
Au chœur de La Folle Journée 2016
Le classique par nature
La renommée de La Folle Journée n’est plus à faire et dépasse même les frontières. Ce festival, porté par son directeur artistique René Martin, met à l’honneur la musique classique dans ce qu’elle a de plus riche et de plus varié. Temps fort de l’actualité culturelle nantaise de ce début d’année, l’édition 2016 a fait la part belle à La Nature. Ce thème universel a inspiré les plus grands compositeurs à travers les âges. Les paysages, la végétation, les animaux... ou encore l’eau, la terre, le feu, le vent : les éléments se sont déchaînés, en musique bien sà »r, du 3 au 7 février dernier à la Cité des Congrès de Nantes. Retour sur la journée d’une néophyte, ce vendredi 5 février 2016, à La Folle Journée.
22 ans que cela dure... 22 années déjà que La Folle Journée s’évertue à voguer à contre-courant des préjugés qui dominent en musique classique. Ici les concerts ne sont pas réservés aux seules oreilles connaisseuses ou à une élite : l’événement est bien populaire dans toutes ses lettres de noblesse. Mais ne vous y trompez pas, le rendez-vous repose sur des bases artistiques exigeantes sans céder à une vulgarisation ou à des détournements improvisés de grands classiques. Car si cela était le cas, comment expliquer son succès retentissant depuis si longtemps ?
Ô joies, ô inspirations que la nature procure
Que la nature peut être source inépuisable d’inspiration. Nombreux furent les compositeurs à la célébrer. Des grands noms à la jeune génération, elle suscite une réelle frénésie. A l’image de Spark The Classical Band, un groupe pas si classique que ça... Ces cinq jeunes musiciens dépoussièrent le genre pour mieux le revisiter à la sauce rock. Ils enchaînent les morceaux à l’assaut de Territoires Sauvages en mettant à l’honneur Vivaldi ou Georg Philipp Telemann et poussent l’audace jusqu’à réinterpréter un titre de Beyoncé. Ils jonglent sur scène avec les styles et les époques à un rythme effréné sur lequel on aurait presque envie de danser. Flûtes, violon, violoncelle, piano ; on est loin d’un ensemble de musique de chambre baroque. Ces touche-à-tout sont de vrais virtuoses avant-gardistes ancrés dans leur époque : un véritable quintet du XXIème siècle en somme, de quoi faire apprécier le classique aux plus récalcitrants. Après ce vent de fraîcheur, place à la douceur pour mieux calmer les esprits. Le moment est venu de renouer avec les grands maîtres que sont Vivaldi et Beethoven.
Ces touche-à-tout sont de vrais virtuoses avant-gardistes ancrés dans leur époque
Rares sont ceux qui ne connaissent pas Les Quatre Saisons, du moins de nom. Un classique parmi les classiques de quatre concertos pour violon composés par Vivaldi en 1720. Emmenée par le Polish Chamber Orchestra dans l’auditorium André Le Nôtre, la violoniste japonaise Sayaka Shoji livre une interprétation magistrale de ce chef d’œuvre du XVIIIème siècle. L’ode à La Nature débute. Voici le printemps. Les oiseaux le saluent d’un chant joyeux avant que tonnerre et éclairs grondent. Le calme refleurit lentement. Végétation et animaux reprennent leurs droits. Voici l’été. Le soleil illumine la nature de sa danse chaleureuse. Malgré la douceur, cette saison n’échappe pas aux aléas climatiques. Les éléments dans une course frénétique emportent tout sur leur passage. Voici l’automne. On fête l’heureuse récolte. L’air est léger comme une invitation au repos de courte durée. Bientôt la chasse. Enfin l’hiver. Le froid cinglant prend ses quartiers. Un feu brûle, réconfortant. Neige, glace, vent ; ainsi est l’hiver, rude et joyeux. 365 jours ont défilé en 45 minutes : une prouesse musicale juste magnifique.
365 jours ont défilé en 45 minutes, une prouesse musicale juste magnifique
Au tour de Beethoven… François-Frédéric Guy est un pianiste concertiste français. Son art l’a mené aux quatre coins du monde, avant de venir partager son talent avec le public de La Folle Journée. Salle Antoine Richard, 16h : les premières notes de la Sonate n°14 en do dièse mineur, autrement baptisée Sonate au clair de lune, retentissent. Composée dans une période de crise morale, Beethoven prenant peu à peu conscience de sa surdité naissante, le premier mouvement décrit une marche funèbre. Une introduction mélancolique qui laisse place à la septième minute à un second mouvement plus enjoué avant de repartir dans une dynamique dramatique, dont l’envolée lyrique alterne avec force et légèreté. Le paysage sonore se déchaîne pour finir sa course sous un tonnerre d’applaudissements. Puis de nouveau le calme. Commence la Sonate n°15 en ré majeur ou Sonate pastorale. Sereine et poétique, elle donne à se recueillir pendant près de 30 minutes. Les quatre mouvements s’enchaînent tour à tour espiègles et audacieux pour un tout empreint de profondeur. L’ovation du public ne trompe pas.
Un envol vers les musiques du monde
Si la musique est un voyage pour l’ouïe, La Folle Journée s’en inspire. Qui dit musique classique dit musiques traditionnelles, dont les origines ont traversé les âges bien avant les succès de Debussy, Strauss, Mendelssohn, ... ou encore Mozart.
9h30 : décollage pour l’Afrique. La scène devient le territoire tribal des maîtres tambours du Burundi. Parés des couleurs de leur pays (blanc, rouge et vert), l’ambiance s’installe. Les premiers coups retentissent dans une énergie folle. Ils tapent, sautent, chantent, dansent. On croirait ces guerriers presque en transe. Inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2014, leur réputation de meilleurs tambourineurs au monde n’est plus à prouver. Fleuron d’une tradition séculaire, ces bergers aguerris transportent l’auditoire au cœur des contrées africaines, en pleine nature, au rythme des semailles, des récoltes, des vaches… Plus qu’un réveil musical, une fête se dessine sous les yeux ébahis d’un public conquis, le sourire aux lèvres. Un moment de pur plaisir, plus que dynamisant, énergisant de vitamines burundaises : on en redemanderait presque chaque matin !
12h30 : escale en Chine. Jiang Jian Hua et Yang Baoyuan forment un duo. Elle, joue de l’erhu, lui, du luth chinois aussi appelé pipa. La salle Erik Borja, petite, presque comme un cocon, favorise la proximité avec l’univers des deux artistes. Tout le lyrisme des sons traditionnels chinois jaillit dès les premières cordes effleurées. La danse du serpent doré emprunte La route de la soie avant de rejoindre, entre autres, Le charme des montagnes du paradis et de se laisser emporter par La course de chevaux. Ils sont accompagnés d’une traductrice, pour échanger avec le public français et surtout parler de leur art, l’expliquer. Chacun s’intéresse, s’émerveille et rit même parfois. Dans ces quelques mètres carrés, la Chine se tient là, majestueuse. Que retenir ? Une poésie immuable de la musique traditionnelle chinoise. L’instant est magique.
17h15 : détour par l’Iran. Mahsa et Marjan Vahdat sont deux sœurs iraniennes à la voix d’or. Ne pouvant se produire librement dans leur pays d’origine, l’ayatollah Khomeini ayant décrété l’interdiction pour les femmes de chanter en solo en public (sauf s’il est exclusivement féminin), elles parcourent les routes d’Europe et déclament en chanson des poèmes persans classiques et contemporains. Leur interprétation est quasi religieuse, tant on ressent toute la spiritualité qui émane des textes.
Leur interprétation est quasi religieuse, tant on ressent toute la spiritualité qui émane des textes
L’orchestre andalou d’Ashkelon assoit cette ambiance grâce au jeu d’instruments traditionnels persans comme le setâr, le daf ou le kamânche. Bien au-delà du mélodieux, leurs voix s’accordent de façon envoûtante, cristalline. L’Orient, ses parfums, sa chaleur sont à portée en fermant les yeux. Ces deux femmes incarnent une histoire, vivent d’aventures musicales et de courage, telle une forme de résistance harmonique.
18h : atterrissage au Japon. Eitetsu Hayashi est considéré comme le plus grand spécialiste du taïko, dont la traduction littérale en japonais est tambour. Une vraie force de la nature s’installe sur scène. Les instruments sont imposants. Le silence de la salle fait écho au déferlement de battements saccadés. Des chants s’élèvent couplés de cris. L’exigence japonaise s’impose. Les tableaux s’enchaînent dans une chorégraphie virile savamment orchestrée. Le rythme du Eitetsu Hayashi Ensemble est à la fois discipliné et visuel. Pas le moindre répit. L’endurance et la technique marquent les esprits. La performance est millimétrée dans les moindres détails, jusque dans les dernières minutes. Quel beau final de cette Folle Journée que celui-ci.
William Cowper, poète britannique, disait : « La variété est la véritable épice de la vie qui lui donne toute sa saveur » et Oscar Wilde de surenchérir « Les folies sont les seules choses que l’on ne regrette jamais » ; à croire que René Martin a eu les mêmes inspirations lorsqu’il y a 22 ans, il tentait le pari fou de nous faire aimer sa Folle Journée. Aussi, merci à lui pour cette audace ! Prenez date dès à présent pour l’édition 2017, qui sera, elle, une invitation à la danse.
Texte : Stéphanie Lafarge
Photos : La Folle Journée - Nantes Métropole
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