
Entretien
Passeurs de musique : The Color Bars Experience reprend Elliott Smith
Le 16 décembre 2015, le lieu unique rendait une nouvelle fois hommage à la scène folk lors de son événement à la dénomination-clin d’œil, la Folk journée. Après avoir passé en revue le répertoire des monstres sacrés du genre tels Nick Drake, Neil Young, Tom Waits ou Dolly Parton, l’édition 2015 mettait en lumière, aux côtés de Leonard Cohen et de Jackson C. Frank, l’œuvre plus récent d’Elliott Smith. Fragil a rencontré deux des interprètes du projet The Color Bars Experience, Ken Stringfellow et Troy Von Balthazar, pour évoquer une entreprise périlleuse et singulière, celle de la reprise des titres d’Elliott Smith sur scène.
Songwriter à fleur de peau, l’Américain disparu tragiquement en octobre 2003, a laissé au panthéon de la pop ses mélodies ciselées au piano ou à la guitare et sa voix angélique. Pour célébrer le dernier album d’Elliott Smith, sorti il y a tout juste 15 ans, le projet The Color Bars Experience se propose de revisiter les morceaux de « Figure 8 », en faisant appel au talent d’un orchestre de chambre et de trois figures de la scène rock au micro, tous présents sur la scène du lieu unique pour la Folk journée.
Du projet The Color Bars Experience, on connaît quelques éléments. Lancée par le Français Yann DeBiak il y a environ un an et demi, l’idée est, quinze ans après sa parution, de rejouer les titres du dernier album sorti par Elliott Smith de son vivant, Figure 8. Cette tâche délicate est confiée sur scène à un orchestre composé de onze musiciens - violons, basson, flûte, percussions, violoncelle, guitare, batterie - qui donnent de l’épaisseur aux arrangements déjà plus riches sur ce dernier effort que sur un Either/Or où la guitare et le piano sont souvent les seuls compagnons de la voix d’Elliott. Le Français a également fait appel à trois pointures de la scène américaine de ces 25 dernières années pour être le porte-voix de ces paroles : Jason Lytle, chanteur de Grandaddy, Ken Stringfellow, notamment membre du groupe de power pop The Posies à côté de multiples autres projets artistiques, et Troy Von Balthazar, leader de Chokebore. Les deux derniers, éminemment accessibles malgré leur pedigree, nous font l’honneur de partager leur appréhension de la musique d’Elliott, et celle de la jouer, et reviennent sur les origines du projet, dans la bienveillance et la sincérité.
La personne qui écrit ces lignes se rappelle du jour de la mort d’Elliott Smith comme toute une génération se rappelle de l’endroit où elle se trouvait et de ce qu’elle faisait à l’annonce de la mort de Kurt Cobain ou de Lady Di. C’était le 21 octobre 2003, et les deux coups de couteau qui emportent Elliott Smith balaient avec lui un pan de ce que la pop mélodique a à offrir de plus touchant, de plus authentique, de plus immédiat depuis longtemps. Une carrière en forme de route ascendante mais restée inachevée, qui sinue du folk dépouillé des premiers enregistrements aux orchestrations luxuriantes de Figure 8, en passant par la charnière que constitue sa présence sur la bande-originale de Will Hunting et qui lui ouvre les portes des majors. Sur la scène des Oscars, c’est cet homme dégingandé, à l’apparence de bad boy - tatouages apparents, bracelet de force et cheveux gras -, qui interprète Miss Misery, titre-phare du film de Gus Van Sant. Et c’est le même qui apparaît sur la pochette de son ultime album la tête enfoncée dans les épaules, le costard en plus, et dont émanent tout à la fois voix cristalline, simplicité, gaucherie touchante, talent omniprésent.
Après des débuts sur la scène punk de Portland au sein du groupe bruitiste Heatmiser, Elliott Smith s’émancipe pour publier en solo cinq albums d’une pop lumineuse, inspirée des Beatles ou de Big Star, entachée par les écorchures que l’existence laisse sur lui, comme son visage au sourire éclatant apparaît marqué par des blessures qui ressurgiraient. Ken Stringfellow traduit lors de notre rencontre une pensée que beaucoup de fans partagent : « La musique d’Elliott est dans le panthéon de la musique, elle appartient à tous. Je me demande parfois où il en serait s’il avait continué sur ce chemin-là, et je pense qu’il serait probablement très loin. »
Figure imposée
La musique d’Elliott est dans le panthéon de la musique, elle appartient à tous. Je me demande parfois où il en serait s’il avait continué sur ce chemin-là, et je pense qu’il serait probablement très loin
Le Color Bars Experience explore l’intégralité du dernier album d’Elliott, alors que d’aucuns auraient misé sur un Either/Or fragile ou un XO, sommet de l’écriture beatlesienne. Ken explique que le choix de se concentrer sur le disque Figure 8 revient à « Yann DeBiak et à Christophe (ndlr : Patrix), l’arrangeur. Tous les deux ont vu qu’il y avait un potentiel pour ce genre d’arrangements. Non pas que les autres disques d’Elliott n’en ont pas, mais disons que Figure 8 se dirige déjà vers cela et a ce côté orchestral, même si c’est joué à la manière d’un groupe de rock. » Troy pense qu’« il était plus logique de jouer un seul album, car c’est un ensemble, plutôt que de faire un best of, même si cela aurait pu être cool aussi. Et cela laisse de la place pour d’autres albums par la suite… ». Les champs restent donc ouverts.
Si Ken, Troy et Jason ont eu leur mot à dire dans le choix des morceaux qu’ils interprètent, Ken reconnaît que « Yann et Christophe avaient aussi leur propre idée des arrangements, et de quelle voix irait le mieux avec telle chanson. » Troy s’en accommode, et lance, espiègle : « Ken chante des chansons très haut, et quand je l’entends je me dis que je ne pourrais jamais atteindre ces notes ! (rires) ». Figure 8 est mis à l’honneur pour le Color Bars Experience, mais si nos deux interviewés avaient la possibilité de reprendre une chanson en-dehors de cet album, il leur faut un temps de réflexion pour en choisir une. Ken hésite quelques secondes : « Je ne connaissais pas l’une des chansons que l’on fait sur scène, et qui s’appelle Place Pigalle (ndlr : c’est une chanson composée à Paris qui ne se trouve sur aucun album d’Elliott Smith) : elle est assez incroyable ! Je ne savais pas qu’elle existait jusqu’à ce que Yann me la propose, donc je ne peux pas dire que c’est celle que j’aurais choisie…mais je suis tellement content qu’elle fasse partie de ma vie. Place Pigalle parle d’occasions manquées, de différences culturelles (sourire), et je pense que n’importe quel musicien en tournée peut s’y retrouver, dans le sens où on tombe amoureux de tous les lieux et de toutes les personnes car chaque moment est tellement intense. »
Ken poursuit sur l’intensité et le désespoir souvent sous-jacents dans les paroles d’Elliott. « Il y a aussi un côté désespéré d’une certaine manière (sourire). Je ne sais pas, mais…je comprends vraiment ce qu’il voulait dire, ou ce que je pense qu’il voulait dire dans cette chanson. Vous savez, il y a pas mal de moments dans la musique d’Elliott Smith qui paraissent, non pas nihilistes, mais sans espoir, dans l’abattement peut-être, en tout cas dans l’autodérision c’est sûr. Ce ne sont pas des sentiments dans lesquels j’aime me complaire ou qui ne sont en tout cas dans ma nature, mais on a tous ressenti ça un jour. Il s’installe dans ce sentiment à certains points du disque et n’en sort pas… » Troy réagit : « J’adore ces moments ! Mais bon ce n’est pas forcément positif… (rires). Pour ma part, je me sens proche de Stupidity Tries, pour son petit côté Beatles ». Puis il nous met à contribution quand il s’agit de choisir une option hors-Figure 8 : « Quel est le titre de celle qui parle de « Johnnie Walker red » ? (Il fredonne) « I’ll fake it through the day with some help from Johnny Walker red … » Miss Misery, c’est son titre ? Oui, c’est ça, celle-là alors ! », lance-t-il dans un sourire.
Figure tutélaire
A quoi ressemble donc leur première rencontre avec l’œuvre de M. Smith ? Ken ne se rappelle pas d’un moment en particulier : « Mais, étant de Seattle, je me souviens simplement de Heatmiser (ndlr : le groupe d’Elliott Smith de 1991 à 1996, basé à Portland, dans la même région du Pacific Northwest que Seattle) comme faisant partie du paysage musical de la région. Ils donnaient des concerts et sortaient des albums. Puis Elliott a commencé sa carrière solo vers le milieu des années 90 et je me rappelle que quelqu’un m’a gravé un CD avec une compilation de titres où il devait y avoir Needle in the Hay (ndlr : extrait de son deuxième album, homonyme). Je n’avais pas encore l’album, mais la chanson était vraiment géniale. » Troy a un souvenir plus précis de sa rencontre musicale avec Elliott : « J’étais en voiture avec ma petite amie. Elle a passé une chanson d’Elliott Smith, je ne me rappelle plus laquelle, et elle a dit : « J’aimerais que tu chantes comme ça » (sourire). Cela m’a rendu très triste. »
Alors que Jason Lytle a côtoyé Elliott Smith de manière extensive lors d’une tournée conjointe avec Grandaddy, Ken et Troy n’ont fait que croiser Elliott Smith de loin en loin. La rencontre de Ken avec Elliott Smith : « J’ai dû le rencontrer en 1995. Mon groupe (ndlr : The Posies) jouait au Halifax Pop Explosion (ndlr : festival se déroulant en Nouvelle-Ecosse, au Canada), et Elliott a joué en première partie de notre concert. Je connaissais bien sa manager, Margaret Mittleman, qui avait négocié notre contrat d’édition chez BMG, et elle m’a parlé de lui. On s’est donc rencontrés et vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il n’a pas beaucoup parlé (sourires) ; c’était plutôt le genre de gars calme, en tout cas les fois où je l’ai croisé. Je n’ai vraiment pas passé beaucoup de temps avec lui (sourire). » Se sont-ils recroisés ensuite : « Oui, on a rejoué ensemble plusieurs fois et j’ai eu l’occasion de lui reparler. Elliott était un grand fan de Big Star, le groupe avec lequel je jouais, et je crois qu’il s’est débrouillé pour qu’on se retrouve ensemble à l’affiche d’un festival à Seattle (ndlr : vraisemblablement le Bumbershoot en septembre 2000). » Lors de leur dernière rencontre, Elliott Smith est déjà mal en point, aux prises avec ses addictions : « Je me rappelle notamment de la dernière fois que je l’ai vu. Je l’ai croisé dans un bar à Los Angeles ; il avait l’air assez paumé mais on a quand même bien discuté. Il m’a fait des compliments sur mon travail, comme quelqu’un de normal le ferait, en répétant les choses plusieurs fois, pour être sûr que le message passe bien (sourires). C’était adorable, et en même temps je voyais que ça n’avait pas l’air d’aller. On devait être en 2001… »
Troy se souvient avec admiration des quelques fois où il a vu Elliott jouer en concert : « Il jouait dans ce club underground de Los Angeles appelé Jabberjaw, qui programmait normalement des groupes de rock. C’était la première fois que je voyais quelqu’un y jouer de manière acoustique, sans micro. Tout le monde devait donc être silencieux, complètement silencieux, parce qu’on se retournait même sur quelqu’un qui sortait des toilettes. Mais il a réussi à faire respecter ce silence, c’était bien ! Je l’ai donc rencontré via des connaissances, puis recroisé de temps en temps à des soirées car nous avions des amis en commun. J’ai eu l’occasion de l’écouter jouer de la guitare, c’était vraiment un très bon guitariste ! Très rigoureux. »
Figure de style
Ken et Troy soulignent l’opportunité de jouer avec un orchestre de chambre, mais également son exigence. Ken : « Les arrangements de cordes, les cuivres et les vents étaient à la base du projet : Yann dirige un orchestre à Angers (ndlr : il est régisseur de l’ONPL, l’Orchestre National des Pays de la Loire) et a donc pu intégrer ce projet à leur programme. D’habitude les projets ne durent qu’une soirée, ici c’est un projet ambitieux, et à bien plus grande échelle, qui inclut une tournée. L’orchestre ne laisse pas de place à l’improvisation. Si on s’écarte de la ligne directrice, on est foutus ! Car l’orchestre joue ce qui est imprimé sur la page. C’est super-éprouvant (Troy rit), car j’ai plutôt l’habitude de me trouver dans des situations où j’ai une très grande liberté, c’est pourquoi je joue beaucoup en solo, comme Troy. Dans ces cas-là, tu peux aller où tu veux, t’y attarder un peu… ». Troy intervient en riant : « …et revenir sain et sauf ». Ken approuve en souriant : « …et revenir sain et sauf. Avec l’orchestre, le rythme n’est pas aussi régulier, et si je suis tellement dedans que je perds la notion des instruments derrière moi, que j’accélère ou que je ralentis, je dois vite réagir pour rétablir les choses. Ici on fait partie d’une structure qui doit être respectée. Il n’y a pas de place pour le jazz dans un orchestre classique, non », plaisante-t-il. Troy ajoute : « Et il faut aussi avoir l’oreille très fine, et être attentif à tous les sons et les détails produits par l’orchestre pour se repérer, car ce n’est qu’une mélodie dans laquelle on doit se glisser. C’est un défi, mais c’est amusant ! »
il faut aussi avoir l’oreille très fine, et être attentif à tous les sons et les détails produits par l’orchestre pour se repérer, car ce n’est qu’une mélodie dans laquelle on doit se glisser
Les prestations du Color Bars Experience ne sont d’abord pas destinées à s’ébruiter : une première occasion se présente lors du Printemps de Bourges 2015, puis pour un concert en public à la Maison de la Radio pour l’émission de France Musique, Label Pop, animée par Vincent Théval en mai dernier (malheureusement sans Ken Stringfellow, alors en tournée avec The Posies). Cette dernière session donne lieu à l’enregistrement d’un disque live, High on the Sound, proposé à la vente en tirage limité sur Internet et lors de cette tournée de décembre qui ne compte que quelques dates, dont celle de Nantes. Et c’est au détour de la conversation que nous apprenons que ce projet live était à la base limité à une expérience en studio. Ken : « J’ai été contacté par Yann, qui est à l’origine du projet. Ils avaient arrangé des chansons et voulaient entrer en studio pour en faire un album. J’ai enregistré deux très bons morceaux, mais l’idée a été ensuite abandonnée pour se concentrer sur le projet de tournée. Ce que je comprends, car c’est assez super de voir tous les musiciens installés devant soi et de les entendre jouer plutôt que de se contenter d’un fichier audio. C’était une toute nouvelle idée lancée il y a un an et demi environ, si je me souviens bien, c’est donc un projet qui s’est mis en place assez rapidement. Il y a donc des enregistrements studio, différents de l’album live, et ce serait cool de faire quelque chose avec. » Y a-t-il des chansons sur ces enregistrements qui ne sont pas extraites de Figure 8 ? Troy nous éclaire : « Non, mais Jason chante le morceau Figure 8 en live, qui n’est pas sur l’album (ndlr : c’est en fait une face B du single Son of Sam, extrait de Figure 8). Je ne l’avais jamais entendu avant, c’est un morceau étrange et sombre, je l’aime beaucoup (sourire). »
Figure acrobatique
Il est touchant de constater à quel point ces deux musiciens qui ont tourné dans le monde entier avec les plus grands (notamment R.E.M. pour Ken Stringfellow) ont pris ce projet à cœur, déterminés à rester fidèles à l’esprit d’Elliott Smith, ce qui n’allait pas sans mettre sur leurs épaules une certaine pression. A la question : « Quels sont les sentiments que vous avez le plus ressentis sur scène au cours de la tournée ? », la réponse est unanime : « La peur ! ». Troy explique : « En tout cas jusqu’à maintenant, car hier soir c’était le premier concert (ndlr : premier concert de cette tournée au Quai à Angers). Je pense que la musique est vraiment intense et puissante. Grâce à tous les instruments derrière moi, j’ai l’impression de nager dans l’eau, qui serait constituée de tous ces sons différents. C’est ce que je ressens, c’est comme nager (sourire) ». Ken évoque cette expérience pour le moins délicate : « Pour ma part, on peut dire que ces concerts, c’est un peu comme ressentir le pire et le meilleur à la fois. Quand tout va bien, c’est un sentiment incroyable, mais le reste du temps, je suis terrorisé ! » Il renchérit : « Cela me fait penser au gars qui marche sur un fil entre les Twin Towers, ce genre de sentiment (il mime une personne qui tremble en équilibre sur un fil) : « Ne fous pas tout en l’air ! ». Dans ce genre de situation, on a peut-être l’air très zen, mais on fait tout pour éviter de paniquer, car sinon (il mime le déséquilibre puis la chute)… « Whoup, au revoir ! ». » Il poursuit en évoquant le moment à part que constitue la prestation en public : « L’adrénaline est une drogue puissante, qui aide à se concentrer. Pendant un concert, il y a des notes aiguës que je ne peux pas atteindre le reste du temps, des perceptions dont j’ai plus conscience qu’à d’autres moments de la journée... Juste à cause de l’adrénaline, toutes les sensations dans ton corps sont démultipliées et on est capable de miracles qui sont nécessaires pour accomplir ces choses (sourire). »
Jouer le répertoire d’un autre sur scène est une épreuve périlleuse. Troy le démontre : « Pour moi c’est beaucoup plus dur de chanter les chansons de quelqu’un d’autre, car il y a une sorte de plan que l’on doit suivre. C’est intéressant car on explore des choses que l’on n’aurait pas explorées, mais il faut faire attention et être en forme ! C’est plus facile de jouer ma propre musique, car il n’y a pas de carte ou de plan définis à l’avance ; je peux donc m’adapter et m’exprimer tout simplement ».
C’est un peu comme être le chien de traîneau plutôt que celui qui conduit le traîneau. On fait partie d’un tout
Dans le même temps, Ken mentionne son rôle de passeur dans ce projet : « Hier soir à Angers, le public n’a pas cessé d’applaudir, il y a eu comme cinq minutes d’applaudissements ininterrompus, ce qui est une éternité si l’on considère que la moyenne est de dix secondes après une chanson ! C’est très étrange pour moi car même si je donne de ma personne pendant ces concerts, je suis plutôt là pour transporter ces mots et cette musique, j’en suis le gardien tandis qu’ils passent à travers moi. Je suis davantage un instrument, un transmetteur, qui accompagne la musique et qui essaie de recréer l’intention originelle. La performance ne dépend pas que de moi, j’en fais juste partie. Quand les gens ont commencé à se lâcher à la fin, je me suis dit : « Ah oui, il y a des gens, c’est vrai, je les avais oubliés ! » (sourire). J’essaie juste de transmettre la musique, je suis dans mon monde, d’une certaine manière. » Et Troy d’utiliser cette métaphore fort à propos en cette période de fêtes de fin d’année : « C’est un peu comme être le chien de traîneau plutôt que celui qui conduit le traîneau. (Ken acquiesce en souriant). On fait partie d’un tout. »
A propos d’une éventuelle tournée du Color Bars Experience dans d’autres pays, Ken soulève des questions logistiques : « C’est un tel projet d’avoir autant de personnes sur scène, de les transporter, etc…Ce ne serait pas bon marché d’héberger et de faire tourner toutes ces personnes. Mais tout est possible, The Polyphonic Spree l’a bien fait… ». Troy ajoute : « Il y avait le projet de tourner en-dehors de la France, mais le temps a manqué. Je vis à Berlin et je sais qu’en Allemagne beaucoup de gens étaient intéressés. Je suis sûr que cela marcherait bien aussi en Grande-Bretagne, aux États-Unis bien sûr, et dans un tas d’autres endroits, donc avec un peu de chance… ». Ainsi se termine cet entretien qui ouvre le champ des possibles : d’autres concerts à venir ? Un film sur la tournée ? La possibilité de sortir ces enregistrements studio de morceaux inédits ?
En attendant, ces messieurs doivent rejoindre la scène où des admirateurs du prodige de Portland trépignent. Si certains ont pu capter Elliott Smith sur scène lors de tournées françaises en 1998 et 2000, ce sera pour beaucoup la première rencontre live avec ces titres.
Après les émouvantes interprétations des classiques de Leonard Cohen par Nona Marie Invie, échappée de Dark Dark Dark avec son Anonymous Choir, les lumières s’éteignent et quelques néons colorés (les « color bars ») clignotent au son de Bye pendant que l’orchestre entre en scène. Figure 8 est donc considéré à rebours, comme pour conjurer la malédiction qui voulait que ce morceau prémonitoire soit celui qui clôture la dernière sortie studio d’Elliott Smith.
C’est Ken Stringfellow qui ouvre le bal avec l’entrée en matière évidente de l’album, Son of Sam : interprétation démonstrative, pleine de punch, Ken est investi par les morceaux les plus enlevés de Figure 8 (Stupidity Tries ou Wouldn’t Mama Be Proud). Il laisse la place à un Troy Von Balthazar facétieux, qui nous conseille de ne jamais aller dans cette ville horrible qu’est L.A., où il a grandi, avant d’entamer la chanson éponyme. Sa voix est celle qui s’éloigne le plus du timbre d’Elliott, et son chant susurré, chancelant, demande un temps d’adaptation sur Everything Reminds Me Of Her ou le violon mutin de Somebody That I Used To Know. C’est sans doute lors de sa deuxième apparition qu’il convainc le plus, en accompagnant les arrangements de flûte géniaux et le cor de Junk Bond Trader, et en nous souhaitant à tous le bonheur sur Happiness. Quand Jason Lytle, le visage dans l’ombre de la visière de sa casquette et replié sur son micro, enchaîne Color Bars et Pretty Mary K, le spectre d’Elliott flotte sur le lieu unique : la voix est confondante, aiguë, et sur Everything Means Nothing To Me, la montée se fait en puissance depuis les notes de xylophone jusqu’aux ouvertures offertes par le basson, la batterie et la guitare slide. Certaines reprises filent des frissons, car malgré la mise en scène au cordeau, les jeux de lumière un peu trop clinquants, rien ne peut gâcher l’émotion que le public ressent à l’écoute des morceaux du génie Elliott Smith.
Jason Lytle, Troy Von Balthazar & The Color... par francemusique
La dernière partie du set s’ouvre sur un inédit, Place Pigalle, que Ken Stringfellow dédie à Paris, et les intenses Easy Way Out et In The Lost And Found, cette dernière ponctuée de mutines notes de triangle et de banjo. Jason Lytle revient interpréter le titre-comptine Figure 8, jouant sur les consonances des chiffres 8 et 4, avant d’être rejoint par ses deux camarades pour un final tout en tension, Can’t Make a Sound, qui se termine dans un déluge sonique. Après un salut collectif de toute l’équipe, le chanteur de Grandaddy conclut : « C’est un grand honneur pour moi de jouer avec tous ces gens les chansons d’Elliott Smith, cet artiste que nous aimons tant. C’est vraiment très spécial pour moi ». Introduction à l’ultime morceau, Between the Bars, l’un des joyaux de Either/Or, joué dans toute sa nudité, celle qui prend aux tripes et qui fait couler les larmes restées jusqu’alors suspendues.
Propos recueillis par Sandrine Lesage et Mourad Ghanem
Texte : Sandrine Lesage
Photos noir et blanc : Julien Bourgeois
Photos couleur : Mourad Ghanem
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