovisuel à Paris. J’ai travaillé comme ingénieur du son pendant douze ans pour des télé-réalités comme des reportages de guerre. Le dessin est réapparu sous les traits de mes carnets de voyages. Puis je me suis installé à Buenos Aires où j’ai décidé de tout arrêter pour me consacrer à la peinture.
Fragil : Est-ce l’ambiance de Buenos Aires qui vous a décidé ?
Antoine Bouhour : Non, c’est quelque chose qui était en gestation depuis longtemps. Vivre à Buenos Aires m’a permis de me dire que c’était le moment, mon moment. Rien à voir avec une lubie. C’était déjà en marche. Avoir monté des reportages, être allé à la rencontre d’inconnus, approcher leur parcours, cela m’a donné l’envie de faire quelque chose du même ordre. Mon univers intérieur devait s’exprimer.
Mon univers intérieur devait s'exprimer
Au lieu de tirer des portraits, j’ai éprouvé le besoin d’appréhender l’autre à ma manière, je dirais.
Fragil : Depuis combien de temps vous y consacrez-vous uniquement ?
Antoine Bouhour : Cela fait neuf ans que je ne fais que cela, que je suis plasticien. Parler de plasticien offre une ouverture sur mon travail. Si je n’étais que peintre, a priori je ne ferais pas de photo, ni d’huile sur verre ; une technique qui relève de l’installation car je me joue des lumières et des transparences. Malgré tout, je me sens profondément peintre plus qu’autre chose.
Fragil : Vous êtes-vous essayé à d’autres expériences artistiques ?
Antoine Bouhour : Plus jeune, j’ai tenté un projet de bande dessinée avec un ami. J’ai voulu arrêter. Il fallait reprendre un trait, le travailler, le garder, le conserver, comme une recette. Cela m’ennuie profondément. Pour moi, le dessin est presque monacal. Ce travail ne pardonne rien. La peinture ressemble au contraire à de la grande cuisine. La toile est un matériau résistant qu’on peut presque boxer sans l’altérer. Quant aux pigments d’huile ou d’acrylique, ils apportent du ressort : la couleur n’est pas uniquement là pour supporter le dessin, elle apporte autre chose. Un tout qui m’aide à tendre vers le réalisme, même si ayant fait de la photo, mon but n’est pas de donner un aspect photographique à mes toiles.
Fragil : La photo a-t-elle aiguisé votre œil d’artiste ?
Antoine Bouhour : Oui, bien sûr. Dans la photo, ce qui m’intéressait c’était la recherche de cadrage. Puis le travail sur la lumière est arrivé assez vite. Au début dans mes peintures, je cherchais à être hors-cadre, malgré le châssis. Maintenant j’y suis revenu. Ce qui est ardu, c’est de réussir à se rendre compte de la manière dont fonctionne l’œil humain, d’arriver à décrypter pourquoi il est attiré par un angle en particulier, car il cadre naturellement tout seul. Cela peut être compliqué à comprendre. Mais une fois qu’on l’a saisi, on peut déconstruire le visuel pour mieux jouer avec. Ma série L’homme sans tête s’appuie sur ce principe : je fais abstraction du visage des modèles.
Toucher à l’intime par le nu
Fragil : Les visages vous dérangent ?
C'est le corps qui parle dans sa chair qui m'intéresse
Antoine Bouhour : Non, pas du tout. Si vous reproduisez un corps dans son ensemble, avec un visage très présent, votre œil va automatiquement aller vers le regard, c’est mécanique. Dans mes carnets de voyages, je croquais différents portraits. Mais pour moi, une main, un pied sont tout aussi parlants qu’un visage. C’est le corps qui parle dans sa chair qui m’intéresse.
Fragil : Comment trouvez-vous vos modèles ?
Antoine Bouhour : Ce sont des rencontres, des ami(e)s ou des modèles professionnels comme pour mon tableau Marionnettiste. Ici, quelque chose s’est passé. Dès qu’une histoire se crée avec la personne, cela devient un possible sujet à peindre ; d’où la notion de dessin autobiographique. Je ne peux pas travailler avec un modèle si je n’ai aucune accointance avec lui. Je ne me sens pas de peindre des choses qui me sont complètement extérieures. Je peins sur un rapport personnel à l’autre. Peindre est pour moi une façon de pouvoir approcher les gens sans les toucher et que cela dure longtemps.
Peindre est pour moi une façon de pouvoir approcher les gens sans les toucher et que ça dure longtemps
Fragil : Poser nu lorsque l’on n’est pas modèle professionnel est loin d’être une évidence. Comment se crée la relation de confiance à l’autre afin que vous soit livrée cette intimité ?
Antoine Bouhour : Dans les dix premières minutes, vous savez si l’alchimie va prendre. Vous le sentez dans le regard. J’apprécie ce côté modèle non-professionnel. Quand je travaille avec des modèles professionnels, j’essaie de déconstruire les poses qu’ils ont l’habitude de prendre, sans rien imposer. Au fur et à mesure, la pose prend vie par elle-même.
Fragil : Pourquoi avoir choisi d’être un peintre du nu à l’image d’un grand nom du genre, Lucian Freud ?
Antoine Bouhour : Le nu est de l’ordre de l’intime dans le rapport à l’autre. C’est ma façon la plus sensible de m’approcher des gens avec qui je vis, qui m’entourent ; ma façon la plus sincère de les voir et de montrer la relation que j’ai avec eux.
Fragil : Cet artiste fait-il partie de vos influences ?
Antoine Bouhour : Oui, Lucian Freud est une de mes références, comme son ami Francis Bacon. Il a gardé une certaine tradition picturale. Il a un rapport à la chair et au corps qui me donne envie de continuer sur cette lignée. Sa technique comme son approche me touchent énormément.
Fragil : Peut-on parler d’un style Antoine Bouhour ?
Antoine Bouhour : Je ne sais pas... L’une de mes craintes est de tomber dans le stylisé, le caricatural.
L'une de mes craintes est de tomber dans le stylisé, le caricatural
J’admire les travaux préparatoires des sculpteurs. Ils ne vont jamais dans le détail. Ils couchent seulement sur le papier les lignes. Leurs dessins sont souvent très forts. C’est dans ce sens que je ne fais jamais de dessins préparatoires, j’attaque directement au pinceau. Grâce aux erreurs, en acceptant le débord, en revenant dessus, on ne tombe pas dans l’habitude ; ce qui m’effraie le plus.
Le rapport à la nudité tient pour certains du beau, de l’absolu ou parfois même du dérangeant pour d’autres. Tel un passeur d’âmes via ses enveloppes charnelles, Antoine Bouhour livre à travers ses toiles un peu de lui, de ses modèles, de vous...de nous êtres humains tout simplement.
A découvrir jusqu’au 30 juin, du mardi au samedi de 13h30 à 19h30. Fermé le mercredi. Nocturnes les jeudis jusqu’à 21h30. Espace l’Écureuil, 1 rue Racine à Nantes.
Propos recueillis par Stéphanie Lafarge
Photos : Antoine Bouhour et Michel Rubinel
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