Jean-Luc Ballestra chante Richard Strauss à l’opéra-théâtre de Metz
Tout un monde de belles rencontres artistiques
Le baryton Jean-Luc Ballestra a travaillé sous le regard des plus grands metteurs en scène, de Jean-François Sivadier à Robert Wilson, en passant par Luc Bondy, et sous la direction de chefs prestigieux comme Charles Dutoit. Il chante dans « Capriccio  » de Richard Strauss à l’Opéra-Théâtre de Metz à partir du 29 janvier, et fera ses débuts à la Scala de Milan en mai 2016, pour un diptyque consacré à Maurice Ravel. Nous l’avons rencontré, il revient sur les temps forts d’une carrière extrêmement riche.
Fragil : Vous reprenez Olivier dans Capriccio, l’ultime opéra de Richard Strauss, à partir du 29 janvier 2016 à l’Opéra-Théâtre de Metz, dans une mise en scène de Dieter Kaegi. Comment présenteriez-vous ce spectacle ?
Jean-Luc Ballestra : Dieter Kaegi a fait un travail très approfondi sur la partition et il se montre, durant les répétitions, d’une rigueur extrême tout en restant détendu et convivial. Il a transposé l’opéra dans une brasserie Flo, où il règne tout un foisonnement artistique. C’est une sorte de cantine pour les artistes et pour ceux qui gravitent autour, et un espace vivant. Capriccio , qui est aussi un débat sur l’art et la primauté de la poésie ou de la musique, peut avoir un côté statique et intellectuel. Le décor rappelle le café Momus de La Bohême de Puccini et il est peuplé de personnages concrets et pleins d’humanité. J’interprète le rôle d’un séducteur tandis que Flamand, mon rival dans l’action, est un idéaliste. Chacun a une approche différente dans sa manière de séduire la comtesse, tout en représentant son art. Lequel des deux va l’emporter ? Strauss n’apporte pas de réponse, car ils sont indissociables.
La sensation unique de la création
Fragil : En 2009, vous avez obtenu un grand succès au Palais Garnier dans le rôle de Cyprien d’Yvonne, princesse de Bourgogne, une création mondiale de Philippe Boesmans d’après le texte de théâtre de Witold Gombrowicz. Quelles traces gardez-vous de ce spectacle, mis en scène par Luc Bondy, récemment disparu ?
J.-L. B. : C’est un souvenir extraordinaire. Il s’agissait de ma première création contemporaine, et à Garnier en plus ! Les moyens techniques et artistiques y sont fabuleux et la partition de Philippe Boesmans est d’une grande qualité. Ce travail m’a profondément marqué et je n’ai qu’une envie depuis, c’est de recommencer une telle expérience. C’est une sensation unique de créer. Nous sommes habituellement des interprètes et nous ne faisons que des variations sur ce que d’autres ont fait avant nous. L’énergie nécessaire à une création est incomparable et c’est exaltant de se sentir ainsi partie prenante de l’œuvre, dans sa genèse. Au départ, j’étais déstabilisé, je ne me sentais pas dans mon domaine habituel. J’ai apprivoisé cette musique en réalisant que j’avais les bases musicales pour le rôle. La rencontre avec Luc Bondy, qui était également auteur du livret, a été merveilleuse. J’ai pris conscience, par les propositions que j’ai faites sous son regard, de capacités de comédiens que je n’avais pas explorées d’une telle manière auparavant. Ce metteur en scène savait sublimer les interprètes avec qui il travaillait et je me suis senti, durant cette période de création, comme un enfant émerveillé.
C’est une sensation unique de créer. Nous sommes habituellement des interprètes et nous ne faisons que des variations sur ce que d’autres ont fait avant nous
Fragil : Vous avez chanté Ruggiero dans La Juive l’an passé à l’Opéra Nice-Côte d’Azur. Que représente pour vous cet opéra et ce personnage ?
J.-L. B. : C’était une belle découverte et cet opéra, au sujet politique, est d’une grande force. La partition est exigeante, demande de très bons chanteurs et l’orchestration est énorme. C’est vraiment une œuvre qui symbolise le XIXème siècle triomphant. Ruggiero est une figure antipathique, un sale bonhomme, antisémite et dévot : une sorte de Scarpia dans Tosca, sans la noblesse. C’est la première fois que je jouais un personnage aussi fanatique et extrémiste, et ça m’intéresse de construire un rôle aussi éloigné de moi.
Fragil : Dans le répertoire français, vous avez également joué Albert dans Werther de Massenet, dans une mise en scène de Willy Decker à l’opéra de Rome en janvier 2015. Quel souvenir en gardez-vous ?
J.-L. B. : L’opéra français est ma culture, malgré mes affinités avec l’opéra italien. Qu’il s’agisse d’Halévy, de Bizet ou de Massenet, c’est un répertoire magnifique que j’aime défendre. La musique de Werther est sublime et tous les personnages peuvent être touchants. Dans ce spectacle proposé à Rome, Albert, au départ, loin d’être un cocu, aurait pu être un concurrent crédible de Werther, mais qui serait tombé dans les travers de la société. C’était une sorte de gendre idéal qui, progressivement, ne faisait plus rêver sa fiancée. Le couple explosait littéralement. Des pantomimes montraient ce fossé qui se creusait. J’ai adoré le travail avec Jésus Lopez Cobos, un chef exceptionnel, musicalement comme humainement.
Fragil : Vous avez aussi participé à une reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy, dans la vision de Robert Wilson au Teatro Real de Madrid à l’automne 2011. Comment présenteriez-vous le travail avec ce metteur en scène ?
J.-L. B. : C’est un théâtre corporel qui se rapproche d’une chorégraphie et d’une peinture. Cette mise en scène est d’une beauté surréaliste, idéale pour la musique de Debussy. Je pratique les arts martiaux depuis quelques années et j’ai ressenti un aspect extrême-oriental dans ce travail sur les corps, les déplacements et l’énergie. Ma recherche personnelle a coïncidé avec la démarche de Robert Wilson. Je me suis juré, après cette expérience, que je chanterais un jour Golaud.
C’est un théâtre corporel qui se rapproche d’une chorégraphie et d’une peinture
Fragil : En mai 2010, vous étiez Escamillo de Carmen dans le spectacle de Jean-François Sivadier, à l’opéra de Lille. Quelles traces vous a laissé ce spectacle ?
J.-L. B. : C’est une de mes plus belles expériences dans le rôle d’Escamillo. Jean-François Sivadier est un artiste d’une énergie extraordinaire, qui respire le théâtre et aime ses interprètes. Il est passionné par les voix et par le chant, et a une capacité à s’émerveiller comme un enfant. C’est extraordinaire de garder une telle fraîcheur de regard et d’écoute. J’espère le retrouver un jour sur un autre spectacle.
A la Scala entre amis
Fragil : Vous avez incarné à Limoges Il Prigioniero de Luigi Dallapiccola, en janvier 2011. En quoi cette œuvre vous a-t-elle marqué ?
J.-L. B. : J’ai eu un coup de foudre pour cette œuvre, qui m’a permis une vraie démarche spirituelle. La musique est hallucinante, et réussit le tour de force d’allier le lyrisme italien avec le dodécaphonisme. Le rôle est écrit sur deux octaves pleines, avec des passages très sombres. Ce prisonnier a quelque chose de christique, dans la prière qu’il adresse à Dieu, au début, pour sortir de sa position. Patrick Le Mauff, le metteur en scène, s’est montré ouvert à mes propositions et à mon ressenti pour construire le personnage, tout en me maintenant dans une sorte de cocon. Ce spectacle a été une expérience quasi-mystique. Sur le dernier mot, « Liberté », je sentais le public dans le creux de ma main. Tout le monde pleurait. Ce Prigioniero a été composé entre 1946 et 1948. Luigi Dallapiccola avait été un fasciste de la première heure. Marié à une juive, il a été choqué par les lois antisémites. Il a fui à Paris, où il a eu l’idée de cette partition, inspirée de plusieurs textes littéraires, et d’une force mélodique toute italienne. J’aimerais la chanter à nouveau.
Ce spectacle a été une expérience quasi-mystique. Sur le dernier mot, « Liberté », je sentais le public dans le creux de ma main
Fragil : Que ressentez-vous à quelques semaines de vos débuts à la Scala de Milan ?
J.-L. B. : Au cours des ces dernières semaines, j’ai été absorbé par Capriccio, qui a cristallisé tous mes efforts sur la langue allemande, n’étant pas germaniste. La difficulté du texte m’a valu quelques nuits blanches, et je ne pense pas trop à la Scala pour l’instant, même si c’est très excitant quand il m’arrive de songer que je vais chanter dans ce lieu mythique, ce temple de l’opéra. Mon côté italien est flatté de se produire là-bas, mais j’ai l’impression que c’est arrivé très vite. Je n’ai toutefois pas d’inquiétude particulière, puisque je vais notamment y interpréter L’heure espagnole de Maurice Ravel, que j’ai déjà abordé l’an passé à San Francisco, et que je vais reprendre début mars à Boston en version de concert, sous la direction de l’immense Charles Dutoit, qui a une maîtrise impressionnante de la partition. La spectacle de la Scala sera un diptyque, avec en second volet L’enfant et les sortilèges, dans la magnifique mise en scène de Laurent Pelly qui vient du festival de Glyndebourne. Je me réjouis de retrouver sur cette production plusieurs amis, dont Yann Beuron, avec qui je chantais dans Yvonne, Princesse de Bourgogne à Garnier, ou Stéphanie D’Oustrac, qui était Carmen dans la vision de Jean-François Sivadier. Ce spectacle milanais aura donc une saveur particulière ; il est rare de retrouver autant de personnes que l’on apprécie sur un plateau.
Fragil : Quels sont les autres projets qui vous tiennent à cœur ?
J.-L. B. : J’ai un projet important à l’opéra national de Paris la saison prochaine sur une longue période, mais je ne peux pas en parler pour l’instant. Je ferai également mes débuts dans le rôle d’Enrico, le méchant frère de Lucia di Lamermoor à l’opéra de Tours, sous la direction de Benjamin Pionnier, son nouveau directeur musical, qui dirige Capriccio à Metz. C’est un grand chef, aux qualités humaines et artistiques exceptionnelles, et avec lequel il faudra compter plus tard !
Fragil : Vous êtes originaire de Nice. Que ressentez-vous lorsque vous vous produisez dans la baie des anges ?
J.-L. B. : Je ressens des choses incroyables. Mon arrière-grand-père a tenu le bar de l’amphithéâtre de l’opéra pendant près de cinquante ans, mon grand-père a donc grandi dans les coulisses. Mes débuts ici m’ont permis d’expérimenter des rôles dont je garde des souvenirs très forts, comme Mercutio de Roméo et Juliette ou le maître de musique dans Ariane à Naxos de Richard Strauss. Cette dernière expérience date de 2004 et, avant Capriccio à Metz, s’est avérée fondatrice dans mon approche de la musique allemande. Et puis, c’est là que j’ai vu, avec mes parents, en 1992, Rigoletto, dans la mise en scène de Jérôme Savary. J’avais 16 ans. Ce spectacle a bouleversé ma vie, et a balayé tous mes rêves d’aéronautique. J’ai compris que ma voie était là…
Propos recueillis par Christophe Gervot
Photos des répétitions de Capriccio à l’Opéra-Théâtre de Metz : Arnaud Hussenot
Portrait de Jean-Luc Ballestra : Dominique Jaussein
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